Le 7 février 2008 avait lieu la conférence : "La greffe du visage : du débat éthique à la réalité chirurgicale" (Petit-amphithéâtre de la Faculté de médecine, Strasbourg). Organisateur : Centre Européen d’Enseignement et de Recherche en Éthique (Site : ethique-alsace.com).
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Lors de sa présentation à cette conférence, le Professeur Laurent Lantieri, Professeur de chirurgie plastique, CHU Henri-Mondor (Paris), l'un des pionniers de la greffe de la face en France, a fait la remarque suivante sur les prélèvements d'organes "à coeur arrêté" :
"Le prélèvement à coeur arrêté, c'est un patient qui fait un arrêt cardiaque, que l'on maintient en arrêt cardiaque et que l'on refroidit, dans l'éventualité de faire un prélèvement d'organes. Il y a une difficulté : il y a un conflit avec le fait qu'on pratique un massage cardiaque pour faire repartir le coeur du patient : on se retrouve parfois dans un conflit entre les deux [intention de soin et intention de prélèvement d'organes, ndlr.], et je ne suis pas sûr qu'on ait bien prévenu la population du fait que quand on pratique un massage cardiaque sur une personne au bord de la route et qu'un SAMU arrive, ça peut aussi bien être pour le réanimer que, en cas d'échec de la réanimation, pour prélever les organes. Cela me pose problème, alors que je suis tout à fait pour le prélèvement à coeur arrêté. Mais je pense qu'il faut prévenir la population de cette particularité. Sinon, on risque de se retrouver avec des patients qui porteront des bracelets, comme les Américains. 'Do Not Ressuscitate' : 'je ne veux pas qu'on me réanime'. Cela risque d'être, à mon avis, un vrai problème."
L'Espace Ethique de l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP) conduit actuellement un projet de recherche sur les prélèvements d'organes "à coeur arrêté". Au cours de la réunion du 19 février 2008 (compte-rendu), les équipes de réanimation ont exposé des situations qui "illustrent (...) la complexité de la notion du 'mourir' et de ce qui peut échapper finalement aux efforts de maîtrise pour la définir. (...)." En effet, le cas d'un patient à réanimer, qui est devenu un donneur d'organes potentiel (suite à échec des tentatives de réanimation), puis à nouveau patient à réanimer (la réanimation ayant finalement fonctionné), a été évoqué. Il existe donc bel et bien des patients chez lesquels, après le constat de leur décès suite à échec des tentatives de réanimation, on constate néanmoins la reprise d'une activité cardiaque !
Des exemples de "reprise d'une activité cardiaque après constat d'arrêt pendant 5 mn [il s'agit du constat de décès suite à 5 mn d'inactivité du coeur après arrêt des tentatives de réanimation, ndlr.] montrent l'incomplétude de nos approches." En effet, "l'irréversibilité de l'arrêt cardiaque, affirmée pendant un temps, s'est trouvée contredite - à un moment où il était devenu par construction déraisonnable de poursuivre une réanimation." (p. 14).
Le compte-rendu de cette même réunion aborde le problème suivant : comment devient-on "donneur potentiel 'à coeur arrêté' : la complexité d'un moment médical et social de la mort" : [p. 16 :] un intervenant fait remarquer que "(...) nous sommes tous virtuellement donneurs potentiels, dès lors que nous sommes chacun sujet à une possible mort subite." D'autre part, le consentement présumé est inscrit dans la loi : nous sommes tous des donneurs d'organes présumés. Etre en possession d'une carte de donneur ou non n'y change rien. "Cette vue d'amont renvoie à la perception plus générale par la société de la mort, du don d'organes, et des pratiques de prélèvement 'à coeur arrêté'."
Dès lors se pose la question du discours public sur le prélèvement d'organes "à coeur arrêté". Pour le moment, il n'existe pas de communication publique sur le sujet. Or des prélèvements "à coeur arrêté" ont été effectués depuis 2006, il a donc bien fallu demander le "consentement éclairé" (inscrit dans la loi) du donneur potentiel, ou, à défaut, le témoignage des proches sur ce consentement. On comprend bien que dans de telles conditions, le consentement éclairé ne signifie pas grand-chose. Rappelons qu'en 8 mois de pratique au CHU Saint-Louis (Paris), 36 donneurs ont été "accueillis", 28 reins prélevés, 15 greffes réalisées (source p. 14).
Le document de la réunion du 19 février 2008 [p. 17] constate que "la complexité du sujet est telle qu'il semble délicat de définir en quoi consisterait une information juste du public sur ces enjeux - un médecin ajoute que la communication, en interne, avec les professionnels à cet égard s'avère déjà assez difficile."
Présentation du projet du groupe de travail de l'Espace Ethique :
"Après un an d’expérience en France, un groupe de travail constitué principalement de professionnels impliqués sur le terrain (notamment SAMU/SMUR/Pompiers, Réanimation/Réveil, Coordinations hospitalières de prélèvements d’organes et de tissus, Agence de la biomédecine) est constitué au sein de l’Espace éthique / AP-HP avec pour objectif d’approfondir une réflexion sur les enjeux éthiques identifiés par les acteurs de ces pratiques. La phase 'pilote' ou 'expérimentale' d’une technique nouvelle de prélèvement d’organe dite 'à cœur arrêté' a débuté en France. Une dizaine de centres de transplantation sont concernés, et la première transplantation utilisant cette technique a eu lieu le 21 octobre dernier, sans écho dans les médias."
Argumentaire :
"Les exigences spécifiques de prélèvement d’organes avec donneur à 'cœur arrêté' font émerger des questions devant faire l’objet de développements et d’approfondissement :
- Comment réfléchir l’accompagnement et le recueil du témoignage des proches de la personne décédée, quand le temps imparti à cette démarche est considérablement restreint par la nécessité de mettre en place des moyens de conservation des organes ?
- Quelles sont les conditions de respect du corps de la personne juste après son décès lorsqu’on pratique sur lui des gestes techniques invasifs ?
- Comment envisager une pédagogie spécifique du grand public que suppose la notion de 'consentement présumé' au don d’organes ?
Une réflexion éthique sur les pratiques qui entourent le prélèvement, et les modalités de mise en œuvre cohérente et respectueuse des principes affirmés par notre société semble aujourd’hui indispensable."
Réunions et compte-rendus :
1.-) Réunion du 27 novembre 2007 :
Axes de travail identifiés :
"Cette première réunion permet de dégager six axes de travail pouvant faire l’objet d’approfondissement par le groupe lors des prochaines réunions :
- Relation et communication avec les proches de la personne décédée
- Définition de la mort, conviction du décès, constat du décès, intentions thérapeutiques
- Pratiques actuelles et recherche sur la réanimation médicalisée de l’arrêt cardiaque en milieu extra-hospitalier
- Accueil et dialogue avec les proches à l’hôpital dans le contexte d’un prélèvement à coeur arrêté
- Présentation du corps de la personne aux proches
- Information de la société dans son ensemble"
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2.-) Réunion du 8 janvier 2008 :
Synthèse :
"La seconde réunion du groupe de travail multidisciplinaire 'coeur arrêté'
évoque le statut de la personne pendant et après réanimation. Cette question interroge directement nos définitions de la mort, orientant directement le travail de la réunion suivante sur le thème suivant : A quel moment devient on donneur potentiel ? La réunion permet également de faire le point sur une situation complexe de coexistence, en certains endroits du territoire français, de possibilité de prélèvement sur patients à cœur arrêté en vue du don d’organes, et de possibilité d’utilisation des mêmes techniques nouvelles ( ECMO, ECLS) en vue d’une réanimation en cas d’échec de la réanimation conventionnelle. Cette coexistence, en contexte de recherche médicale formalisée ou non rend la clarification des critères d’inclusion absolument nécessaire."
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3.-) Réunion du 19 février 2008 :
Synthèse :
"La réunion du 19 février, dont l’objet était de savoir comment on devient donneur potentiel, a été fortement marquée par l’expérience clinique récente d’une des équipes impliquées dans notre réflexion, que nous exposons dans le présent résumé. L’analyse de ce cas clinique sur le plan éthique ; un travail de distinction entre arrêt de soins et arrêt de réanimation, et efficacité ou inefficacité de la réanimation ; la complexité du moment médical et social de la mort et un rappel des enjeux de communication sont les points principaux de la réflexion du groupe de travail à cette date."
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Source :
http://www.espace-ethique.org/fr/transplantations.php