Vers une mise à jour de la "règle du donneur mort" sur le plan éthique et scientifique ?
La "règle du donneur mort" prévaut pour le prélèvement d’organes "post-mortem" en France comme dans les autres pays. Le donneur d’organes doit être reconnu comme mort sur le plan légal avant que puisse avoir lieu un prélèvement d’organes et de tissus. Ce principe est inviolable. Pour autant que ce principe se comprenne aisément, les réalités d’un prélèvement d’organes sont néanmoins complexes. Le donneur, qui n’est plus un patient et qui n’a plus les droits de la personne, est une vie sur le départ. Les organes d’un mort ne soignent personne, c’est ce qu’il faut bien comprendre. Il conviendrait donc d’envisager le don d’organes dans le contexte d’une fin de vie. Le donneur est-il toujours anesthésié en vue de l’opération visant à prélever ses organes et tissus ? Voilà qui serait contraire au principe selon lequel prélever les organes d’un donneur qui ne serait pas mort serait un crime. Un mort n’a pas besoin d’anesthésie. Là encore, le principe est simple et tient en quelques mots : un mort, cela n’a mal nulle part. Ce point de vue, qui honore le principe (la "règle du donneur mort") permet aussi de passer sous silence des réalités qui dérangent : les donneurs d’organes "post-mortem", durant des années, n’ont pas toujours été anesthésiés - ou suffisamment anesthésiés - au préalable du prélèvement de leurs organes, ce qui a provoqué au sein du corps médical, dans le plus grand secret, (si jamais les familles des donneurs venaient à l’apprendre !) un malaise certain. Entre 2005 et 2010, en France, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, mais aussi en Australie, j’ai pu recueillir nombre de témoignages allant dans ce sens, c’est-à-dire pointant vers un certain malaise, voire une terreur, de certains professionnels de santé confrontés aux réalités d’un prélèvement d’organes "post-mortem". L’ouvrage de l’infirmière-anthropologue Claire Boileau, "Dans le dédale du don d’organes", paru en 2002 aux Editions des archives contemporaines, visait d’ailleurs à aborder, courageusement comme il convient de le souligner, ce problème : il arrivait que le donneur d’organes ne soit pas, ou trop peu anesthésié en vue du prélèvement de ses organes, et cela terrifiait certains acteurs de santé – des médecins ou chirurgiens aux aides-soignantes, en passant par les infirmiers et infirmières, qui, pour autant, sont tous muselés par le secret médical. Est-ce que cela arrive encore aujourd'hui, et dans quels pays ? Le sujet de la douleur dans le contexte d’un prélèvement d’organes "post mortem" n’est pas un sujet public, c’est pourtant un sujet qui se situe au cœur des réalités d’un prélèvement d’organes "post-mortem". Le donneur d’organes dit décédé est certes décédé sur le plan légal, mais sur le plan physiologique, il est mourant. Il s’agit d’une vie sur le départ. Il peut être éthique de chercher à récupérer des organes dans ce contexte, afin de sauver ou de prolonger des vies. Mais la "règle du donneur mort" pose un problème d’éthique sur le plan de la déontologie médicale. En effet, le médecin n’est-il pas supposé prendre en compte l’intérêt du seul patient qui se trouve en face de lui, et non sacrifier l’intérêt de ce patient au profit d’autres, en attente de greffe ? La "règle du donneur mort", dans un contexte où plus de 15.000 patients attendent un organe en France, risque bien de contraindre les professionnels de santé à exclure de plus en plus de potentiels donneurs d’organes de la communauté des mourants, au nom même de ce principe intangible que constitue la "règle du donneur mort". Reconnaître que le donneur d’organes est une vie sur le départ équivaudrait à reconnaître que les réalités du terrain priment sur le principe. Il deviendrait alors possible de prendre du recul par rapport à ce principe ou à cette règle, qu’il s’agirait de dépasser et non de violer. Il s’agirait d’opérer une mise à jour de cette "règle du donneur mort" sur le plan éthique et scientifique. Afin de soulager ce qu'il faut bien appeler une certaine détresse de certains professionnels de santé, acteurs des transplantations, muselés par le Secret médical, il conviendrait de rendre public le sujet de la douleur encéphalique, dans un premier temps au sein du corps médical lui-même. Dans un second temps, les usagers de la santé devraient pouvoir s’emparer de ce sujet de bioéthique et envisager le don d’organes dans un contexte de fin de vie. Ce blog d’information présente des études scientifiques apportant et documentant divers éclairages sur la question.
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