"Il est à signaler (...) que ce protocole respecte les conditions générales de tout prélèvement d’organes. C’est à dire : (...) nécessité, pour que le prélèvement d’organe soit envisagé, que le décès soit médicalement constaté (art R 1232-1 du Code de la Santé Publique), avec un délai reconnu suffisant pour garantir l’irréversibilité."Autrement dit : le constat de décès (légal) équivaut à une garantie d'irréversibilité d'un état - ici, celui de l'"arrêt cardio-respiratoire persistant" chez un patient, suite à l'échec des manoeuvres de réanimation consécutives à un arrêt cardiaque.
On prévoit le décès (physiologique) du patient, ce qui permet de signer le constat de décès (légal). Sur le plan légal, le patient dont les équipes soignantes peuvent prévoir le décès est mort. Mort légale et mort physiologique ne correspondent donc pas dans le cas du prélèvement d'organes sur donneur "à coeur arrêté", puisque la mort légale de ce donneur précède sa mort physiologique. Ce décalage entre mort légale et mort physiologique permet certes le prélèvement d'organes, mais il pose des problèmes d'éthique. Et pourtant...
"L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 6 mars 2007, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité", le 14/03/2007.
Je ne vois pas comment ne pas souligner les dissensions existantes au sein du corps médical au sujet des prélèvements "à coeur arrêté", suite à un état d'arrêt cardiaque (lorsque les tentatives de réanimation ont échoué. Ce patient peut donner ses reins à son décès). Les prélèvements "à coeur arrêté" ont repris en France depuis 2006 pour un centre d'essai (le CHU de Lyon) et depuis 2007 pour d'autres centres d'essai, ou "sites pilotes", au nombre de 9 en 2007, dont les CHU de : Angers, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nancy, Strasbourg et, à Paris, les hôpitaux Saint-Louis, Kremlin Bicêtre et Pitié-Salpetrière.
Le Dr. Jean-Marie Boles est chirurgien. Il a publié un article au sujet des prélèvements "à coeur arrêté" dans la revue "Etudes" fin 2008 :
Boles J-M. Les prélèvements d'organes à coeur arrêté. Etudes 2008/12, tome 409, p. 619-630 :
"Les prélèvements d’organes font jusqu’à présent l’objet d’un consensus médical, politique, social et religieux reposant sur une légitimité clairement établie. Jusqu’à une date récente, ils étaient effectués uniquement chez des donneurs dont le constat de la mort reposait sur la preuve de la mort cérébrale, parfois difficilement comprise par les familles. La diminution des accidents de la voie publique des six dernières années a fait décroître de manière très importante le nombre de patients en état de mort cérébrale d’origine traumatique. En parallèle, le nombre de patients inscrits sur des listes d’attente de greffe d’organe a notablement augmenté, et le nombre de nouveaux inscrits augmente chaque année depuis 2001, bien que les taux de donneurs recensés et de donneurs prélevés aient aussi augmenté depuis 1999, et que le pourcentage de refus de prélèvements reste stable aux environs de 30 pour cent. Cette situation est préjudiciable, à la fois en raison du coût de prise en charge globale des patients en attente de greffe, largement supérieur à celui des greffes d’organes, et du décès de 300 à 400 patients en attente de greffe avant d’avoir pu être greffés. Familles, associations de malades et médecins responsables des greffes ont poussé le législateur à faire du don d’organes une priorité nationale dans la loi du 6 août 2004 'relative à la bioéthique'. Cette loi a élargi le cercle des donneurs potentiels à l’intérieur d’une même famille. [Il s'agit là du don d'un organe de son vivant, Ndlr.] Elle a été suivie par la publication du décret n°2005-949 du 2 août 2005, relatif aux conditions dans lesquelles peuvent être prélevés des organes, des tissus et des cellules non seulement sur des personnes en état de mort cérébrale, mais aussi sur des personnes reconnues mortes à la suite d’un arrêt cardiaque non récupéré. Ce dernier mode de constat de la mort avant prélèvement d’organes est reconnu depuis quelque temps dans plusieurs pays. Mais son introduction en France depuis plus de deux ans, dans un silence total de l’Agence de la biomédecine qui est pourtant chargée d’en préciser les règles, pose de graves questions éthiques. Elles ont été occultées par l’absence totale de débat public. Il faudrait pourtant se demander si le prélèvement sur 'donneur à coeur arrêté' ne diffère pas du prélèvement sur sujet en état de mort cérébrale. La généralisation décrétée de l’instrumentalisation du cadavre ne cherche-t-elle pas à modifier le rapport de la société au corps et à la mort ? Ce type de prélèvements ne s’inscrit-il pas dans une société devenue otage de 'la santé totalitaire' ?"Dans les "e-mémoires de l'Académie Nationale de Chirurgie", 2005, 4 (1) : p. 19-22, le Dr. PELLERIN écrit (p. 22) au sujet du "prélèvement [de reins] sur coeur arrêté (coeur non battant)" :
"[Cette technique de prélèvement] (...) apparaît aujourd’hui, pour certains, la solution à la pénurie de greffons. Les résultats d’ores et déjà obtenus chez certains de nos voisins européens, notamment en Espagne, les conduit à en faire le mode préférentiel d’obtention de greffons en transplantation rénale (60 pour cent) pour lesquels ils n’ont plus de liste d’attente. (...) Du point de vue de l'Ethique, je me bornerai à dire qu’elle remet en cause la définition de la mort, non sans une certaine hypocrisie d’ailleurs, puisqu’elle revient par là à la notion populaire 'son coeur ne bat plus ! Il est mort !', alors même que nous savons qu’il n'en est pas ainsi et que notre définition scientifique et aujourd’hui légale de la mort est celle de la mort cérébrale. Si donc, chez nos voisins [en Espagne], le prélèvement rénal sur coeur non battant ne semble pas avoir soulevé de grandes interrogations philosophiques ou sociétales, il risque de ne pas en être de même en France. Il est vrai que la précision technique et la rigueur de l’organisation qu’il impose, ne risquent pas de trouver dans nos hôpitaux - du moins les parisiens - un terrain propice au développement rapide de sites expérimentaux."(document disponible en ligne)
1 commentaire:
La question des prélèvements "à coeur arrêté" rejoint celle des critères reconnus pour dire qu'une personne est morte. Avant la loi dite "Loi Caillavet", la mort était reconnue par l'arrêt cardiaque. On accepte maintenant qu'elle ne survient que quelques minutes (de 3 à 10) après l'arrêt cardiaque, parce que c'est seulement après ce laps de temps que le cerveau est détruit. Donc toutes les discussions portent sur le fait de savoir si on peut aujourd'hui considérer à nouveau l'arrêt cardiaque comme un critère de mort, et surtout après combien de temps d'arrêt cardiaque ! C'est sur ces quelques minutes que portent les débats, car lorsque le coeur est arrêté, on n'a pas le temps de mettre en oeuvre les techniques permettant de reconnaître la destruction cérébrale, les organes n'étant plus perfusés. C'est-à-dire que l'on ne peut plus recueillir les preuves légales de la mort. Mais si l'on considère qu'après X minutes d'arrêt cardiaque le cerveau est détruit dans 100 pour cent des cas, on est ramené à la définition légale de la mort en France, par destruction cérébrale, et il n'y a plus de différence, du point de vue de la reconnaissance de la mort.
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