Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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L'éthique en bref

"La greffe est (...), et il faut le souligner, une activité économiquement rentable. Elle est rentable pour la sécurité sociale, car on estime en gros le coût d’une greffe à une année de dialyse et on estime en gros, même si des études sont en cours, qu’une greffe permet d’épargner entre 10 et 15 années de dialyse. Donc il y a un bénéfice net pour la sécurité sociale de 9 à 14 années de dialyse."

"Il faut magnifier le don".

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine, 28/01/2009 (source)

Va-t-on expliquer aux proches de ce potentiel donneur d'organes mourant qu'un don de rein rendrait bougrement service à un parfait inconnu et permettrait à la Sécu d'économiser entre 9 et 14 années de dialyse pour ce patient, si les proches du mourant disaient oui au don d'organes ?! Même dans "Urgences" ou "Dr. House", ils n'oseraient pas. On comprend que dans cette situation, le flou artistique de la "générosité" soit préférable. Il faut "magnifier le don", autre flou artistique permettant de ne pas évoquer des enjeux économiques qui dépassent les patients. Votre fils meurt, mais vous assurez ! Tout en étant à son chevet, d'une main vous comblez le trou de la Sécu, tandis que de l'autre vous "sauvez la vie" d'un patient en attente de rein. Et demain, vous vous portez candidat à la présidence de la République, à moins que ... vous ne tombiez dans une dépression aussi abyssale que le trou de la Sécu, car vous entendez sans arrêt, année après année, seconde après seconde, ce grain de sable qui crisse dans les rouages de la "générosité" : et si vous aviez abandonné votre fils au pire moment de sa courte existence ? A retenir : se méfier quand on vous remercie pour votre "générosité" : la roche Tarpéienne est proche du Capitole.

Catherine Coste, auteur du weblog d'information Ethique et transplantation d'organes.

Les prélèvements "à coeur arrêté" ("arrêt cardio-respiratoire persistant") : lire les travaux de l'Espace Ethique de l'AP-HP à ce sujet : lien.

Objectif : 5.000 grefffes pour 2010 !

Les lois de bioéthique, qui réglementent le don des éléments du corps humain, datent successivement de 1994 et de 2004. Le contexte actuel est celui d'une révision de la loi de bioéthique de 2004, toujours en vigueur actuellement, mais qui va en quelque sorte arriver "à échéance" au plus tard début 2011, du fait du moratoire inscrit dans cette loi de 2004 en ce qui concerne les recherches sur les cellules souches issues de l'embryon : la loi de 2004 interdit ces recherches, tout en autorisant des dérogations, elles-mêmes encadrées par l'Agence de la biomédecine.


Dans le cadre de la mission parlementaire d’information sur la révision des lois bioéthiques, avait lieu le 28/01/09 l’audition à l’assemblée nationale de Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine (ABM) (source) :

L’ABM est au cœur du dispositif de loi de 2004. Les missions qui lui ont été confiées par le gouvernement : fournir un cadre dans ses nombreux domaines de compétences, à savoir : la greffe, la reproduction, l'embryologie, la génétique humaine. L’ABM a été créée par un décret de loi datant du 4 mai 2005. L'objectif de la loi actuelle est donc de donner un cadre :

1) à tout ce qui est soin à partir des éléments du corps humain à l’exception du sang (s'agit-il là d'une précaution suite à l’affaire du sang contaminé ? ...)
2) aux études qui portent sur l’intime de l’homme, le début de la vie : recherches sur l’embryon, et le cœur du génome, c’est-à-dire les tests génétiques, les diagnostics des maladies génétiques, qui ont en commun d’avoir pour objectif aussi le soin.
3) à l’activité de prélèvement et de greffes d’organes et de tissus. Il s'agit d'ailleurs là du premier objectif de l’ABM, qui est historiquement le plus ancien, rappelons que l’ABM a pris le relais de l’Etablissement Français des Greffes (EFG) en 2005. La loi de bioéthique de 2004 a mis l’accent sur la priorité des greffes, comme priorité nationale. Selon Mme Prada-Bordenave, la révision de la loi de bioéthique de 2004 doit être l’occasion de maintenir, et même de renforcer, cette priorité : la nécessité de "maintenir le cap et de soutenir cet objectif avec détermination, et de surtout ne pas l’affaiblir" a été soulignée.

4.600 greffes auraient été réalisées en 2007, et à peu près le même nombre en 2008 (source : ABM). Mme Prada-Bordenave a rappelé qu'il existe un contrat entre l'Etat (le Ministère de la santé) et l'ABM pour parvenir à 5.000 greffes en 2010 – ce qui a été qualifié d’"objectif ambitieux" par la directrice de l’ABM, qui a rappelé les éléments suivants :

"La greffe est une thérapeutique qui permet de sauver des vies lorsqu’elle concerne les organes vitaux (...), c’est une thérapeutique qui permet de (...) changer la vie quand elle concerne par exemple le rein, car quand vous êtes en dialyse vous êtes un grand malade, une charge pour la société, même si vous êtes vivant ; quand vous êtes greffé, vous redevenez un homme normal avec votre capacité de vivre comme n’importe lequel de nos concitoyens, et notamment d’avoir une activité. La greffe est à cet égard, et il faut le souligner, une activité économiquement rentable. Elle est rentable pour la sécurité sociale, car on estime en gros le coût d’une greffe à une année de dialyse et on estime en gros, même si des études sont en cours, qu’une greffe permet d’épargner entre 10 et 15 années de dialyse. Donc il y a un bénéfice net pour la sécurité sociale de 9 à 14 années de dialyse."

[On estime en effet que le "greffon" a une durée de vie de 9 à 14 ans dans le cas d'un rein prélevé lors de la mort d'un donneur, tandis que cette durée de vie est supérieure - 15 ans et plus - lorsqu'il s'agit d'un rein prélevé à partir d'un donneur vivant, dans le cadre du don d'organes de son vivant, en particulier du rein, cette forme de don étant rare en France, mais sans doute appelée à se développer, du fait de la pénurie de reins, puisque l'essentiel des patients en attente de greffe attendent un rein] (ndlr.)

Mme Prada-Bordenave a expliqué que la greffe "(...) est une activité rentable pour l’ensemble de la société puisque (...) c’est une personne qui avait le statut de grand malade qui redevient une personne active [il s’agit là de patients ayant bénéficié d’une greffe de rein, ndlr.] et qui peut donc apporter sa contribution à l’économie nationale. Il faut conforter cette activité de soin, il faut conforter aussi la chaîne de solidarité sur laquelle elle repose en magnifiant le don qui est fait par chacun de nos concitoyens, lorsqu’il exprime positivement ou négativement le souhait de donner ses organes ou plutôt le fait qu’il ne s’opposera pas plus tard à ce qu’on les prélève.

L’ABM œuvre sans relâche depuis plusieurs années à informer les populations pour que les gens prennent clairement position de leur vivant en informant leurs proches sur leur volonté quant au statut de leurs organes. Mais il est un peu paradoxal qu’aujourd’hui la greffe soit acceptée par quasiment 100 pour cent des malades, et qu’on constate encore dans notre société une hésitation quant à l’opportunité de donner ses organes. Alors qu’on sait bien que si les gens ne donnent pas leurs organes, il n’y a pas de greffe. Les gens devraient s’accoutumer à l’idée que la greffe est une thérapeutique qui sauve, qu’ils sont d’accord pour être sauvés et que donc ils sont d’accord pour participer à cette grande chaîne de solidarité et nous travaillons pour que ce message soit transmis au niveau institutionnel par l’ABM et en partenariat avec les associations. L’année 2009 sera une année où la grande cause nationale sera le don d’organes, le don de moelle osseuse, le don de plaquettes et le don de sang et nous pensons que c’est une formidable opportunité pour relayer avec les associations ce message. Nous pensons qu’à l’occasion de la révision de la loi, il convient de maintenir le système juridique du consentement présumé qui a abouti à de bons résultats puisqu’aujourd’hui, il y a certes un taux d’opposition au don de ses organes à 30 pour cent [opposition des familles confrontées au don d’organes. Il s’agit là d’une moyenne nationale, puisque ce taux peut aller de 25 pour cent d'opposition en ce qui concerne des adultes donneurs potentiels, à 50 pour cent d'opposition en ce qui concerne des enfants donneurs potentiels, ndlr.], mais il y a un taux d’acceptation de 70 pour cent. Et notre conviction, c’est que si on passe à un système de consentement explicite, alors on n’aura jamais 70 pour cent de gens qui consentent au don de leurs organes, car il s’agit de faire une démarche et d’envisager, à cette occasion là, l’hypothèse de sa mort, chose que les gens n’ont pas envie d’envisager. Toucher au système actuel [de consentement présumé, ndlr.] serait gravement préjudiciable à l’activité de greffe. Par ailleurs, nous pensons qu’il convient de conforter la greffe de rein avec donneur vivant (le don de rein de son vivant). Cette activité est très développée dans des pays voisins (...), en particulier en Norvège et aux Pays-Bas ; elle n’a pas pris son essor en France et nous le regrettons. Elle doit pouvoir le prendre par une meilleure information des patients et de leur famille et par une meilleure aide aux services hospitaliers, pour qu’ils prennent en charge ces patients, car une intervention sur un donneur vivant, c’est une intervention lourde, qui doit être préparée avec minutie et qui entraîne donc une charge lourde pour le service hospitalier qui effectue cette opération. Mais les chances de survie du greffon sont très bonnes, et nous pensons qu’il faut développer cette activité. Nous pensons aussi qu’il faut développer l’activité de prélèvement de tissus, car le prélèvement de tissus, même si on en parle moins, même si c’est peut-être moins noble, même si le prélèvement est fait à la chambre mortuaire, c’est aussi une activité qui peut changer la vie des gens : le prélèvement de cornées rend la vue à des aveugles, le prélèvement de peau permet de sauver la vie de très grands brûlés, et la greffe multi composite, notamment d’avant-bras et de face, rend à des gens qui sont privés de toute vie sociale une possibilité de vivre à nouveau. Nous pensons que c’est en développant l’activité du prélèvement qu’on arrivera à lutter contre les trafics [d’éléments du corps humain, ndlr] et (...) l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) souligne que les Etats ont la responsabilité de mettre en place des systèmes de prélèvement efficaces, c’est la seule manière de lutter contre le tourisme de transplantation et donc contre les trafics."

Ces propos de la directrice de l'ABM appellent quelques commentaires :

1) La pénurie d’organes n’est pas nouvelle. Celle de reins à "explosé" au cours des dernières années. Néanmoins, ne pas développer le don de rein à partir de donneurs vivants a été conforme à la politique française menée ces dernières décennies en France. Espérons que les choses vont changer, d'autant qu'il existe des méthodes de prélèvement de rein sur donneur vivant utilisant une technique de chirurgie minimalement invasive (qui ne laisse que de petites cicatrices, comme la coelioscopie), et même une toute nouvelle technique de chirurgie, qui consiste à passer par les voies naturelles, et qui est actuellement testée aux USA (lire).

2) A la lumière des propos de la directrice de l'ABM, on peut se demander si le consentement présumé inscrit dans la loi de bioéthique de 2004, et probablement dans celle de 2010, mais aussi dans toute loi ou tout décret dès le début des greffes en France, n'a pas en quelque sorte instrumentalisé le débat (pour ou contre le don de ses organes à sa mort) dans le sens d’une ouverture d’un droit opposable à la greffe :
"(...) [I]l est un peu paradoxal qu’aujourd’hui la greffe soit
acceptée par quasiment 100 pour cent des malades, et qu’on constate encore dans
notre société une hésitation quant à l’opportunité de donner ses organes. Alors
qu’on sait bien que si les gens ne donnent pas leurs organes, il n’y a pas de
greffe. Les gens devraient s’accoutumer à l’idée que la greffe est une
thérapeutique qui sauve, qu’ils sont d’accord pour être sauvés et que donc ils
sont d’accord pour participer à cette grande chaîne de solidarité (...)".
Dans les autres pays d'Europe, le consentement explicite au don de ses organes à sa mort prévaut (tout citoyen doit effectuer une démarche administrative pour peu qu'il consente au don de ses organes à sa mort. Ce consentement n'est pas automatique). Et non le consentement présumé. En France, c'est le consentement présumé, ou consentement automatique, qui prévaut : nulle démarche à effectuer, nous sommes tous présumés consentir au don de nos organes à notre mort, l'Etat a réfléchi à la question à notre place : tout le monde veut être sauvé, donc tout le monde consent au don de ses organes. S'agit-il là d'un raisonnement démocratique, ou d'un raisonnement dogmatique ? Les citoyens français seraient-ils donc les seuls en Europe à ne pas vouloir réfléchir à leur fin de vie ? Il me semble pourtant que la loi Léonetti de 2005, ou loi sur les droits des malades en fin de vie en France, a précisément pour but d'ouvrir une réflexion sur le mourir (le sien et celui de ses proches) : désormais, tout usager de la santé a son mot à dire en ce qui concerne sa fin de vie. De leur côté, les équipes soignantes réfléchissent également à la fin de vie des patients. On demanderait donc aux gens de réfléchir à leur fin de vie dans tous les cas de figure, sauf dans celui du don d'organes - là, il ne faudrait surtout pas qu'ils imaginent leur fin de vie, car ils n'auront plus leur mot à dire, n'étant plus qu'un simple réservoir d'organes faisant encore l'objet de "soins" invasifs, certes pas dans leur intérêt, mais dans celui des patients en attente de greffe, puisqu'il s'agira uniquement de maintenir en vie les organes vitaux d'un mort...

Il s'agit là d'une situation schizophrénique. Les discussions que suscite la position "contre" ou "pour" le don de ses organes à sa mort traduisent l'opposition irréductible entre ceux qui reconnaissent la dignité du mourant pas encore décédé et ceux pour qui il convient d’évacuer la question de la fin de vie : mourant ou mort, cela ne ferait de différence qu’à condition d’y croire, et encore. Ceux-là même qui, conformément au discours public sur le don d'organes, croient qu’il est "in" de "zapper" l’agonie du mourant (et si en plus les organes peuvent servir...) ignorent tout de l’agonie du donneur d’organes. Or, pour toute "zappée" qu’elle est, cette agonie existe. Mais le discours public sur le don d’organes ravale ces cruelles réalités au rang de ringardises, ce qui est le comble de la tartufferie.

Affirmer que les gens ne souhaitent pas réfléchir à leur propre mort, c'est nier les travaux d'évaluation conduits durant l'année 2008 par le médecin et député Jean Léonetti sur la loi concernant le droit des malades en fin de vie - loi dont il est l'auteur, et qui date d'avril 2005 (source). Gageons que M. Jean Léonetti ne souscrira pas à cette affirmation de la directrice de l'ABM, selon laquelle il faudrait maintenir le consentement présumé dans la loi, ce afin d'épargner aux usagers de la santé la peine de réfléchir à leur propre mort et afin de réaliser un "objectif ambitieux" : 5.000 greffes pour 2010. Faut-il comprendre que cet objectif ne pourra être réalisé que si les usagers de la santé continuent à ne pas réfléchir à l'agonie du donneur d'organes ?! Voilà qui est troublant...

Un philosophe disait : "Philosopher, c'est apprendre à mourir". Il faut croire que le consentement présumé s'est donné pour objectif de remplacer à lui seul tout l'héritage humaniste, ce qui, certes, constitue, pour reprendre les propos de Mme Prada-Bordenave, un "objectif ambitieux"...

Où se trouvent les potentiels donneurs d'organes, qui se trouvent en état de mort encéphalique ? En service hospitalier de réanimation. Il est admis que 20 pour cent de la population française et américaine décède en réanimation (J.C. Nelson : "End of Life Care for the Critically Ill: a National ICU Survey", in: Crit. Care Med., 2006, 34, p. 2547-2553). Le livre de la sociologue Nancy Kentish-Barnes, intitulé "Mourir à l'hôpital" et publié aux éditions du Seuil en octobre 2008, a pour objet l'étude des pratiques médicales de fin de vie dans quatre services hospitaliers de réanimation en France : "comment meurt-on 'pour de vrai', tous les jours, dans nos services de réanimation" ? La sociologue constate que la famille reste "l'acteur absent" en réanimation.

[p.229 :] "Avec l'hospitalisation d'un proche en réanimation, la famille découvre
un univers nouveau, marqué par l'extrême : l'urgence extrême, la technique
extrême, la souffrance extrême. (...) La violence symbolique est ici très
forte. (...) Le proche perd ses repères. Il n'a plus le sentiment de jouer un
rôle auprès du malade, ni concret ni symbolique (...). Les enquêtes médicales
menées auprès des proches de patients hospitalisés en réanimation mettent en
avant l'anxiété et la dépression des proches, dépeints comme des victimes
fragiles qu'il faut protéger. (...) La famille est souvent considérée comme le
deuxième patient du soignant ; ainsi, d'emblée, elle est rejetée comme acteur
potentiel. Cette préservation de la famille a souvent pour effet pervers sa
disqualification et sa 'délégitimation' dans les processus décisionnels".

[p. 231 à 234 :] "Depuis la loi Léonetti de 2005, qui rend nécessaire la participation des proches, les pratiques évoluent (...). [C]ette loi a le mérite de rendre possible et 'normale' l'implication des familles dans les décisions de fin de vie (...). L'expérience de l'extrême et la rupture qu'elle représente, alliée à une culture médicale 'paternaliste', enferment les proches dans une attitude d'attente et de passivité, qu'ils regrettent parfois a posteriori. Il semblerait pourtant qu'à chaud, chacun y trouve son compte : l'équipe, dont le pouvoir est renforcé, et la famille, dont la fuite des responsabilités est acceptée et qui est donc soulagée. La réanimation continue ainsi de fonctionner en 'dissonance' avec certaines valeurs du monde extérieur et de se baser sur une grande autonomie par rapport au corps social. La famille reste un élément extérieur, profane et vulnérable, et donc incompétent en matière de décision de fin de vie. Si la loi Leonetti modifie les pratiques en profondeur et si les familles finissent par jouer un rôle actif dans le processus décisionnel, alors il faudra poser la question de l'impact de cette participation sur le moyen et le long terme ainsi que celle de la nécessité de mettre en place des structures d'accueil au sein des hôpitaux pour aider les familles à gérer leurs émotions et la responsabilité qui accompagne toute prise de décision. (...) Pendant l'hospitalisation, la gravité de l'état du malade permet son évacuation en tant que sujet mais ce dernier revient en force au moment de la mort : il n'est plus alors 'patient objet de soins' mais 'personne en fin de vie' et entraîne donc des problématiques que les acteurs tentaient d'occulter jusque-là. (...)". La sociologue observe "une nouvelle période de mutations" : "En marge des services de soins palliatifs, le risque est réel de voir ces unités [de réanimation, ndlr.] initialement créées 'pour réanimer la vie' devenir des unités dont une mission supplémentaire sera de 'produire la mort' dans des conditions acceptables pour tous. Si une telle mission n'a longtemps été qu'un aspect de l'activité des réanimateurs, la mort devient aujourd'hui une pratique centrale, au coeur même de la définition du travail. (...) La fin de vie se gère (...) différemment selon la culture du service de réanimation. L''effet service' est tel que la mort (du moins son déroulement et son heure) est construite et produite par les acteurs de terrain. (...) Les professionnels des services de réanimation ont deux rôles extrêmes : celui de sauver les malades et, lorsque cela est impossible, celui de produire leur mort, un rôle désormais reconnu, mais qui ne peut manquer de faire appel à la subjectivité. La mort est 'inclassable', elle ne peut totalement appartenir au monde médical ni au monde profane : elle est à la frontière, obligeant les acteurs professionnels à 'se débrouiller' sans cesse et à jongler entre des logiques très éloignées, parfois même contradictoires. (...) Les modifications législatives sauront-elles harmoniser les pratiques dans l'avenir ? Est-il possible de réellement encadrer une pratique qui a trait à la passion, aux émotions et au vécu personnel ? Comment les familles vont-elles accueillir la sollicitation des médecins pendant le processus décisionnel de fin de vie ? (...) Afin de 'faciliter' les décisions de fin de vie pour l'équipe de réanimation et pour nos proches, nous devons changer d'attitude face à ce qui est inéluctable, notre propre mort. Evoquer celle-ci avec ses proches et son médecin traitant permettra non seulement de nous informer mais aussi d'informer ceux qui nous entourent et qui devront assumer une décision grave. Le recours à la parole, à la discussion et aux directives anticipées sont les seuls moyens à notre portée pour aider nos proches à prendre, plus tard, la meilleure décision pour notre propre mort". Copyright Editions du Seuil, 10/2008

Je ne vois pas en quoi cette analyse ne concernerait pas les familles confrontées au don d'organes. Le "consentement présumé" ne saurait épargner à chacun une réflexion sur la mort dans le contexte d'un don d'organes : le donneur faisant l'objet de "soins" dans le seul but de conserver ses organes avant leur prélèvement est une "personne en fin de vie", même si, sur le plan légal, il n'est plus qu'un simple réservoir d'organes. Voilà, très concrètement, les réalités contradictoires avec lesquelles les professionnels de la santé, en service de réanimation, doivent "se débrouiller"...

Une loi de bioéthique sans bricolages et contresens pour 2010 ?

==> Lire cet article sur AgoraVox, le journal citoyen en ligne (lien).
Quel contexte pour les lois de bioéthique ? La loi Léonetti d'avril 2005, qui est une loi sur les droits des patients en fin de vie, a fait l'objet d'une évaluation en 2008. La mission d'évaluation a été pilotée par une équipe parlementaire avec à sa tête l'auteur de la loi, le médecin et député Jean Léonetti. Les conclusions de cette mission, remises au gouvernement fin 2008, vont dans le sens d'un renforcement de la loi de 2005 : meilleure diffusion de la culture des soins palliatifs, refus de légiférer sur l'euthanasie. Fin 2008, le gouvernement français a exprimé sa volonté d'ouvrir au grand public les débats sur le thème de la fin de vie. Cette évaluation de la loi Léonetti s'inscrit aussi dans un contexte plus général : celui du projet de révision de la loi de bioéthique en vigueur actuellement et datant de 2004. Sont également prévus des Etats généraux de la bioéthique, qui, eux, débattent des sujets concernant la révision de la loi de bioéthique à horizon 2010. Ces Etats généraux ont aussi pour objectif de favoriser la participation des usagers de la santé au processus de révision de la loi de bioéthique, et non la participation des seuls spécialistes... Le chantier de la révision de la loi de bioéthique de 2004 s'ouvre concrètement en ce début d'année 2009. De la légalisation des mères porteuses à la levée de l'anonymat des dons de gamètes en passant par l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP), les conditions de recours au diagnostic préimplantatoire (DPI) et aux tests génétiques et la problématique de la recherche sur l'embryon, le don d'organes, etc. : autant de questions auxquelles les parlementaires sont appelés à donner une réponse. La mission d'information parlementaire pour la révision de la loi de bioéthique devrait remettre ses conclusions au cours du second semestre 2009. Le président de la République souhaitant que tous les Français s'emparent de ces questions, des Etats généraux de bioéthique devraient se tenir au cours du premier semestre 2009. Ces Etats généraux sont pilotés par un Comité placé sous l'autorité de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, et composé de Jean Leonetti, député UMP, Sadek Beloucif, médecin hospitalier, Alain Claeys, député PS, Marie-Thérèse Hermange, sénateur UMP, Claudine Esper, professeur de droit de la santé et Suzanne Rameix, spécialiste de l'éthique médicale. Ce Comité devrait remettre ses conclusions au mois de juin. Le projet de loi devrait être déposé d'ici la fin de l'année 2009 afin d'être examiné en 2010 par les parlementaires.
La semaine dernière, suite à son audition par la mission d'information sur la révision des lois bioéthiques le 20/01/2009, j'ai posé au Professeur Claude Huriet, Président de l'Institut Curie, les questions suivantes :

1.-) Dans son "Dictionnaire amoureux de la médecine", paru en septembre 2008, le Professeur Bernard Debré écrivait :
"Que faut-il, aujourd'hui, pour sauver, par une greffe, la vie d'un malade dont le foie ou les reins sont gravement atteints ? Rien de plus qu'un donneur, autrement dit, parfois... l'impossible. Attendre la mort d'un jeune homme ou d'une jeune femme dans la force de l'âge et dont l'organe sera compatible avec son organisme : voilà le quotidien de milliers de malades dont beaucoup savent qu'ils disparaîtront sans avoir eu la chance de profiter de la malchance d'un autre. Cet autre dont le corps n'avait plus d'avenir sur cette terre, hors celui de sauver la vie d'un inconnu... Regardons maintenant ce qui se passe pour les embryons congelés. N'ayant pas été utilisés pour assurer une descendance aux couples dont ils sont issus, ils sont près de cent mille par an à s'entasser dans les congélateurs de nos laboratoires et de nos instituts de recherche. Sans doute cette image choquera-t-elle certains, mais elle correspond à une réalité : ces petits d'hommes en puissance n'ont pas plus d'avenir sur terre que de sauver les accidentés de la circulation auxquels on prélèvera un rein, un cœur, ou un foie. Et pourtant de nombreux pays interdisent qu'on les utilise pour la recherche médicale, fût-ce, à très court terme, pour sauver des vies... En France, les dérogations sont possibles et une réforme est envisagée, comme on l'a dit, mais pas encore adoptée, loin s'en faut." [L'extrait cité se trouve p. 447-448, rubrique : "Progrès"]

Souscrivez-vous à ce plaidoyer du Professeur Debré en faveur de l’utilisation des cellules souches embryonnaires qui ne font plus l'objet de projet parental (ce qui pose des problèmes d'éthique) dans le but de "sauver", un jour, les donneurs d’organes en état de "mort encéphalique" ou d’"arrêt cardio-respiratoire persistant", ou bien le but qu’il mentionne, à savoir "sauver les accidentés de la circulation auxquels on prélèvera un rein, un cœur, ou un foie", vous paraît-il, à terme, envisageable en utilisant uniquement les cellules souches adultes, qui, elles, ne posent aucun problème d'éhtique ? Ou bien encore : êtes-vous de ceux choqués par l’image employée par le Professeur Debré ?

Qu'il soit ici rappelé que depuis fin 2007, les scientifiques peuvent "induire", ou faire "régresser" des cellules souches prélevées à partir de la peau d'une personne adulte (et même âgée) à l'état de cellules souches ayant des caractéristiques identiques à celles des cellules souches embryonnaires (venant de l'embryon). Ces cellules possèdent un immense potentiel thérapeutique et pourraient, à terme, conduire à ce que des petits organes comme le coeur ou le foie puissent être réparés, ce qui rendrait la transplantation d'organes caduque et contribuerait à résoudre le douloureux problème de pénurie d'organes à greffer. En effet, ces cellules souches embryonnaires "induites" n'étant pas encore "spécialisées" ou programmées pour former un organe précis, il serait possible de les programmer pour venir réparer un organe défaillant. Cette découverte de ce qu'on appelle les iPS fin 2007 (cellules souches embryonnaires "induites" ou fabriquées à partir de cellules souches adultes) vient trancher le débat sur les problèmes éthiques posés par l'utilisation de l'embryon, puisqu'on peut maintenant obtenir des cellules souches de manière éthique, c'est-à-dire sans passer par la destruction de l'embryon. Néanmoins, avant de réussir à programmer la réparation d'un organe défaillant grâce aux iPS, il faut en passer par le stade de la recherche fondamentale à visée thérapeutique, ce qui implique l'utilisation de cellules souches embryonnaires "ne faisant plus l'objet de projet parental", aussi appelées "cellules souches surnuméraires", certes à des fins scientifiques, mais cela ne va pas sans poser des problèmes d'éthique, puisque cette utilisation implique la destruction de l'embryon...

2.-) Quel(s) message(s) souhaiteriez-vous transmettre au grand public au sujet de l’éthique des transplantations d’organes (et "visage"), si toutefois il vous apparaissait que les usagers de la santé étaient insuffisamment informés sur ces sujets – au sujet des "prélèvements ‘à cœur arrêté’", par exemple, qui permettent principalement le prélèvement de reins, et qui ont repris en France depuis 2007 ?

Le Professeur Huriet a réagi à mes questions en exprimant son indignation au sujet de "l’utilitarisme de l’embryon" qui se profile dans la prochaine loi de bioéthique :
Professeur Huriet : "Je ne souscris pas au plaidoyer du Professeur Debré en faveur de l'utilisation des cellules souches prélevées sur des embryons surnuméraires et me suis d'ailleurs exprimé à plusieurs reprises sur ce point. Je récuse le rapprochement entre le prélèvement d'organes post-mortem et l'utilisation des embryons surnuméraires car il fait totalement abstraction du principe éthique universel d'autonomie de la personne qui s'exprime à travers le consentement. Les textes qui régissent le prélèvement d'organes, en dépit des évolutions qu'ils ont pu connaître, soulignent l'obligation du consentement et de la possibilité d'exprimer un refus. Il est évident pour moi que l'utilisation de l' embryon humain constitue une instrumentalisation. 'Personne humaine potentielle' selon la définition d'ailleurs contestable du Comité Consultatif National d'Ethique, l'embryon est alors traité comme 'une chose'. En effet, 'l'accord des parents' auquel on se réfère est contraire au principe juridique en vertu duquel on ne peut pas consentir pour un tiers. Les discussions que suscite la position du Professeur Bernard Debré traduisent l'opposition irréductible entre ceux qui reconnaissent la dignité de l'embryon humain dès sa conception et les tenants de 'la personnification différee' pour lesquels l'embryon humain n'est pas une personne ,ou tout au moins, pas tout de suite ! A l'approche de la révision de la loi de bioéthique et des Etats Généraux qui vont être organisés prochainement, il est à craindre que la conception 'utilitariste' de l'embryon humain l'emporte."

C. Coste, auteur du weblog d'information "Ethique et transplantation d'organes" : Professeur Huriet, j'aimerais réagir à votre réponse si vous le permettez. Vous ne partagerez sans doute pas mon opinion, qui je l'avoue n'a pas rencontré beaucoup d'adeptes chez les chirurgiens effectuant des prélèvements d'organes sur donneurs morts. Il me semble pourtant que vous êtes beaucoup plus rigoureux sur l’application de la définition du début de la vie que sur celle de la fin de la vie, or permettez-moi de rappeler ce fait aussi élémentaire que peu connu du grand public : la seule science médicale échoue à définir le début et la fin de la vie. Il me semble donc qu’il y a ici un choix arbitraire qui est fait, en faveur de l’embryon (début de vie) et au détriment de la fin de vie. La zone grise d’éthique qui permet de définir la mort de manière à pouvoir prélever les organes est ainsi maintenue. Par zone grise d’éthique, j’entends cette définition légale de la mort permettant le don d’organes tout en constituant une fiction juridique, puisque d’un point de vue physiologique la personne n’est pas encore morte ; elle ne l’est que d’un point de vue légal.

Est-il "raisonnable et humain" (pour employer la formule du Professeur Axel Kahn, généticien, auteur de nombreux ouvrages et président de l'Université Paris-Descartes), ou bien, pour tout dire, hypocrite, de "sauver" l’embryon d’une main et de "sacrifier" le mourant donneur d’organes de l’autre ? Il me semble qu’il y a là deux poids deux mesures. Dans "humain", il y a "humanisme", et l’héritage des peintres humanistes nous a toujours montré que les derniers instants étaient (les plus) précieux. "La légalité d'une pratique n'est pas une garantie de sa conformité à la morale", rappelait récemment le Professeur Alain Grimfeld, président du Comité Consultatif National d'Ethique. Les lois de bioéthique servent toutes à la même chose : ériger en loi (ou en principes démocratiques à valeur "universelle") des questionnements sur le début et la fin de vie qui restent pour le moment sans réponse (ou sans certitude), car sur ce sujet la science est muette, tout comme elle n’a rien à dire en ce qui concerne la définition de la personne. Vous avez d'ailleurs déjà eu l'occasion de souligner ce point : parler de loi de bioéthique, c’est mélanger les torchons et les serviettes : la loi indique ce qu’il faut impérativement respecter et faire au nom de la démocratie au sens de contrat social (pour ne pas être mis au ban de la société) ; la bioéthique est un questionnement sur le début et la fin de la vie. Le terme de loi de bioéthique relève donc du contresens. Ce que dit l’éthique ou "emmerderesse" - pour reprendre un terme de Paul Valéry -, et que personne n’écoute : si on autorise le prélèvement d’organes, il faut autoriser les recherches sur les embryons ne faisant pas l'objet de projet parental, exactement comme le demandent le Professeur Debré et le Professeur Axel Kahn.

Professeur Huriet, si vous le permettez, je souhaiterais "élargir" votre réponse sur l'embryon (qui représente le début de la vie) en la transposant au domaine de la fin de la vie (le don d'organes "post-mortem"), puisque les deux extrêmes de la vie, début et fin, posent des questions d'éthique : en effet, ne peut-on dire que là où s'arrête la réponse de la science, le questionnement éthique prend le relais ?

Professeur Huriet : "Je récuse le rapprochement entre le prélèvement d'organes post-mortem et l'utilisation des embryons surnuméraires car il fait totalement abstraction du principe éthique universel d'autonomie de la personne qui s'exprime à travers le consentement."
C. Coste : Un mourant considéré comme mort n’ayant plus les droits de la personne par un tour de passe-passe légal que nous appellerons "fiction juridique", le principe éthique universel d’autonomie de la personne qui s’exprime à travers le "consentement éclairé" est bafoué : à aucun moment le grand public n’est informé que son consentement au don d’organes lui "volera sa mort" - au sens humaniste du terme, comme vu plus haut.

Professeur Huriet : "Les textes qui régissent le prélèvement d'organes, en dépit des évolutions qu'ils ont pu connaître, soulignent l'obligation du consentement et de la possibilité d'exprimer un refus."
C. Coste : Le consentement éclairé sans le préalable de l’information ne signifie plus grand-chose : on consent au don de ses organes APRES sa mort. La désinformation institutionnelle est flagrante, elle est permise par la fiction juridique de la mort du donneur d’organes. Il faut bien parler de fiction, puisque l'état physiologique du patient potentiel donneur d'organes d'une part et le statut légal de ce patient d'autre part ne correspondent pas : sur le plan physiologique, on a affaire à un patient en fin de vie, tandis que sur le plan légal, on n'a plus affaire à une personne, mais à un réservoir d'organes, un mort et non plus un patient (voir le terme "post-mortem" que vous employez).

Professeur Huriet : "Il est évident pour moi que l'utilisation de l'embryon humain constitue une instrumentalisation".
C. Coste : Il est évident pour moi que l’utilisation du donneur d’organes constitue une instrumentalisation, un "utilitarisme de la mort".

Professeur Huriet : "'Personne humaine potentielle' selon la définition d'ailleurs contestable du Comité Consultatif National d'Ethique, l'embryon est alors traité comme 'une chose'".
C. Coste : Le donneur d’organes n’a plus les droits de la personne et il fait l’objet de "soins" constituant une violation des fondements de la déontologie médicale (ne pas nuire). Il est traité comme un simple réservoir d’organes, privé des droits du patient en fin de vie (loi Léonetti d’avril 2005), or dans les faits il s’agit d’un patient en fin de vie, même si la fiction juridique inscrit la mort du donneur d’organes dans la loi afin de contourner ce problème de déontologie médicale. Bien sûr contourner ne signifie pas résoudre.

Professeur Huriet : "En effet, 'l'accord des parents' auquel on se réfère est contraire au principe juridique en vertu duquel on ne peut pas consentir pour un tiers".
C. Coste : En effet, "l’accord des proches" confrontés au don d’organes est contraire au principe juridique en vertu duquel on ne peut pas consentir pour un tiers. C’est bien le témoignage des proches qui est sollicité dans cette situation. Si je suis résolument contre le don d’organes, je vais prétendre que mon proche, qui est mourant et dont on me demande les organes, était opposé au don d’organes ! Si je suis résolument pour le don d’organes, je vais prétendre que mon proche, qui est mourant et dont on me demande les organes, était pour le don de ses organes, tout en sachant pertinemment qu’il y était opposé (et en prime, on me remerciera pour ma "générosité").

Professeur Huriet : "Les discussions que suscite la position du Professeur Bernard Debré traduisent l'opposition irréductible entre ceux qui reconnaissent la dignité de l'embryon humain dès sa conception et les tenants de 'la personnification différée' pour lesquels l'embryon humain n'est pas une personne, ou tout au moins, pas tout de suite !"
C. Coste : Les discussions que suscite la position "contre" ou "pour" le don de ses organes à sa mort traduisent l'opposition irréductible entre ceux qui reconnaissent la dignité du mourant pas encore décédé et ceux pour qui il convient d’évacuer la question de la fin de vie : mourant ou mort, cela ne fait de différence qu’à condition d’y croire, et encore (l’héritage humaniste étant évacué par la même occasion). Ceux-là même qui croient qu’il est "in" de "zapper" l’agonie du mourant (et si en plus les organes peuvent servir) ignorent tout de l’agonie du donneur d’organes. Or, pour toute "zappée" qu’elle est, cette agonie existe. Mais le discours public sur le don d’organes ravale ces cruelles réalités au rang de ringardises, ce qui est le comble de la tartufferie.

Il me semble que le passage que je citais, tiré du "Dictionnaire amoureux de la médecine" du Professeur Bernard Debré, est révélateur, car il a le mérite de pointer vers une exigence éthique : si on veut respecter le doute sur le début de la vie, il faut respecter celui sur la fin de vie. Ou bien ni l’un ni l’autre. En quoi le rapport bénéfice-risque à utiliser un embryon serait-il différent de celui à utiliser un mourant, finalement ? Il me semble que c’est là la question que pose le Professeur Debré.

Que le Professeur Huriet soit ici vivement remercié pour sa contribution à la réflexion éthique.

Je souhaiterais à présent citer Mme Carine Camby, Conseiller maître à la Cour des comptes, ancienne directrice générale de l’Agence de la biomédecine de 2005 à mai 2008. Petit rappel du contexte : officiellement créée le 5 mai 2005 par décret dans le cadre de la loi de bioéthique du 6 août 2004, l'Agence de la Biomédecine a été inaugurée mardi 10 mai 2005. Elle a pris le relais de l'Etablissement Français des Greffes, sous la direction de Mme Carine Camby, qui était auditionnée le 10 décembre 2008 à l'Assemblée Nationale, devant la Commission parlementaire chargée de la Mission d’information sur la révision des lois bioéthiques.

Mme Carine Camby : "La loi de bioéthique passe son temps à encadrer des pratiques d'exception par rapport à des principes" (lien). Il me semble que, des bricolages (à mes yeux, la fiction juridique de la mort du donneur d'organes en est un) et autres contresens ("loi de bioéthique") dont je parlais (certes sur le ton de la provocation), aux "pratiques d'exception" mentionnées par Mme Camby, il n'y a qu'un pas. Une loi de bioéthique sans bricolages et contresens pour 2010 ? Il me semble qu'on en est encore loin. Ne peut-on imaginer que l'Agence de biomédecine, à l'issue de la loi de bioéthique de 2010, se verra renforcée dans son rôle d'encadrement de "pratiques d'exception par rapport à des principes" ? Rappelons que cette Agence a été issue d'un décret parlementaire (Assemblée Nationale et Sénat). "La légalité d'une pratique n'est pas une garantie de sa conformité à la morale", disait le Professeur Grimfeld, cité plus haut. Il me semble que c'est là une conséquence directe d'un mariage contre nature, mais consommé depuis les années 90 : celui de la loi avec celui de la bioéthique (en tant que questionnement sur la vie).

Il ne faut certes pas jeter le bébé avec l'eau du bain (surtout que le sujet de l'embryon est un sujet sensible !), mais en "écolo de la vie" ou en Nicolas Hulot de la médecine, pour employer une image plaisante, on pourrait formuler l'idée suivante, sur le ton de la provocation bien entendu :

En tant qu’usager de la santé, j’observe avec angoisse l’émergence - par le biais du lobby "Agence de la biomédecine", qui ne défend que ses propres intérêts au détriment de l’intérêt commun que j’appellerais "humanisme" - de deux Minotaures : les "lois de bioéthique" (monstrueuse alliance de la loi avec la démarche de questionnement éthique ou humaniste) et les "Etats généraux de la bioéthique" (référendum fermé ou limité dans le temps, portant sur des questions de biomédecine qui, par définition, du fait même de l’héritage humaniste, sont ouvertes sur une continuité dans le temps).

Il faut mettre à nu les rouages de la désinformation institutionnelle sur le "don" d’organes - cette désinformation étant partiellement consentie ou recherchée par le grand public, approuvant l'idée selon laquelle les organes d'un mort peuvent soigner un vivant, or il s'agit là d'un mythe, car bien entendu seuls les organes d'un mourant peuvent à la rigueur remplir cette mission. Mais en même temps, il faut donner aux usagers de la santé l’envie de comprendre que c’est tout l’héritage humaniste qui est mis en péril par le lobby "Agence de la biomédecine", dont le rôle est d’"encadrer", c’est-à dire de techniciser quitte à déshumaniser, des "pratiques d’exception" ou transgressions, par rapport à la "norme" ou héritage humaniste. Mission impossible ? Il en va de même pour la mission, ou "challenge", que représentent les Etats généraux de la biomédecine, car enfin, comment prétendre, et en un court laps de temps, non seulement informer le grand public sur des sujets scientifiques, éthiques et moraux complexes divisant les spécialistes, mais encore recueillir un consensus qui, au sein des spécialistes, qu'ils soient scientifiques ou politiques, est inexistant à l'heure actuelle ? L'humanisme est ringardisé comme un dinosaure de l'époque pré-scientifique. Or les dissensions, le consensus mou et les multiples dilemmes mis à jour lors du chantier de "révision" des lois de bioéthique de 2004 montrent bien que cet humanisme que l'on croyait disparu n'a pas dit son dernier mot.