Voici quelques réflexions, commentaires, histoires, etc.
En bref, des réactions sur l'éthique et les transplantations, venant d'infirmières, médecins, usagers de la santé.
Merci de me faire parvenir les vôtres afin que je puisse les mettre en ligne ! Vous pouvez aussi les mettre en ligne directement, sous forme de commentaire.
Progrès
"En dehors d'une poignée d'illuminés, vite repérés, et dont on peut penser qu'ils seraient punis comme ils le méritent, qui donc aurait intérêt à transformer le clonage en activité criminelle ? A tant faire agiter des fantasmes, certains se rendent-ils compte qu'ils travaillent au discrédit de la recherche ?Criminaliser, en plein XXIème siècle, les recherches sur le clonage thérapeutique m'apparaît aussi stupide que de s'opposer, au début du XXème siècle, à la généralisation du vaccin. D'abord parce que, sans recherche sur l'embryon, je ne le répéterai jamais assez, nous ne serons pas en mesure, demain, de maîtriser l'autoreproduction de nos propres cellules souches ; ensuite parce qu'il est contradictoire, et pour tout dire malhonnête, de favoriser le don d'organes et d'interdire à ceux qui en auraient le plus besoin de recourir au gisement cellulaire que constituent des centaines de milliers d'embryons surnuméraires congelés.
Que faut-il, aujourd'hui, pour sauver, par une greffe, la vie d'un malade dont le foie ou les reins sont gravement atteints ? Rien de plus qu'un donneur, autrement dit, parfois... l'impossible. Attendre la mort d'un jeune homme ou d'une jeune femme dans la force de l'âge et dont l'organe sera compatible avec son organisme : voilà le quotidien de milliers de malades dont beaucoup savent qu'ils disparaîtront sans avoir eu la chance de profiter de la malchance d'un autre. Cet autre dont le corps n'avait plus d'avenir sur cette terre, hors celui de sauver la vie d'un inconnu...
Regardons maintenant ce qui se passe pour les embryons congelés. N'ayant pas été utilisés pour assurer une descendance aux couples dont ils sont issus, ils sont près de cent mille par an à s'entasser dans les congélateurs de nos laboratoires et de nos instituts de recherche. Sans doute cette image choquera-t-elle certains, mais elle correspond à une réalité : ces petits d'hommes en puissance n'ont pas plus d'avenir sur terre que de sauver les accidentés de la circulation auxquels on prélèvera un rein, un coeur, ou un foie. Et pourtant de nombreux pays interdisent qu'on les utilise pour la recherche médicale, fût-ce, à très court terme, pour sauver des vies... En France, les dérogations sont possibles et une réforme est envisagée, comme on l'a dit, mais pas encore adoptée, loin s'en faut."
Professeur Bernard Debré, chef de service d'urologie de l'hôpital Cochin, Paris, auteur du "Dictionnaire amoureux de la médecine", paru aux Editions Plon, septembre 2008. [L'extrait cité se trouve p. 447-448].
© Plon 2008.
Les prélèvements "à coeur arrêté" :
Eric, Paris, ingénieur :
"On peut imaginer une histoire où un greffé (qui aura 'consommé' 3 ou 4 reins 'cadavériques' dans sa vie) sera, après sa mort, attendu au coin de la rue (quelque part là-haut) par les pauvres bougres qui auront eu le malheur de faire un arrêt cardiaque dans la rue et qui, en fin de vie, auront été douloureusement dépouillés de leurs reins pour... améliorer un confort de vie. De la baston en perspective dans l’au-delà..."
Ethique et greffe de foie :
Dr. Marc Andronikof, chef du service des urgences, hôpital Antoine-Béclère, Clamart :
"Pour les greffes, le pire règlement de comptes post mortem pourrait être avec les greffés du foie dont le principal contingent est fait des cirhhotiques alcooliques, qui inscrits sur les listes d'attente, continuent à boire bien entendu. Il y a là un paradoxe moral fort, mais comme tout jugement de valeur est interdit, il n'y a plus de morale, donc plus de paradoxe."
[NDLR : l'alcoolisme est considéré comme une maladie auto-infligée. Cette pathologie ne fait plus obstacle à l'inscription (répétée, du fait des rechutes) sur la liste nationale des patients en attente de greffe.]
Rosemonde, IDE Formatrice, Argenteuil :
"J'ai travaillé en France et en Suisse pendant des années en tant que coordinatrice des équipes de transplantation d'organes. Maintenant, il y a plus de transparence qu'avant. Ainsi, dans les années 80, en Suisse, un chirurgien transplantait à tour de bras des foies sur des patients alcooliques. Un même patient pouvait ainsi recevoir plusieurs foies : 4, 5, parfois plus ! A l'époque, un chirurigien qui pratiquait beaucoup de greffes gagnait en pouvoir et en argent. Nous, les infirmières, étions choquées. On a fait venir un psychologue pour dénouer le conflit. Faire comprendre à ce chirurgien greffeur que sa vision purement carriériste de la greffe n'était pas éthique, pas acceptable. Maintenant, ce comportement ne serait plus possible. Un tel chirugien serait aussitôt stoppé, il ne pourrait pas retirer un tel gain financier de ses activités. La greffe ne donne plus autant de pouvoir qu'avant aux chirurgiens."
Information ou promotion ? Quelle éthique ?
Adrian, chirurgien, service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire, Hôpital Henri-Mondor, Créteil : "Il faut continuer ce que tu fais pour diffuser les infos sur les transplantations au grand public."
Professeur Bernard Debré, professeur de médecine et chef du service d'urologie de l'hôpital Cochin, Paris : "Je ne suis pas (...) d’accord pour qu’il y ait une appropriation conditionnelle du corps par la société, ce qui nous rapprocherait des doctrines qu’on a connues au début du siècle dernier ou au milieu du siècle dernier. Je pense au contraire qu’il faut une véritable information des hommes et des femmes de France et d’ailleurs, cette information doit avoir lieu à travers des publications dans la presse, des forums, des émissions de télévision et des blogs. Il est évidemment très intéressant de penser que la médecine régénératrice autrement dit pour l’appeler par son nom, le clonage thérapeutique remplacera les greffes d’organe. Il faut bien entendu encourager la recherche sur les cellules souches qu’elle soit issue de l’embryon, du sang de cordon ombilical, ou qu’elle soit redevenue cellule souche grâce à certain nombre de manipulations que nous savons faire maintenant [cellules souches adultes, non issues de l'embryon, NDLR]. Je ne vois pas pourquoi nous n’encouragerions pas le développement des banques de sang de cordon. Se pose là un problème d’éthique d’ailleurs, c’est de savoir si ce sang de cordon appartient à celui qui l’a déposé ou si il est mis à la disposition de tout le monde. Nous aurons à en discuter au comité national d’éthique [Le Comité Consultatif National d’Ethique ou CCNE, NRDL]."
Professeur Henri Kreis, chef du service de néphrologie, transplantation rénale à Necker-Enfants malades : "Merci de m'avoir fait connaître votre blog qui est indiscutablement très intéressant. (...) Je vais suivre votre blog !"
Marie-Jo Thiel, Centre Européen d’Enseignement et de Recherche en Ethique des universités de Strasbourg (CEERE, Strasbourg) :
"C’est de fait toujours important d’informer ! Et votre blog que je viens de visiter à l’instant permet d’aller plus loin dans ce travail d’information. Bon courage et bon vent pour ce que vous faites."
Le 11 juin 2008, le CEERE – Centre Européen d’Enseignement et de Recherche en Ethique des universités de Strasbourg, a reçu à Paris, au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) les premiers 'Trophées de l’enseignement de l’éthique' en France (lire).
Professeur David Khayat, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie, chef de service de cancérologie à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, Paris : "J’ai été sur votre Blog. Très intéressant. Bravo !"
Et si on avait besoin de nos organes pour connaître une mort plus courte et plus douce ?
Jacqueline Dauxois [JD] et le Docteur Marc Andronikof [MA], au sujet de leur livre "Médecin aux urgences", paru aux Editions du Rocher en 2005 [pp. 17-19] :
"[MA :] Nous ne sommes pas là pour faire peur, mais nous ne sommes pas là non plus pour être dans le consensus, sinon ce n'est pas la peine. Notre livre ne sera pas rassurant, non. Pourquoi ? Parce que ce sont des sujets terrifiants ; vous avez dit vous-même que vous étiez épouvantée par ces questions qui touchent à la vie et à la mort, au dépeçage, à l'image que les médecins peuvent avoir des malades comme des assemblages d'organes, qu'ils attendent de prélever. Ces frayeurs sont fondées puisque la transplantation se fait à l'encontre de tous les interdits culturels et historiques ancestraux, au moyen de pratiques dont le grand public n'a aucune idée et que les médias s'efforcent de présenter comme anodines.
[JD :] Quelles pratiques ?
[MA: ] Savez-vous ce qui se passe lorsqu'un malade arrive en réanimation ? Si on pense le sauver, on fait l'impossible pour y parvenir. Dans les autres cas, soit il se trouve dans un tel état qu'on sait dès le départ qu'il est perdu, soit il s'aggrave et cela revient au même.
[JD :] Et il meurt !
[MA :] Non !
[JD :] Pourquoi ?
[MA :] Parce qu'on n'arrête pas la réanimation !
[JD :] On l'empêche de mourir tranquillement ?
[MA :] Oui !
[JD :] Pourquoi ?
[MA :] Non seulement on l'empêche de mourir tranquillement, mais on prolonge son agonie pendant des jours.
[JD :] Pourquoi ?
[MA :] Pour se donner les moyens de prélever des organes ! C'est une pratique qui m'est insupportable, bien que je continue à faire un peu de réanimation. Il m'est insupportable que les gens qui travaillent aux urgences, et je travaille aux urgences, il m'est insupportable que ces gens dont je suis puissent décider qu'un malade, qui est perdu, doit absolument être réanimé au moyen de toutes les machines respiratoires, toutes les assistances circulatoires, tout ce que vous voulez pour qu'on puisse lui prélever ses organes ! Or, non seulement les équipes décident de le faire ; mais elles disent qu'il faut le faire et qu'on serait coupable de ne pas le faire.
Moi, je suis hérissé de ne pas laisser les mourants mourir en paix, et, de plus, il me semble que le médecin doit soigner et aider la personne qui se trouve là, devant lui, au lieu de la sacrifier pour les autres. Je refuse de considérer le malade comme un moyen destiné à être utile à la société, je refuse de l'instrumentaliser en vue d'un bien imaginaire. Vous allez me dire que ce bien n'est pas abstrait puisque des patients, inscrits sur des listes d'attente, espèrent une greffe ; mais c'est une autre discussion, après.
Maintenant, je veux montrer que, pour certains médecins, les gens sont des organes ambulants. La meilleure preuve c'est que, quotidiennement, on maintient des malades en survie dans le seul but de les prélever. Tous les jours, on prive des mourants de leur mort.
[JD :] Une mort qui pourrait être plus douce et plus consciente ?
[MA :] Plus courte et plus douce. Plus consciente, non, en principe ces mourants sont dans un coma plus ou moins profond, mais ils ne sont plus conscients. Quant à la souffrance qu'ils peuvent éprouver, nous sommes très ignorants sur ce sujet et ce n'est certainement pas parce qu'on ne réagit pas à la douleur qu'on n'en éprouve pas. Certaines personnes, qui ont récupéré leurs facultés ultérieurement, ont raconté ce qui se passait lorsqu'elles étaient dans le coma. Toutes affirment qu'un certain niveau de conscience persiste."
© Editions du Rocher, 2005.
Le devoir de solidarité ?
Professeur Louis Puybasset, Unité de NeuroAnesthésie-Réanimation, Département d'Anesthésie-Réanimation, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris :
"Madame, vous-même ou un de vos proches sera peut-être un jour receveur. Je ne doute pas que cela changera alors votre vision de cette médecine [de la transplantation d'organes] qui est une des plus belles qui soit, car elle donne véritablement la vie et exprime ce qu’est la solidarité humaine contre l’égoïsme et le repli sur soi."
M. Guy Benamozig est psychanalyste et anthropologue, il travaille dans le service du Professeur Louis Puybasset. Le 30/04/2008, il a été auditionné par la commission chargée de la Mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite Loi Léonetti. Cette commission est présidée par M. Léonetti. Les questions de la commission ont porté sur le respect par les équipes médicales (ou le non respect) de l'avis des proches, dont le droit de décision est inscrit dans la loi Léonetti. La commission a rappelé que, dans un service de réanimation où tout est mis en oeuvre pour parvenir à réanimer des patients dont le cerveau a subi des dégâts plus ou moins irréversibles, le contexte est celui d'un acharnement thérapeutique. Les cas sur lesquels ont porté la discussion entre la commission et M. Benamozig concernaient des cas de patients en état de coma profond et de patients en état de mort encéphalique. A l'issue de cette audition, M Benamozig a rappelé que sa présence en tant que psychanalyste au sein d'un service de réanimation (donc la présence d'un "psy" au sein d'un service où des patients se retrouvent en état de mort encéphalique, devenant de ce fait de potentiels donneurs d'organes) favorise le don d'organes : plus les familles seraient accompagnées lors du décès de leur proche qui se retrouve brutalement en état de mort encéphalique, plus les chances que ces familles autorisent le don d'organes seraient importantes.
==> Visionner l'audition de M. Guy Beanmozig : cliquer ici.
Lien : http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/commissions-videos.asp
Claude Lafon, "De la biologie à la bioéthique" Ellipses, 2006 [Chapitre "La mort, le corps, l'esprit et la conscience", conclusion p. 58] :
"Ce conflit latent entre les droits individuels, les devoirs que nous avons envers les autres, et les droits que les autres ont sur nous, semble bien un des moteurs de l'universelle condition humaine. Il nous faut nous en accommoder."
La médiation éthique :
L'expérience de l'unité fonctionnelle éthique clinique du groupe hospitalier Cochin (Paris) : le 02/07/2008, le Dr. Véronique Fournier, responsable du Centre d'Ethique Clinique à l'hôpital Cochin (CEC), était entendue par la commission chargée de la Mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti. Le Dr. Fournier a présenté à M. Léonetti ainsi qu'à la commission qu'il préside l'activité du CEC, qui joue un rôle de médiation éthique entre les familles des patients hospitalisés et les équipes médicales soignantes, lorsque des conflits surviennent entre les deux parties. Les cas exposés par le Dr. Fournier concernaient des conflits survenant dans des situations de fin de vie. Le CEC peut être saisi par n'importe quel citoyen, ainsi que par les équipes soignantes. Les équipes de médiation éthique du CEC sont multi-disciplinaires (médecins, avocats, journalistes, sociologues, etc.), et interviennent afin de restaurer le dialogue entre les familles et les équipes soignantes en cas de conflit.
==> Vidéo de l'audition du Dr. Fournier : cliquer ici.
Lien : http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/commissions-videos.asp
Extrait d'un courrier datant du 31/08/2007, adressé par le Dr. Nicolas Foureur, du Centre d'Ethique Clinique du groupe hospitalier Cochin-Saint Vincent de Paul, à Catherine Coste, auteur du weblog d'information "Ethique et transplantation d'organes" :
"Madame,
Nous avons bien pris note de l'existence de votre blog et de la page concernant le Centre d'éthique clinique. Votre descriptif est déjà bien complet et concorde bien à la réalité de notre pratique. Nous sommes très satisfaits de trouver notre place au coeur de votre présentation. Il nous arrive en effet d'être confrontés aux intéressantes questions éthiques que vous soulevez dans vos exposés. (...)"
Fin de vie et sédation (administration de calmants puissants ou sédatifs) :
Contexte : Mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti :
Sans qu'il soit question du don d'organes - rappelons que la loi Léonetti ne légifère pas sur le don d'organes, c'est la loi de bioéthique de 1994, révisée en 2004, qui règlemente le don d'organes - la question de la sédation lors d'une fin de vie dans les contextes de coma végétatif et de coma dépassé a été abordée par les intervenants suivants :
- M. le Professeur Elie Azoulay, auteur d’études sur le vécu des familles, service de réanimation à l’hôpital Saint-Louis :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/droits-malades-20080625-4.asp
- Dr. Michèle Lévy-Soussan, responsable de l’unité mobile d’accompagnement et de soins palliatifs à l’hôpital La Pitié-Salpétrière depuis 2001 :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/droits-malades-20080625-3.asp
- M. et Mme Pierra, parents de Hervé Pierra, décédé aujourd'hui, après huit ans de coma végétatif irréversible suite à une tentative de suicide. Aucune sédation profonde n'avait été prescrite par les médecins lors de l'extubation terminale de ce patient (arrêt des traitements aboutissant à la mort de Hervé : arrêt du respirateur artificiel qui le maintenait en vie). Confrontée à une agonie qui s'est étalée sur six jours et a été accompagnée de convulsions importantes, l'équipe médicale en charge de la fin de vie d'Hervé a maintenu que la sédation profonde n'était pas nécessaire, étant donné que le cerveau d'Hervé était si endommagé qu'il ne pouvait ressentir de douleur.
Vidéo du témoignage de M. et Mme Pierra face à la commission présidée par M. Jean Léonetti :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/droits-malades-20080528-1.asp
Le 21/07/2008, le journal "Le Monde" a interviewé Jean Leonetti, député UMP chargé par le gouvernement d'une mission d'évaluation de la loi sur la fin de vie du 22 avril 2005 :
"Pour Jean Leonetti, la loi sur la fin de vie est encore très mal connue dans le milieu médical. Il dénonce le fait que beaucoup de gens continuent de mourir à l'hôpital en souffrant alors que la loi autorise le fait de calmer la douleur même si cela a pour second effet d'entraîner la mort.
Il explique que lorsque la médecine estime qu'il n'y a plus rien à faire, elle doit accompagner le malade jusqu'à l'endormissement. 'La sédation terminale n'est pas inscrite dans la loi ou le règlement, mais s'il faut l'écrire, on le fera', déclare-t-il." (source).
Religion(s) et transplantation d'organes :
Les grandes religions monothéistes prônent le devoir de charité, de solidarité. Mais prônent-elles ce devoir "par défaut" ? Le "thriller médical" de David Khayat pointe vers des zones grises de l'éthique médicale, auxquelles la religion n'oserait pas se mesurer ni s'attaquer.
Un "conflit mortel" entre science et religion, c'est ce qui apparaît dans le livre "Le Coffre aux âmes" (XO Editions, 2002) : entre un médecin qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation (son âme, donc celle des autres) pour vous guérir, et un autre qui accompagne, soulage et guérit sans outrepasser les limites du progrès technique, médical et humain contemporain, ne seriez-vous pas un tout petit peu tenté(e) de choisir le premier ? Si c’est le cas, ouvrez donc la boîte de Pandore, celle du "Coffre aux âmes". Ce livre "met en lumière les enjeux d'une médecine qui repousse toujours plus loin la mort". Les âmes migrantes, qui sont en réalité les organes que l'on transplante, passent du corps du donneur à celui du receveur. Le rabbin qui assiste à cet étrange processus est dépassé, il s'enfuit sans s'expliquer ou presque. Résignation (démission ?) de la religion ? Celle-ci ne préfère-t-elle pas idéaliser la médecine, plutôt que de regarder en face ce qui arrive, quand "la médecine repousse toujours plus loin la mort" ? Laissé seul, le médecin se débattrait dans ces zones grises de l'éthique médicale... Dans l'extrait cité ci-dessous, un rabbin arrive au bloc opératoire. Il y a été amené par le Dr. David Levine, jeune interne au très prestigieux hôpital St Thomas à New York et héros de l'histoire, alors en plein désarroi.
[pp. 258-260 :] "Il enleva doucement son chapeau et son manteau, les posa sur une paillasse, sortit un livre de prières de sa poche et se mit à lire les bénédictions rituelles.
Il chantait d'une voix grave. Sa prière suppliait Dieu tout-puissant de protéger les âmes de ceux qui allaient le rejoindre. Il priait la gorge serrée par l'angoisse et ses prières n'en étaient que plus émouvantes.
Personne dans la pièce n'osait bouger. Les infirmières avaient reposé les perfusions qu'elles préparaient (...).
Puis le rabbin s'interrompit. L'inquiétude se lisait sur son visage. Il tourna en arrière les pages de son livre de prières et recommença. Au bout de deux minutes à peine, il s'interrompit de nouveau. Il retourna une fois de plus en arrière et reprit sa prière du début.
Mais encore une fois, il dut s'interrompre. Il rangea son livre dans sa poche, remit son chapeau et son manteau, souleva David en le prenant sous son épaule et l'emmena avec lui vers la porte. D'une voix à peine audible, il lui dit :
- Mon petit, je ne peux pas bénir les âmes de votre femme et de votre fils...
David le regardait, perplexe.
- Quoi ?
- Je ne peux pas bénir les âmes de votre femme et de votre enfant. Je ne peux pas car elles ne sont plus là.
- Comment, elles ne sont plus là ? hurla David.
Toujours aussi calmement, chuchotant, comme s'il voulait que cette discussion reste secrète, le rabbin poursuivit :
- Les âmes que je suis venu bénir sont déjà parties, elles ne sont plus là. C'est très étrange ce que j'ai ressenti tout à l'heure quand je priais. J'ai vu leurs âmes partir, quitter les corps que je bénissais. Je suis désolé, mon petit. J'ai peur. Je n'ai jamais vu, ni entendu parler d'une chose pareille. Des corps vivants mais sans âmes. J'ai eu l'impression d'une voix d'ange qui m'interdisait de poursuivre ma bénédiction. Ce qui se passe ici est terrible, surnaturel ! Je ne peux vous être d'aucun secours. Ce qui est en train de se produire devant nous tient à des forces de l'au-delà, à des mystères qui nous échappent, que nous n'avons pas même le droit d'aborder car ils sont d'essence divine. Ces mystères ne font pas partie de territoires ouverts à l'homme mais du champ spirituel où s'affrontent les forces du bien et du mal, où réside le souffle de la création. Un territoire que seuls les élus, les prophètes, peuvent appréhender sans risquer eux-mêmes de vouer leur âme à l'enfer éternel. Mon enfant, laissez faire ce qui est ordonné ! Nul ne peut plus rien y changer. Les âmes de ceux que vous aimez ne vont pas disparaître, elles vont continuer de vivre. La voix de l'ange me l'a dit. Elles sont simplement appelées ailleurs. Les bénir ne servirait à rien.
Sans ajouter un mot de plus, laissant David abasourdi par ces propos, le rabbin quitta la pièce. Sans se retourner, il marcha dans le couloir obscur jusqu'aux ascenseurs.
David sortit à son tour et chercha à rattraper le rabbin pour lui demander des explications. Il fit quelques pas en courant, mais le rabbin avait disparu."
© XO Editions, 2002.
A propos de l'éthique :
Catherine Coste, auteur du weblog d'information "Ethique et transplantation d'organes" :
Je ne suis pas dans le pourquoi, forcément intimidant, voire culpabilisant, mais plutôt dans le comment. Le pourquoi me semble plus définitif, dogmatique et figé (morbide ?) ; le comment plus constructif, plus ouvert à l’avenir. Il y a dans le pourquoi un côté "bilan figé" qui me déplaît. Je vois une différence entre le docteur qui demanderait à son patient "Pourquoi vous sentez-vous déprimé ?", ou "Pourquoi avez-vous pris 10 kgs ?", et celui qui demanderait à ce même patient :"Comment vous sentez-vous avec votre surpoids ?". Il me semble que le premier docteur est plus dans le jugement ; le second plus dans l'écoute. Il me semble que je préfèrerais avoir affaire au second docteur qu'au premier.
Dr. Marc Andronikof, chef du service des urgences, hôpital Antoine-Béclère, Clamart :
"Je pense que votre acception du 'pourquoi' est très réductrice alors qu'elle devrait être au contraire la question la plus ouverte qui soit : en effet incluant le 'comment' elle mène au Sens. L'interrogation sur le sens est l'interrogation éthique primordiale."