Quels sont les critères de définition de la mort, sur lesquels se fondent les acteurs des transplantations afin de déclarer le décès d'une personne en état de "mort encéphalique" ou en "arrêt cardio-respiratoire persistant", et de pouvoir procéder au prélèvement de ses organes (l' autorisation des proches ayant été requise au préalable) ? Ces critères varient, sur le plan scientifique, et sont sujets à débat. Il n'en demeure pas moins que le patient potentiel donneur d'organes subit une réanimation invasive qui n'est pas dans son intérêt, dans le "seul" but de préserver ses organes à des fins de transplantation. Ce patient, en réanimation intensive et invasive, ne saurait être qualifié de "mort". La situation de vie artificielle dans laquelle le donneur se trouve - situation causée par des gestes techniques invasifs de réanimation pratiqués sur le donneur - est problématique. Nous nous trouvons face à un dilemme : il faut préserver des organes en pratiquant des gestes techniques invasifs à des fins de réanimation sur un patient dont on prévoit le décès. Aujourd'hui, on meurt à l'hôpital. Or le développement des soins palliatifs vise à limiter la fréquence de ces situations inextricables provoquées par des gestes techniques invasifs en service de réanimation - service que l'on pourrait qualifier de milieu de haute technicité. Un (potentiel) donneur d'organes passe par le service de réanimation. Il conviendrait de réfléchir sur le statut de tels patients lors de leur fin de vie, alors qu'ils se trouvent en réanimation. Cette réflexion devrait envisager l'accompagnement du patient (voir la loi sur la fin de vie, dite loi Léonetti d'avril 2005), et non la seule question de la générosité du don de ses organes 'après' (?!) sa mort. Ne risque-t-on pas de voir s'affronter deux courants de pensée inverses ? D'un côté, la pression idéologique, qui pèse très fortement sur l'ensemble du corps médical, pour trouver des donneurs d'organes dans un contexte de pénurie de greffons. D'un autre côté, la diffusion de la culture des soins palliatifs et de l'accompagnement du mourant devrait inciter à réfléchir sur le statut d'un mourant donneur d'organes, et à se poser la question : "douleur et prélèvements d'organes". Aux USA, il n'est pas rare de rencontrer des personnes porteuses d'un document stipulant : "Do not ressuscitate", "Do not intubate". Précisément afin d'éviter de se retrouver dans des situations inextricables ?... Il faut savoir que les familles confrontées au don d'organes sont déchirées entre le devoir d'accompagner au mieux leur proche mourant, et celui d'aider autrui en autorisant le prélèvement des organes de leur proche. Le don d'organes, entre dilemme inhumain, utilitarisme de la mort et générosité ?
Dans la Lettre "Réseau-CHU" (RESEAU-CHU Newsletter) N° 424 du 8 juillet 2008, on peut lire, dans un article intitulé "CHU de Nantes : Prélèvement 'à cœur arrêté' : une course contre la montre" : "(…) selon la dernière loi de bioéthique (2004), fournir un greffon à qui en a besoin correspond à une obligation de santé publique."
(Lien)
Cette obligation est-elle vraiment inscrite dans la loi de bioéthique de 2004 ? Si oui, le sera-t-elle dans la prochaine loi, prévue à horizon 2009-2010, et qui constituera une révision de la loi de bioéthique de 2004, actuellement en vigueur ? Cette résolution, dite "obligation de santé publique", ne risque-t-elle pas de rester lettre morte face au problème de pénurie de "greffons" ?
Comment qualifier la mise à disposition de greffons à des fins de transplantation d’"obligation de santé publique", alors même que le diagnostic de mort pour un donneur d’organes, qui se retrouve soit en état de "mort cérébrale" ou "encéphalique", soit en état d’"arrêt cardio-respiratoire persistant", ne fait que l’objet d’un consensus mou au sein de la communauté médicale ?
Je suis intervenue au printemps 2008 dans un Institut de Formation et de Soins Infirmiers en France (IFSI), sur le thème "éthique et don d’organes". Ce module optionnel intéressait une 20aine d’étudiants de 3ème année, en fin de formation. L’idée était d’apporter mon témoignage sur la rédaction du weblog d’information "Ethique et transplantation d’organes". Les thèmes abordés et débattus : début et fin de vie : point de vue de l’éthique ; les prélèvements d’organes sur donneurs décédés ("mort encéphalique", "mort cérébrale", "arrêt cardio-respiratoire persistant"). Les étudiants avaient eu le cours sur la législation, l’organisation et le prélèvement d’organes auparavant.
L’IDE formatrice qui avait sollicité ma venue a travaillé pendant très longtemps comme infirmière coordinatrice des transplantations d’organes. Après mon intervention, nous avons eu un entretien. En réponse à ma question (que je pose depuis mars 2005) : "vais-je souffrir si on me prélève mes organes à ma mort ?", elle m’a fait part de son point de vue, lié à son expérience : les malades qui se trouvent dans un état de coma profond pourraient sentir la souffrance. Elle m’a parlé d’un de ses patients, qui s’est très bien sorti d’un état de coma profond qui a pourtant duré. Or elle m’a confirmé le fait que des prélèvements d’organes sont pratiqués sur des patients en état de coma profond. D’où mon étonnement : le discours officiel sur les prélèvements d’organes sur donneurs décédés insiste pourtant sur la distinction entre coma profond et coma dépassé. Le coma dépassé équivaut à la mort encéphalique, c'est un état irréversible qui, seul, permettrait le prélèvement d’organes, tandis que le coma profond ne permettrait pas le prélèvement d'organes. C’est ce que m’avait écrit le Professeur Iradj GANDJBAKHCH, Chef de Service à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris 13ème) - Service de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire :
Lien : http://ethictransplantation.blogspot.com/2005/03/douleur-et-prlvement-dorga_111979831434769933.html
Et aussi le Professeur Louis PUYBASSET, service de Neuro-Réanimation à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière :
[10/09/2005] "Je suis responsable d’une réanimation de neurochirurgie qui s’occupe beaucoup de prélèvements d’organes. Le diagnostic de mort cérébrale en France est le plus rigoureux du monde. Il repose sur la conjonction d’un examen clinique indiscutable et de 2 EEG plats en normothermie ou d’un angioscanner ou d’une artériographie montrant une perfusion nulle du cerveau. Il n’en est pas de même dans d’autres pays où vos craintes pourraient être partiellement justifiées (USA, Angleterre où ces examens ne sont pas requis).
Je peux vous affirmer qu’avec une telle démarche, les patients prélevés n’ont réellement plus aucune fonction cérébrale. J’en veux pour preuve que tous ceux pour lesquels la famille refuse et que nous extubons décèdent dans les quelques minutes qui suivent.
Cela n’empêche pas que des réactions médullaires peuvent persister chez ces patients, comme cela survient chez les tétraplégiques, si la moelle reste encore vascularisée. Ceci peut parfois être responsable de mouvements automatiques des membres à la stimulation douloureuse qui peuvent être impressionnant. C’est la raison pour laquelle ces patients sont le plus souvent maintenus sous morphine à petites doses.
Le problème de la réanimation de ces patients en vue de prélèvements est différent. Je vous répondrai que cette réanimation est limitée dans le temps et qu’elle est douloureuse pour les soignants. Si nous faisons cela, ce n’est pas pour faire souffrir une famille mais pour sauver d’autres vies. Je vous recommande très vivement d’ouvrir votre blog à des receveurs d’organes qui doivent leur vie aux dévouement de ces médecins, de ces infirmières et des familles de donneurs qui pourraient voir certains des propos que vous rapportez comme une atteinte à leur honneur, voire les qualifier de diffamatoires.
Madame, vous-mêmes ou un de vos proches sera peut-être un jour receveur. Je ne doute pas que cela changera alors votre vision de cette médecine qui est une des plus belle qui soit car elle donne véritablement la vie et exprime ce qu’est la solidarité humaine contre l’égoïsme et le repli sur soi."
Est-ce à dire que la frontière entre coma profond et coma dépassé est parfois problématique ? Il faut garder à l'esprit le fait que le donneur d’organes en état de mort encéphalique n’est pas anesthésié en continu. Je reste donc avec ma question : douleur et prélèvement d’organes, que je me pose depuis mars 2005 : cette question posée au corps médical, et les réponses obtenues, sont à l’origine de ce webblog d'information "Ethique et transplantation d'organes".
En juin 2007, un lecteur sur Agora vox, le journal citoyen en ligne, m’avait posé les questions suivantes :
"La nécessité d’'opérer' d’urgence le 'donneur' pour préserver l’intérêt du receveur, ne nuit elle pas à l’efficacité des soins dont il aurait pu bénéficier ?N’arrive-t-il pas qu’un accidenté soit maintenu en survie artificielle, le temps de trouver un receveur ? Autrement dit, l’intérêt des 'donneurs' n’interfère-t-il pas avec celui des receveurs ? Encore plus grave : ne peut-on voir dans toutes ces dispositions la main des lobbies des professions concernées ? L’intérêt des receveurs et celui des lobbies étant a priori convergents ?"
J’avais transféré ces questions au Docteur Marc ANDRONIKOF, qui dirige le service des urgences à l’hôpital Antoine-Béclère, Clamart. Voici sa réponse :
"Il est évident, et ce n'est nié par personne, que les soins au 'donneur' sont profondément modifiés lors de l'optique d'un prélèvement. C'est tout à fait incompatible, à mon avis, (et ce devrait être l'avis de tout philosophe et de tout médecin honnête) avec une prise en charge médicale 'éthique'. Le 'donneur' perd ainsi sa qualité d'être humain, de malade, il est réduit à l'état de 'moyen', de pourvoyeur d'organes. La qualité de relation médecin/malade est par là totalement pervertie puisque le médecin ne poursuit plus le bien de celui qu'il a en charge. Au mieux, on est au pire de l'acharnement thérapeutique. Non c'est tout simplement scandaleux. Je ne comprends toujours pas que nos philosophes et chantres de l'éthique à tout crin n'aient jamais exposé 'ex cathedra' ces considérations simples. Ce silence est lui aussi scandaleux. Pour les lobbies :oui, oui et oui. Si vous supprimez la greffe, c'est tout un pan de l'économie suisse et mondiale qui s'effondre et des services hospitaliers, et des nominations etc. etc. Le 'donneur' est anesthésié, c'est aussi ouvertement écrit dans les manuels : pour empêcher les sautes de tension, les contractions musculaires etc. tout cela sur quelqu'un de soi-disant mort ! Quand je pense aux cris silencieux que doivent pousser les comateux, j'en suis malade."
Le Professeur Bernard DEBRE appelle de ses vœux "une véritable information des hommes et des femmes de France et d’ailleurs, cette information doit avoir lieu à travers des publications dans la presse, des forums, des émissions de télévision et des blogs". Or les usagers de la santé sont-ils assez conscients des enjeux du développement des banques de sang de cordon, du clonage thérapeutique ? Savent-ils que la réponse aux problèmes posés par les greffes (pénurie) passera aussi par les cellules souches, les cœurs artificiels, l’ingénierie tissulaire ? Autrement dit : cette "véritable" information est-elle à l’ordre du jour ?
Devrait-on réfléchir à l’éthique des transplantations à l’école, ou assurer la promotion du don d’organes ? Ainsi, la fameuse grenouille disséquée en cours de biologie par les collégiens de France et de Navarre était dite "décérébrée" (et non pas : "morte") avant 1996, date à compter de laquelle, la mort du cerveau étant inscrite dans la loi comme définition de la mort, notre grenouille doit être dite "morte"... Je suis enseignante en collège et lycée (langues vivantes). Certain(e)s de mes collègues sont choqué(e)s par le fait que ce qui est présenté dans les manuels de SVT comme "information" est en fait, encore et toujours, la promotion du don d’organes. D’autre part, les profs de SVT (biologie) de mon lycée ne s’y retrouvent plus : la mort du cerveau étant inscrite dans la loi, comment justifier les prélèvements "à cœur arrêté" sur donneur "mort", alors que la mort du cerveau ne peut pas être vérifiée dans cette situation ? Comment la prochaine loi de bioéthique va-t-elle intégrer cette incohérence ? Devra-t-on, encore et toujours, tenter de fournir une définition légale de la mort en vue de permettre les prélèvements d’organes ? A l’heure où on parle tant du droit des patients en fin de vie (loi Léonetti d'avril 2005), quel est donc le statut des donneurs d’organes dont on prolonge la vie ou que l’on réanime aux "seules" fins de conserver les organes en vue de leur prélèvement ?
N’y a-t-il pas un retard à l’allumage en France, comme le souligne d’ailleurs le Dr. Andronikof (06/2007) :
"Depuis peu en France [lois de bioéthique d’août 1996, révisées en 2004, ndlr], il y a une définition de la mort qui repose sur la mort encéphalique, autrement dit : quand il y a un coma tel que les gens ne pourront jamais revenir et qu’ils sont obligés d’avoir des machines pour respirer, pour tout, en fait, puisque le cerveau ne marche plus. Donc la définition de la mort en France repose sur une incompétence du cerveau, disons. J’ai été le premier je pense à m’élever, il y a 15 ans, contre cette définition de la mort puisque c’est extrêmement réducteur et finalement pas du tout réel puisque tout fonctionne sauf une partie du cerveau et là on dit que les gens sont morts. Mais c’est une pétition de principe, si vous voulez, mais c’est maintenant inscrit dans la loi en France, depuis quelques années. Ce qui est paradoxal, c’est que c’est inscrit dans la loi en France et en même temps, aux USA, en Grande-Bretagne, on se pose toutes ces questions qui sortent dans les articles en disant : ‘mais personne ne peut dire que ces gens-là sont morts !’ Donc c’est un paradoxe, on peut dire, une sorte de retard à l’allumage en France, où maintenant les gens sérieux et honnêtes ne peuvent pas dire que ces gens sont morts, mais il y a la pratique des transplantations, donc peut-être qu’on pourrait quand même les prélever puisque maintenant on ne peut rien faire pour eux. Mais ils ont bien compris qu’en fait personne ne peut dire qu’ils sont morts. En France, c’est inscrit dans la loi. Il faudra encore attendre un cycle, quelques années, pour qu’il y ait une prise de conscience en France." (source : http://blip.tv/file/260952)
L’information et l’éducation des usagers de la santé sur les questions de constat de décès sur le plan de l’éthique dans le cadre des transplantations d’organes est-elle possible, alors que ni le Professeur Bernard Debré avec "La revanche du serpent ou la fin de l’homo sapiens", ni le Professeur David Khayat avec "Le Coffre aux âmes" n’ont pu convaincre les acteurs des transplantations de relayer ces questionnements éthiques auprès des usagers de la santé...
Pour l’heure, des polémiques divisent toujours le corps médical.
En réaction à mon article intitulé "Le dogme de la mort encéphalique a vécu" - 05/09/08- , un usager de la santé écrivait :
"On est en droit de refuser toute dimension métaphysique au problème de la déclaration du décès et laisser les spiritualistes discuter entre eux du sexe des anges...et de l’après vie."
Discuter du sexe des anges, ou lever un tabou ? Un chirurgien me disait il y a quatre ans :
"Il faut que tu continues ce que tu fais pour informer le grand public. On ne parle pas plus de la mort [du donneur d’organes en état de mort encéphalique] que de la corde du pendu".
Les cas de coma profond qui peuvent donner lieu à des prélèvements d’organes sèment le malaise dans le corps médical. Le grand public est-il au courant ? Non. Un donneur d’organes n’est pas anesthésié en continu. Un donneur d’organes est réanimé. Ces réanimations sont douloureuses pour le corps médical, comme l’a rappelé le Professeur Claude HURIET à l’occasion d’une présentation au Sénat sur les cellules souches en novembre 2007. Le Professeur Claude Huriet est le Président de l’Institut Curie, Paris.
Voir sur ce thème l'article d'actualité (29/09/08) : "A propos des critères de mort". ==> (lire).
S’interroger sur le thème "douleur et prélèvement d’organes sur donneurs ’morts’", est-ce discuter du sexe des anges ?
Un représentant de l’Eglise a dit récemment :
"Le diagnostic prénatal est appliqué de manière presque routinière aux femmes dites à risque, pour éliminer systématiquement tous les foetus qui pourraient être plus ou moins malformés ou malades. Tous ceux qui ont la chance que leur mère porte sa grossesse à terme, mais la malchance de naître handicapés, risquent fort d’être éliminés tout de suite après la naissance ou d’être privés d’alimentation et des soins les plus élémentaires. Plus tard, ceux que la maladie ou un accident feront tomber dans un coma irréversible seront souvent mis à mort pour répondre aux demandes de transplantations d’organes ou serviront, eux aussi, aux expériences médicales, en tant que cadavres chauds. Enfin, quand la mort s’annoncera, beaucoup de gens seront tentés d’en accélérer la venue par l’euthanasie."
Ces propos émanaient du Cardinal Ratzinger (source), très réservé quant aux critères de Harvard [définissant dès 1968 la mort encéphalique comme étant la mort] et à la pratique qui en a découlé [celle des transplantations d'organes]. Selon lui, les prélèvements d’organes sur des donateurs en fin de vie sont souvent effectués sur des personnes pas encore mortes, mais 'mises à mort' dans ce but." [Au fait, Ratzinger, c’est le Pape actuel. Nul doute qu’il discute du "sexe des anges"...]