M. Alain Tesnière, le père de Christophe (voir l'"
affaire d'Amiens" de 1992), auteur du livre intitulé "
Les Yeux de Christophe" et publié aux Editions du Rocher en 1993, revient sur le dernier livre du Professeur Cabrol, ancien chirurgien cardio-vasculaire à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière et professeur de chirurgie à la faculté de médecine de Paris, actuellement membre de l'Académie de médecine. Ce livre, intitulé "
De tout coeur", a été publié le 16/03/2006 aux Editions Odile Jacob. L’association
ADICARE, Association pour le Développement et les Innovations en Cardiologie, a été créée par cinq cardiologues médecins, chirurgiens, réanimateurs de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris, les professeurs Jean Pierre Bourdarias, Christian Cabrol, Iradj Gandjbakhch, Claude Gibert et Yves Grogogeat. Au cinquième étage de
l'Institut de Cardiologie se trouve l'Association ADICARE présidée par le Professeur Christian CABROL : "Association pour le Développement et l'Innovation en Cardiologie", qui outre un auditorium permettant l'enseignement et des conférences avec toutes les facilités de télémédecine, dispose d'une bibliothèque, de salles d'enseignements et héberge l'INSERM MI 0214 : "Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale"
M. Alain Tesnière :
"Je recommande la lecture du livre de M. Cabrol 'De tout coeur' paru en mars 2006 aux éditions Odile Jacob. Ce livre résume toute la vie de M. Cabrol. Il avait deux amis - ils sont morts tous les deux - l'un s'est fait voler sa première mondiale par le second. Le premier va prendre sa revanche en réalisant une autre première mondiale. M. Cabrol ne sera que le premier en Europe, mais champion d'Europe, c'est déjà bien. M. Cabrol avait pourtant l'étoffe d'un champion de monde. Dommage !
M. Cabrol nous rappelle qu'il est un excellent technicien de la chirurgie cardiaque en nous distillant un cours d'anatomie.
Puis la moitié de son livre est consacrée à ses démarches pour créer l'Institut de Cardiologie. Le lecteur y apprend comment M. Cabrol est entré en politique. Le premier ministre, Jacques Chirac, a besoin de sa popularité pour devenir Président. M. Cabrol obéit et s'inscrit au comité de soutien du futur Président. Mais cela ne lui donne pas son Institut. Alors M. Cabrol va voir la gauche, il rencontre un autre Président. Mais rien pour l'institut parce qu'il a fait croire à Ségolène Royal qu'il était de gauche. Donc non. La popularité de M. Cabrol, tous les politiques la recherchent. M. Cabrol s'est donc fait berner par les politiques, il obtiendra son institut grâce à Mireille Darc qu'il opéra en 1980 à cœur ouvert et qu'il sauva ainsi de la mort. Illustration du contre don dont parle Mauss.
Cette longue narration est pitoyable : le mandarin n'a plus la même aura.
Dans un raccourci saisissant, il nous raconte la genèse de la loi Caillavet : 'le sénateur Caillavet, grand humaniste, considérant que tous les Français étaient généreux, les déclara par principe tous donneurs potentiels.
Mais, lui fit-on remarquer, si certains ne désirent pas donner ?
— Ah ! admit-il, nous sommes en République, donc chacun est libre de ses choix.
Aussi, ceux qui ne veulent pas être donneurs ont le droit de refuser. Mais ils doivent le faire savoir, sinon c'est qu'ils sont d'accord, selon l'adage populaire qui ne dit mot consent.
C'est le consentement présumé qui fit d'ailleurs couler beaucoup d'encre et de salive. [Un universitaire spécialiste de Mauss a justement qualifié la loi Caillavet, qui fait cohabiter consentement éclairé et consentement présumé, de "mariage infernal entre Kant et Sade", ndlr.].
Mais, monsieur le Sénateur, insista-t-on, bien entendu nul n'est censé ignorer la loi, mais nombre de nos concitoyens ne la connaissent pas et ne pensent pas à exprimer leur voeu à ce sujet. On ne peut donc pas brutalement déclarer à la famille du défunt que, puisque de son vivant ce dernier ne s'est pas opposé au don, on est autorisé à prélever ses organes.
— Eh bien ! dans ce cas, trancha le sénateur, on devra solliciter non pas l'autorisation, mais le témoignage de la famille sur un éventuel refus du défunt dont elle aurait connaissance.
Ce sont les termes mêmes de la loi de Bioéthique à une variante près, à savoir la possibilité pour chacun de s'inscrire s'il le veut sur un registre national des refus qui doit être obligatoirement consulté avant tout prélèvement d'organes.'
Là, on aurait aimé que le professeur se montre à la hauteur. Il manque quelques faits importants. Le parlementaire Cabrol sait parfaitement que la loi Caillavet ne se réduit pas à ces quelques lignes. M. Cabrol passe de la loi Caillavet aux lois dites de bioéthique trop rapidement. Il oublie qu'il fut Président de l'association France-Transplant. Il néglige de nous expliquer que par manque de transparence l'état créa à la place de France-Transplant 'le Comité de Transparence', puis 'L'Etablissement français des greffes', devenu 'l'Agence de biomédecine'.
Quand le Professeur Cabrol s'exprime sur la mort, cela donne des frissons. 'On ne peut pas prélever après une mort de maladie ou de vieillesse : les organes sont épuisés. Il est nécessaire de trouver un cœur sain, vigoureux, battant. Un coeur battant après la mort, cela paraît impossible. Sauf dans certaines circonstances où un seul des organes vitaux est détruit : le cerveau. C'est ainsi qu'en 1959, deux médecins réanimateurs français, Pierre Mollaret et Maurice Goulon, avaient signalé qu'à la suite de certains traumatismes crâniens très graves, la rupture d'un vaisseau dans le crâne ou encore un suicide d'une balle dans la tête, le cerveau subit des lésions irréversibles qui vont entraîner la mort sans, paradoxalement, que tous les autres organes cessent immédiatement de fonctionner. Dans ces cas, si l'on applique la respiration artificielle mécanique utilisée en anesthésie, celle-ci supplée aux muscles respiratoires paralysés par la mort du cerveau. Le coeur animé par son propre mécanisme continue de battre et pousse le sang dans les poumons. Grâce à la respiration, le sang s'oxygène et la circulation sanguine assure ainsi le passage d'un sang oxygéné dans tous les organes du corps. Sauf dans le cerveau, car les lésions cérébrales entraînent un œdème, c'est-à-dire une accumulation liquidienne dans le cerveau qui augmente son volume. Comme il est dans une boîte crânienne inextensible, aucune goutte de sang ne peut ni entrer ni sortir. Ainsi le cerveau est détruit et les organes continuent à fonctionner. Seulement pendant quelques heures, car un cerveau détruit ne peut plus diriger les mécanismes les plus intimes de l'organisme, telle la production des matériaux nutritifs, de sorte que les organes, peu à peu privés de ces matériaux indispensables pour leur survie, se détériorent et cessent de fonctionner. Mais ces quelques heures après la mort du cerveau, la mort cérébrale, où les organes fonctionnent encore, sont très précieuses car ce sont les seules où l'on peut prélever des organes pour les greffes sans priver le donneur d'une seconde de vie.'
Le Professeur Cabrol établit la décérébration ou le coma dépassé ou la mort cérébrale comme étant la mort. Il poursuit :
'En France des organes avaient déjà été prélevés pendant cet état de mort cérébrale. En 1958, à l'hôpital Foch, René Kuss avait obtenu l'accord de l'administration et des familles pour prélever les reins de personnes en mort cérébrale. En général il avait attendu l'arrêt du coeur.'
Donc ces prélèvements se sont faits avec le consentement explicite des familles soit à coeur battant soit à coeur non battant.
Continuons : 'En 1964, Jean Hamburger put prélever un rein sur une personne décédée de mort cérébrale, mais dont le coeur battait encore. Ces quelques prélèvements faits à coeur battant n'intéressaient cependant jamais le coeur lui-même. Pour régulariser les prélèvements dans ces conditions, François d'Allaines, pionnier de la chirurgie cardiaque en France, pose en 1966 à la plus haute autorité médicale de France, l'Académie de médecine, d'après une proposition de l'ordre des médecins, deux questions. La première : peut-on considérer la mort cérébrale comme la mort légale, c'est-à-dire celle qui permet d'établir un certificat de décès ? En effet grâce aux progrès de la réanimation, il est difficile de se fonder sur les anciens critères de la mort. L'arrêt respiratoire, grâce à la respiration artificielle, n'autorise plus cette conclusion. L'arrêt cardiaque non plus car on sait y remédier par un massage cardiaque. Seule la destruction du cerveau permet à un médecin de certifier la mort. Seconde question : dans cet état de mort cérébrale, peut-on prélever des organes encore fonctionnels en vue d'une greffe ?'
L'Académie de médecine finira par donner son accord.
Donc depuis 1966, la mort cérébrale est la mort. L'Académie de médecine rejette les anciens critères : plus question d'arrêt respiratoire, ni d'arrêt cardiaque.
Le sénateur Caillavet, dix ans plus tard, fera passer une loi qui dispense les médecins de demander l'accord de la famille. Tout est au mieux dans le meilleur des mondes !
Pourtant M. Cabrol nous rebat les oreilles avec la pénurie de greffons. Comment est-ce possible ? Les médecins ont tout l'arsenal juridique en leur faveur pour se fournir en organes sur les mourants.
On aimerait entendre M. Cabrol, désormais membre de l'Académie de médecine , s'exprimer sur le décret n° 2005-949 du 2 août 2005 article 1, paru au Journal Officiel du 6 août 2005, décret qui autorise le prélèvement d'organes en utilisant le consentement présumé de M. Caillavet sur des donneurs à coeur arrêté.
M. Cabrol, dans son livre 'De tout coeur', nous explique que l'arrêt cardiaque n'est plus un critère de la mort depuis 1966. Que sont devenus les travaux de Pierre Mollaret et Maurice Goulon ?
Il me semble que les Français souhaitent une explication sur ces contradictions. Le gouvernement français a des instances pour informer le public. Pourquoi l'Agence de biomédecine ne communique-t-elle pas sur cette question éthique ?"
Catherine Coste :
Je me permets d'expliciter le paradoxe dont vous parlez :
D'un côté, sur le plan légal, la mort équivaut à la mort encéphalique. De l'autre, dans le cas des prélèvements "à coeur arrêté", le diagnostic de la mort de la personne "repose sur le fait que son cœur a cessé irréversiblement de battre, et (...) aucun examen complémentaire n’est requis" (Dr. Marc Guerrier, Espace éthique de l'AP-HP). La mort encéphalique n'est donc pas requise. Le patient "en arrêt cardiaque et respiratoire persistant" devrait donc être déclaré mort lors du prélèvement de ses organes, et non avant, alors que la mort du cerveau n’est pas requise ni vérifiée. La mort neuronale n’équivaut pas à la mort cérébrale.
Le diagnostic de mort dans le cas d’un patient candidat aux prélèvements "à cœur arrêté" fait donc l’objet de dissensions au sein de la communauté médicale et scientifique, tant en France qu’à l’échelle internationale. Au vu des importantes disparités entre les pays, ces disparités reflétant les difficultés à déterminer le moment précis de la mort, il semblerait que les différentes tentatives visant à justifier les prélèvements d’organes sur donneurs "décédés" à l’aide d’une définition des critères de la mort d’un point de vue juridique n’aient pas abouti, dans le cas de la "mort encéphalique" comme dans le cas des patients "décédés présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant". En effet, il existe une controverse au sujet de la loi en France, qui fait équivaloir la mort avec une incompétence du cerveau (loi de bioéthique de 1996, revue en 2004): Dr. Marc Andronikof, chef du service des urgences à l'hôpital Antoine-Béclère, Clamart (06/2007) :
"Depuis peu en France [lois de bioéthique d’août 1996, révisées en 2004, ndlr], il y a une définition de la mort qui repose sur la mort encéphalique, autrement dit : quand il y a un coma tel que les gens ne pourront jamais revenir et qu’ils sont obligés d’avoir des machines pour respirer, pour tout, en fait, puisque le cerveau ne marche plus. Donc la définition de la mort en France repose sur une incompétence du cerveau, disons. J’ai été le premier je pense à m’élever, il y a 15 ans, contre cette définition de la mort puisque c’est extrêmement réducteur et finalement pas du tout réel puisque tout fonctionne sauf une partie du cerveau et là on dit que les gens sont morts. Mais c’est une pétition de principe, si vous voulez, mais c’est maintenant inscrit dans la loi en France, depuis quelques années. Ce qui est paradoxal, c’est que c’est inscrit dans la loi en France et en même temps, aux USA, en Grande-Bretagne, on se pose toutes ces questions qui sortent dans les articles en disant : ‘mais personne ne peut dire que ces gens-là sont morts !’ Donc c’est un paradoxe, on peut dire, une sorte de retard à l’allumage en France, où maintenant les gens sérieux et honnêtes ne peuvent pas dire que ces gens sont morts, mais il y a la pratique des transplantations, donc peut-être qu’on pourrait quand même les prélever puisque maintenant on ne peut rien faire pour eux. Mais ils ont bien compris qu’en fait personne ne peut dire qu’ils sont morts. En France, c’est inscrit dans la loi. Il faudra encore attendre un cycle, quelques années, pour qu’il y ait une prise de conscience en France."
En ce qui concerne les prélèvements "à coeur arrêté", nous avons vu que le constat de décès est basé sur l’arrêt des fonctions du coeur et des poumons, sans que soit vérifiée la destruction du cerveau (mort encéphalique). Dans le cas de la mort encéphalique, le cerveau est détruit, mais le coeur bat encore. Rappelons que la mort, dans son acception traditionnelle, se définit par la cessation irréversible des fonctions du coeur, des poumons et du cerveau. (Références)