Quelle déontologie médicale pour les transplantations d’organes ?
Journée d'éthique du Conseil National de l'Ordre des Médecins (CNOM) : le jeudi 22 janvier 2009 a eu lieu la journée d'éthique du CNOM, dont le thème était : "Tests génétiques à des fins médicales : la fin de l'innocence".Lors de cette journée d'éthique, il me semble que l'on aurait pu tout aussi bien évoquer les problèmes de déontologie médicale que posent les prélèvements d'organes à partir de donneurs décédés. Or le cadre de cette journée d'éthique était la génétique du XXème et du XXIème siècle, et non les problèmes de déontologie médicale liés aux prélèvements d'organes, sujet sur lequel je me suis donc permis de mener une petite réflexion...
"Déjà chez Hippocrate, la dignité de la personne passe avant la préservation de la vie à tout prix", Code de déontologie, Article 2, "Respect de la vie et de la dignité de la personne".
Comprendre l’histoire des transplantations d’organes, c’est envisager ce qu’il faut bien appeler un glissement des frontières de la mort. Expliquons-nous : il y a la mort légale, pour le patient dont le décès légal a été constaté, mais qui est toujours en réanimation, où il fait encore l’objet de "soins" en vue d’un don d’organes, et la mort physiologique, lorsque la destruction irréversible des fonctions cérébrale et cardio-respiratoire est avérée. A priori, les deux formes de mort - celle légale et celle physiologique - devraient coïncider, du moins le Candide usager de la santé est-il en droit de le penser. Or, avec les transplantations, les frontières entre la mort juridique ou légale (le constat de décès) et celle physiologique (la mort physique, suite à la destruction irréversible des fonctions cardiaque, pulmonaire et cérébrale) se sont disjointes, jusqu’à ce que la mort légale ne coïncide plus avec la mort physiologique. Aujourd’hui, dans le contexte d’un don d’organes, mort légale et mort physiologique sont bel et bien distinctes, il y a même divorce entre les deux.
Ce divorce, cette déchirure sont dus aux progrès des greffes (meilleurs résultats grâce aux médicaments antirejet ou immunosuppresseurs), mais aussi à une volonté politique de rendre la greffe accessible au plus grand nombre – volonté accompagnée d’une forte pression sociétale visant à garantir l’accès à la greffe pour le plus grand nombre. Tous ces facteurs culminent en 2009, année pour laquelle le don d’organes et la greffe ont été proclamés Grande cause nationale, alors que récemment ont eu lieu en France des premières mondiales de la greffe, telles que la greffe d’une partie du visage. Cette habile orientation politique ne doit pas nous faire oublier qu’aujourd’hui en France, et ce depuis la fin des années 90, le décès peut être anticipé dès lors qu’un cas de transplantation d’organes est envisageable. La loi permet de faire d’un décès prévisible un constat de décès : le décès précoce est inscrit dans la loi en France, ce afin d’augmenter les chances de succès des transplantations.
Il est donc capital, pour comprendre l’histoire des transplantations d’organes, d’envisager clairement ce glissement des frontières de la mort : d’abord un constat de décès assorti d’une grande marge de sécurité (les veillées funèbres) ; puis un constat légal de décès coïncidant avec l’état physiologique réel du patient (premières transplantations en 1968). Avec le développement de la pratique des transplantations, on assistera à un clivage entre le constat légal de décès permettant le prélèvement d’organes d’un côté et l’état physiologique réel des patients donneurs potentiels (dont le décès légal a été prononcé) de l’autre. Cette pratique des transplantations est néanmoins dite éthique, car elle permet l’accès au plus grand nombre d’une technique toujours en progrès. Elle repose sur la générosité et la solidarité entre les usagers de la santé. Les changements de loi successifs ne portent pas sur le don d’organes : depuis les débuts, le consentement présumé est inscrit dans la loi, de ce côté-là, rien n’a changé. Ce qui fait périodiquement l’objet de modifications légales, à mesure des progrès de la science, c’est le constat de décès sur le plan légal, et non le consentement présumé. Or le grand public ignore massivement ces modifications légales ou législations successives concernant le constat de décès. Qui penserait à vérifier si, au fil des mois, des ans, les critères légaux de la définition de la mort ont évolué, afin de prendre connaissance de la nouvelle législation ? On demande au grand public de se positionner sur le don d’organes, non de s’informer sur les définitions scientifiques de la mort et le contenu des dernières législations à ce sujet, comme par exemple les décrets d’application parus dans le sillage de la dernière loi de biomédecine en vigueur. Pourtant, le domaine des transplantations d’organes est le domaine de la médecine où l’on légifère le plus, précisément à cause de la difficulté à encadrer d’un point de vue légal une pratique scientifique exigeant une définition de la mort dans le but de prélever des greffons ou organes transplantables les plus viables – vivants – possibles. Cette pratique, transgressive, pose des problèmes de déontologie médicale. Le donneur d’organes pour lequel a été rempli en bonne et due forme un constat de décès ne remplit pas encore pour autant tous les critères de la définition traditionnelle de la mort : destruction irréversible des fonctions cardiaque, pulmonaire et cérébrale. Le donneur est donc toujours un patient pour ses proches, mais aux yeux des "soignants", il est devenu un simple réservoir d’organes, et non plus un patient pourvu de toute la dignité d’un être humain en fin de vie. Il y a là un paradoxe moral fort, qui pose un problème de déontologie médicale.
Et si ce donneur dont la mort est inscrite dans la loi était encore un patient ?
Le discours public sur le don d’organes suggère qu’il est raisonnable et humain de défendre l’accès à un organe de remplacement pour tous. "Tout ce qui n’est pas donné est perdu !", martèle régulièrement un pionnier de la greffe français. Mais avant d’ouvrir un droit opposable à la greffe, il faudrait envisager les problèmes de déontologie posés par le statut du donneur d’organes. Ces problèmes sont envisagés dans l’article :
==> Quelle déontologie médicale pour les transplantations d’organes ? (Document PDF, 16 pages) : lire.
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