Dans le New England Journal of Medicine (NEJM), revue médicale scientifique anglo-saxonne de premier plan, un article publié le 14/08/2008 concerne les prélèvements d’organes "à coeur arrêté" aux USA et au Canada. Cette technique de prélèvement d’organes, dite "à cœur arrêté", se pratique depuis plus de quinze ans aux USA et au Canada. Sa pratique en France est plus récente : une loi datant de 2006 autorise désormais la reprise de cette technique de prélèvement d’organes, afin d’étendre le pool des donneurs d’organes face à la pénurie de greffons. Jusque là, en France, seuls les patients en état de mort encéphalique pouvaient être considérés comme donneurs d’organe(s). Depuis 2006 en France, une situation d’arrêt cardiaque peut faire de chacun de nous un donneur d’organes potentiel.
L’article du NEJM soulève la question des limites des prélèvements à coeur arrêté – Donation after Circulatory Death en anglais (DCD). Cet article a été rédigé par le Professeur James L. Bernat, service de neurologie, Dartmouth Medical School, Hanover, New Hampshire, USA.
Les réflexions de l’article sont étayées par un débat filmé et retransmis sur le NEJM (lien). Ce débat (en langue anglaise) concerne des questions d’éthique soulevées par la pratique aux USA des prélèvements à coeur arrêté.
L'objet de l'article intitulé "La règle du donneur mort : une voie sans issue" est d'exposer le débat éthique mentionné ci-dessus afin de le rendre accessible à des usagers de la santé en France. Pourquoi les Américains veulent-ils remettre en question "la règle du donneur mort" ?
Nous défendons l’idée selon laquelle ces débats éthiques concernent en premier lieu les usagers de la santé et doivent être posés en termes simples et honnêtes afin d’être portés à la connaissance du plus grand nombre.
Dans le contexte des prélèvements d'organes à partir de donneurs morts, L'article s'attache à expliciter la différence entre le constat de décès sur le plan légal d'un côté, et l'état physiologique réel du patient potentiel donneur d'organes pour lequel ce constat de décès a été prononcé de l'autre côté. Y-a-t-il coïncidence ou clivage entre la mort légale et la mort physiologique dans le contexte d'un potentiel don d'organe(s) ? Comment ces deux concepts - mort légale et mort physiologique - ont-ils évolué ? Nous démontrons qu'au fil des progrès de la science, la pratique d'un "constat de décès anticipé" est devenue légale, dès lors qu'il y a l'éventualité d'un don d'organes. Les conséquences de cette pratique sont analysées, afin de permettre la compréhension du contexte du débat mis en ligne sur le NEJM. Nous constatons deux orientations radicalement différentes vis-à-vis de la "règle du donneur mort": celle américaine et celle française.
Extrait de l'article :
Il est capital, pour comprendre l’histoire des transplantations d’organes, d’envisager clairement ce glissement des frontières de la mort : d’abord un constat de décès assorti d’une grande marge de sécurité (les veillées funèbres) ; puis un constat légal de décès coïncidant avec l’état physiologique réel du patient : c’est le cas lors des premières transplantations en 1968 et des prélèvements "à cœur arrêté" sur les condamnés à mort guillotinés à la fin des années 50. Dans les deux cas, il ne s’agissait pas de généraliser la pratique des transplantations, ni d’étendre un pool de patients en attente de greffe, afin de faire de la greffe un traitement courant ! Avec l’apparition de la cyclosporine (ou ciclosporine), puissant médicament antirejet, les résultats des greffes donnent à penser que la pratique des transplantations est généralisable. On assiste alors à un clivage entre le constat légal de décès permettant le prélèvement d’organes d’un côté, et l’état physiologique réel des patients donneurs potentiels (dont le décès légal a été prononcé) de l’autre. Ce clivage, cette déchirure sont dus à l’explosion du nombre de patients en attente de greffe et à la pression sociétale visant à garantir l’accès à la greffe pour le plus grand nombre. Aujourd’hui en France, et ce depuis la fin des années 90, le décès peut être anticipé dès lors qu’un cas de transplantation d’organes est envisageable. La loi permet de faire d’un décès prévisible un constat de décès : le décès précoce est inscrit dans la loi en France. Cette pratique est dite éthique car elle permet la généralisation de la pratique des transplantations d’organes, reposant sur la générosité et sur la solidarité entre les usagers de la santé. Ce système repose sur la générosité ; et non sur l’information, ni sur le consentement éclairé, alors même que le consentement présumé est inscrit dans la loi, que nul n’est censé ignorer. Les changements de loi successifs ne portent pas sur le don d’organes : depuis les débuts, le consentement présumé est inscrit dans la loi, de ce côté-là, rien n’a changé. Ce qui fait périodiquement l’objet de modifications légales, à mesure des progrès de la science, c’est le constat de décès sur le plan légal, et non le consentement présumé ! Or le grand public ignore largement ces modifications légales ou législations successives concernant le constat de décès. Tous les citoyens savent-ils seulement que les médecins peuvent déclarer morte une personne dont le cœur bat toujours, en vue du prélèvement des organes de cette personne ? Il s’agit là pourtant du b-a – ba de l’affaire ! Les institutions publiques françaises demandent aux citoyens de réfléchir au don d’organes, sans qu’il s’agisse d’informer sur les définitions légales de la mort ou de soumettre ces dernières à un référendum. Nous nous trouvons là face à une contradiction majeure, du seul fait que nul n’est censé ignorer la loi.
"La règle du donneur mort, une voie sans issue !"
(document PDF, 21 pages, 400 Ko) :
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==> Version publiée sur AgoraVox (27/08/2008): lire.