Tandis que les usagers de la santé sont traditionnellement sur les plages ou en randonnée, en plein air, loin des bureaux climatisés et de la lumière électrique, le mois d’août est un mois traditionnellement riche en actualités dans le domaine de la législation du prélèvement d’organes et de tissus. Les lois bioéthiques d’août 2004, toujours en vigueur en attendant leur révision à horizon 2010, réglementent le don, le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus. De son côté, l’Agence de la biomédecine, issue d’une décision parlementaire en mai 2005, orchestre et encourage l’activité des transplantations d’organes. Le mercredi 30 juin 2009, le Professeur Jean-Michel Boles, qui dirige le service de réanimation et des urgences médicales du CHU de Brest, co-directeur de l’Espace Ethique de Bretagne Occidentale, était entendu à l’Assemblée Nationale, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique prévue à horizon 2010. (source) Il a rappelé la loi du 6 août 2004, qui fait de la greffe d’organes une "Grande priorité nationale", ainsi que le décret d’application du 2 août 2005, concernant les prélèvements "à cœur arrêté" en France. Je cite ici les propos du Professeur Boles :
"Rappelons les quatre principes fondamentaux sur lesquels reposent les transplantations d’organes en France : le consentement présumé, l’anonymat, la gratuité, et les règles d’attribution des organes qui sont fixées par l’Agence de la biomédecine. Nous sommes confrontés, et ce depuis assez longtemps, à ce qu’on appelle une pénurie d’organes, qui est liée, et il faut bien le reconnaître, premièrement, à un accroissement des indications de greffe – il y en a de plus en plus, et dans de plus en plus de domaines – et, deuxièmement, à une augmentation du nombre de patients qui sont dans un état tel qu’il y aurait besoin d’une greffe [le Pr. Boles fait ici référence au vieillissement de la population, Ndlr.] (…) Globalement, il y a un trou qui se créé de plus en plus entre le nombre de malades greffés (à peu près 4.000 l’année dernière), et puis le nombre de malades en attente de greffes (il y en a un peu plus de 13.500 à la fin de l’année 2008). Et il y a 222 personnes qui sont mortes faute de greffon [en 2008, Ndlr.]. Alors bien évidemment, cette situation perdure et s’aggrave d’année en année, et ce depuis un certain nombre d’années. Alors, ça a conduit à un grand nombre d’actions : le parlement a fait de la greffe une grande priorité nationale, inscrite dans la loi du 06 août 2004, le parlement, par le biais du Premier ministre, en a fait une Grande cause 2009, ce qui a permis la campagne de sensibilisation de l’Agence de la biomédecine, et puis l’Agence de la biomédecine, de son côté, a engagé nombre d’actions dont l’objectif est d’augmenter le nombre de donneurs d’organes. Il y a des actions destinées au grand public, il y a des actions destinées aux professionnels, et dans les actions destinées aux professionnels, il y a cet arrêté du 2 août 2005, avec les deux décrets d’application. Alors le mois d’août est toujours un mois très très riche pour faire passer des choses importantes, quel que soit le gouvernement en place, c’est toujours au mois d’août qu’il y a des choses intéressantes, importantes qui sortent [i.e. : textes législatifs concernant les transplantations d’organes, Ndlr.]. Et là [avec les prélèvements "à cœur arrêté", Ndlr.], ça ne déroge pas à la règle."Dans ce contexte légal dont la richesse et la complexité dépassent l’usager de la santé lambda, penchons-nous sur cette histoire de prélèvements "à cœur arrêté" (ou à partir de donneur "décédé après arrêt cardiaque non récupéré"), qui, comme nous allons le voir, ne fait pas, au sein de la communauté des acteurs des transplantations, consensus.
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Lors de son audition du 30 juin 2009, le Professeur Jean-Michel Boles, chef du service de réanimation et des urgences médicales du CHU de Brest, co-directeur de l’espace éthique de Bretagne occidentale, répondait aux questions du Professeur Jean Leonetti, médecin, cardiologue, auteur de la loi sur la fin de vie du 22 avril 2005 et rapporteur de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique. Le Professeur Boles avait lui-même demandé à être auditionné pour s’exprimer sur les prélèvements "à coeur arrêté". Ses propos nous ont paru tellement éclairants, dans le contexte de l’ignorance abyssale de l’usager de la santé à ce sujet (et pour cause, comme nous allons le voir), que nous en reproduisons une partie ici.
En tant que réanimateur médical, le Professeur Boles est un spécialiste du diagnostic de la mort encéphalique. Rappelons que la principale source d’organes à des fins de greffe provient des patients dont l’état de mort encéphalique a été diagnostiqué. Les prélèvements après décès du à un arrêt cardiaque (prélèvements "à cœur arrêté") correspondent à une autre situation ou autre source d’approvisionnement en "greffons", ils s’effectuent depuis 2007 en France, impliquent aussi les services hospitaliers de réanimation médicale, puisque c’est suite à un arrêt cardiaque qui n’a pas pu être récupéré par les réanimateurs médicaux que des patients vont se retrouver potentiels donneurs d’organes. De tels patients sont reconnus décédés car ils sont dans un état d’"arrêt cardio-respiratoire persistant", ce qui permet de faire d’eux des potentiels donneurs, de reins principalement. Rappelons que sur les plus de 13.500 patients en attente de greffe fin 2008, près de 80 pour cent attendent un rein. Certains décéderont faute de greffe, bien que la dialyse puisse, en principe, suppléer à l’insuffisance rénale. Cette dialyse est extrêmement coûteuse et invalidante (contraignante) pour les patients qui doivent la subir, à raison de plusieurs heures plusieurs fois par semaine. Les prélèvements "à coeur arrêté" permettent de prélever des reins.
Professeur Jean Leonetti : "Les questions d’éthique posées par les prélèvements d’organes sur donneurs décédés sont diverses et complexes. La procédure des prélèvements 'à cœur arrêté' représente 'l’ultime avatar de la désacralisation du corps', je cite ici les propos du Professeur Jean-Michel Boles. Aussi souhaiterais-je poser au Professeur Boles les questions suivantes : quelles différences faites-vous entre les prélèvements d’organes, de tissus ou cellules réalisés sur personnes reconnues en état de mort cérébrale et ceux sur les personnes reconnues mortes après un arrêt cardiaque dit 'non récupéré' ? Dans quelle mesure les prélèvements 'à cœur arrêté' vous semblent-ils remettre en cause le respect dû à la personne décédée ?"
Professeur Jean-Michel Boles : "J’ai un rôle pas facile aujourd’hui, surtout devant ce panel impressionnant ! Quelques précisions pour commencer. Je suis effectivement réanimateur médical, ce qui veut dire que depuis que je le suis et ça fait 28 ans, j’ai participé personnellement à de très, très nombreux prélèvements d’organes, je reconnais évidemment la nécessité et la légitimité des prélèvements d’organes puisque, et c’est de notoriété scientifique, il n’est pas question de discuter, les résultats de l’utilisation des organes sont patents et montrent que c’est une solution à tous les points de vue – médical, humain et économique – , une solution peut-être de derniers recours, mais en tout cas une solution thérapeutique de très grande valeur, et donc dans mon propos il est hors de question de nier cette valeur, de nier les bénéfices qu’en ont tiré tous ceux qui en ont bénéficié (entre parenthèses j’ai eu la chance, pour l’instant, de n’avoir personne dans ma famille qui en ait eu besoin, mais ça pourrait arriver), et il est bien entendu hors de question pour moi de remettre en cause la légitimité de ces prélèvements. Dernière petite précision personnelle : je porte sur moi une carte de donneur d’organes depuis 14 ans. Donc : qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur le sens profond d’un certain nombre de propos que je vais tenir. (…)
La mise en œuvre de ce décret [sur les prélèvements 'à cœur arrêté', Ndlr.], et c’est d’ailleurs écrit dans le décret, relève de protocoles qui sont établis par l’Agence de la biomédecine, c’est ce qui a été fait, principalement en 2006. Le premier prélèvement 'à cœur arrêté' date de 2006, la première greffe également [greffe d’un rein provenant d’un patient 'décédé après arrêt cardiaque non récupéré', Ndlr.], 10 centres expérimentateurs ont ouvert et ont travaillé en 2007 et en 2008. Avec un premier étonnement, avant même de passer aux conditions de réalisation : un premier arrêté d’août 2005 dit que deux organes peuvent être prélevés chez les donneurs 'décédés après arrêt cardiaque non récupéré' (ou donneurs 'à cœur arrêté') : le rein et le foie. Sauf erreur de ma part, il n’y a que des prélèvements (et des greffes) de reins qui ont été fait, donc on peut se demander au passage pourquoi on n’a pas fait également ces prélèvements de foie. Pourquoi s’ampute-on volontairement d’une partie de ce qu’on pourrait faire ? Et quelque chose qui personnellement m’a beaucoup choqué et m’a beaucoup fait réfléchir, c’est un silence médiatique absolu, qui va durer d’août 2005 jusqu’à, en gros, fin mars 2008, ce qui fait quand-même une période de 32 ou 33 mois, en clair, de la part de l’Agence de la biomédecine, autour de ce qu’il se passait. Ce silence, non seulement à l’égard du grand public, mais aussi de l’écrasante majorité du personnel de la santé, puisque s’il y a deux ans, vous aviez fait un sondage pour savoir qui était au courant de cette possibilité de prélèvement, vous auriez probablement eu des taux de réponse qui étaient tout à fait ridicules. Ca c’est quand-même un premier élément de réflexion : de se dire que, à juste titre, on veut augmenter le nombre de prélèvements d’organes, on met en place quelque chose de nouveau, qui n’est pas de la recherche, qui n’est pas une invention française, ça existe et ça fonctionne de façon parfaitement efficace dans un certain nombre de pays depuis des années, et on fait ça dans un silence à la fois professionnel et médiatique total. Qu’est-ce qu’on a à cacher ?
Alors, pour répondre à vos questions : qu’est ce qui pose problème, d’abord dans les modalités de réalisation de ces procédures [de prélèvements 'à cœur arrêté', Ndlr.] ? Alors, qu’est ce qu’il se passe ? D’abord, quelqu’un fait un arrêt cardiaque, par définition inopiné, on le programme rarement, ça peut être dans la rue, ça peut être à l’hôpital. Les secours sont appelés, arrivent, au bout d’un temps X et engagent les manœuvres recommandées par les sociétés savantes, qu’elles soient françaises, américaines, européennes, enfin bref, on fait ce qu’il y a à faire. Et, hormis certains cas particuliers (hypothermie, intoxication médicamenteuse), au bout de 30 mn, on s’aperçoit que les manœuvres ne sont suivies d’aucune efficacité clinique et que cette personne n’a donc pas repris une activité cardiaque spontanée. Si on se trouve dans un cas de figure parfaitement clair (on exclue l’hypothermie, les intoxications médicamenteuses et puis quelques bizarreries), on s’arrête. On s’arrête pendant 5 mn. Cet arrêt a deux objectifs. Le premier, c’est de valider que cette personne est morte d’un arrêt du fonctionnement du cœur, sans doute possible, puisque si le cœur n’est pas reparti au bout de 5 mn, c’est qu’à-priori, il ne devrait pas repartir, et le deuxième, c’est que 5 mn est le temps nécessaire à la destruction finale, irréversible, définitive et complète du cerveau. De l’encéphale, plus exactement. Ces constats étant contre-validés – premier constat, il n’y a pas de reprise d’activité, deuxième constat, il y a effectivement pérennisation de cette absence d’activité – eh bien on va reprendre les manœuvres de réanimation cardio-pulmonaires, c’est-à-dire un massage cardiaque externe, qui peut être manuel ou automatisé, avec une ventilation mécanique au travers d’une intubation trachéale, et on va emmener ce malade [Il n’est donc pas encore mort ? Ndlr.] dans l’endroit de l’hôpital où il aura été décidé qu’on pourrait faire un certain nombre de choses ['soins' au préalable du prélèvement des reins de la personne, Ndlr.] … enfin ce cadavre, pardon, puisqu’il est devenu cadavre, il est officiellement mort, [CQFD : ce donneur d’organes meurt donc deux fois : d’abord la mort légale, ensuite la mort physiologique, au moment du prélèvement de ses organes, Ndlr.], ce cadavre, donc, est transporté de là où il a fait son arrêt cardiaque jusqu’à l’hôpital, et s’il était à l’hôpital au moment où il a fait son arrêt cardiaque, (...) il sera amené dans ce lieu. Et là qu’est ce qu’il se passe ? On va mettre en œuvre un système de refroidissement des organes avec des sondes artérielles et veineuses pour injecter un liquide glacé qui sera récupéré ensuite, avec un ballonnet qui sera gonflé au niveau de l’aorte sous-diaphragmatique, pour éviter toute irrigation au-dessus du diaphragme [il ne faut plus 'risquer' d’irriguer le cœur, ni le cerveau, puisqu’il a été décidé que l’arrêt cardiaque de ce malade était irréversible, Ndlr.], on va pouvoir refroidir les organes, l’objectif, là, étant extrêmement simple : c’est d’éviter ce qu’on appelle les lésions d’ischémie chaude, c’est-à-dire les lésions que les organes vont subir pendant la période où l’organisme va passer de sa température standard, à partir de 37 degrés C (…), jusqu’à ce qu’il arrive à la température de la pièce. C’est ce qu’on appelle l’ischémie chaude. Ensuite, on convoque la famille. Alors, je vais être provocateur, mais c’est un peu volontaire, et vous me le pardonnerez, et là, on va lui annoncer deux nouvelles, une pas bonne, et une peut-être bonne. La première, pas bonne, c’est que malheureusement, son proche est décédé, et la deuxième, peut-être bonne, c’est : 'S’est-il de son vivant opposé à des prélèvements d’organes et de tissus ?', puisque je vous rappelle que les prélèvements possibles sont reins et foie en ce qui concerne les organes, mais aussi tout un tas de tissus, comme déterminé dans le deuxième arrêté du 2 août 2005. Et la famille, là, a un temps extrêmement bref pour dire oui ou non, puisqu’il y a un compte à rebours qui a été lancé depuis le moment où l’arrêt cardiaque s’est produit, la totalité de la chaîne des prélèvements devant être bouclée dans un temps qui est extrêmement contraint, qui est de quelques heures. Et là, la famille a très peu de temps, puisque cette période de refroidissement des organes [ou ischémie chaude] ne peut pas durer longtemps (…). Et là, il y a deux situations : ou bien la famille rapporte que le patient s’était opposé de son vivant à des prélèvements d’organes, et les médecins avaient bien entendu vérifié de leur côté que le patient ne s’était pas inscrit sur le registre national informatisé des refus, et si c’est le cas, puisqu’il est légalement mort, eh bien, on va tout enlever, bien entendu, ou bien il n’y a pas d’opposition constatée, à la fois dans le refus national informatisé et par l’avis de la famille, et on va pouvoir lancer la procédure de prélèvement, ce qui veut dire que la famille aura un temps extrêmement restreint pour rester avec son proche.
Alors, ça c’est une procédure qui, décrite comme ça, mon Dieu, n’est pas nécessairement extrêmement choquante, encore que, si on voulait être parfaitement honnête, il faudrait montrer ce que c’est. Puisqu’on joue sur l’émotion des 222 personnes malheureusement décédées en 2008 par défaut de greffon, j’aimerais qu’on joue aussi sur l’émotion de montrer comment on traite, avec bien sûr tout le respect qui lui est du, ce cadavre, et qu’on voie cet instrumentalisation du cadavre. Et je vous rappelle que pendant qu’on fait cette instrumentalisation, on n’a aucune idée de savoir si cette personne, alors qu’elle était vivante, était d’accord, ou non, pour qu’on lui prélève ses organes et donc qu’on fasse ceci 'après sa mort'. Alors par rapport à la procédure qu’on connaît tous et à laquelle on a tous participé dans les services de réanimation, c’est-à-dire les prélèvements [d’organes] sur les personnes en état de mort encéphalique : Alors [dans le cas d’un donneur d’organes en état de mort encéphalique, Ndlr.], c’est quelqu’un qui est intubé, ventilé, qui est en réanimation, pour lequel on a un certain nombre d’éléments qui laissent à penser qu’il pourrait être en mort encéphalique, on va les corroborer sur le plan clinique en l’examinant, en faisant une épreuve qui consiste à débrancher l’aspirateur, en vérifiant, après oxygénation, qu’il n’y a pas de respiration spontanée ['test d’apnée', Ndlr.]. A partir de ces signes cliniques, on va aller faire soit deux électroencéphalogrammes (EEG) à quatre heures d’intervalle, soit un angioscanner, pour vérifier qu’il y a soit deux EEG plats à quatre heures d’intervalle, soit une absence totale de vascularisation intracérébrale. Mais là, si on prend la première procédure, qui est celle du prélèvement sur donneur 'à cœur arrêté', par rapport à celle-ci [celle concernant le donneur en état de mort encéphalique, Ndlr.], on voit bien qu’il y a des ruptures. Et pour moi, il y en a quatre. Il y a une rupture de temps. Car pour le malade qui est en réanimation [celui en état de mort encéphalique, Ndlr.], rien ne s’est arrêté. Le traitement a été poursuivi. C’est une continuité. C’est un véritable continuum de traitement. Alors que sur le donneur 'à cœur arrêté', comme on l’appelle, eh bien il était sur la route, on a constaté qu’il était mort, on s’est arrêté. On a presque levé les mains en l’air, si je veux illustrer mon propos [cf. les 5 mn d’attente, avant d’entamer la réanimation dans le seul but de préserver des organes à des fins de prélèvement, Ndlr.]. On a attendu 5 mn pour reconsidérer la situation et refaire quelque chose. Rupture de temps. Rupture de lieu. [Maintenant, en ce qui concerne le patient en état de "mort encéphalique", Ndlr. :] [l]e malade qui était en réanimation reste en réanimation. Il n’a pas bougé de son lit. Alors que là on a pris un cadavre qui était officiellement reconnu comme cadavre, on l’a mis dans une ambulance et on l’a transporté dans un nouveau lieu qui est l’hôpital. Et il y a une rupture de type de traitement. Alors, vous qui n’êtes pas nécessairement habitués à ce genre de chose, en réanimation, quand on est face à une suspicion, puis à une preuve de mort encéphalique, on va modifier éventuellement certains traitements, pour basculer de ce qui était une visée thérapeutique curatrice à une visée thérapeutique préservatrice des organes. Peut-être des doses de drogues ou des débits de fluides qui vont être un tout petit peu différents. Mais c’est le même traitement qui est maintenu. Alors que là [dans le contexte des prélèvements 'à cœur arrêté', Ndlr.] vous voyez bien que sur ce cadavre on introduit un nouveau traitement – je n’ose pas dire 'traitement' puisqu’on ne traite pas un cadavre. Ce sont des mesures instrumentales dans un objectif qui n’a rien à voir avec lui-même (…) [les manœuvres techniques visant à la conservation des organes du patient ayant fait un arrêt cardiaque non récupéré ou 'réfractaire' sont invasives, mais elles ne sont plus dans l’intérêt dudit patient, puisqu’elles visent à conserver des organes qui vont être prélevés. Le patient devient ainsi un simple réservoir d’organes, c’est-à-dire un cadavre officiellement mort. Ce qui pose bien entendu un problème de déontologie médicale, puisque le médecin est supposé poursuivre le bien du seul patient qu’il a en face de lui, et non sacrifier l’intérêt de son patient au bénéfice d’autres patients, en l’occurence, ceux qui attendent un rein, Ndlr.] (…) On introduit des choses qui n’ont rien à voir avec un continuum de traitement. La quatrième rupture est une rupture d’équipe. Parce qu’en réanimation [pour le donneur d’organes en mort cérébrale, Ndlr.],c’est la même équipe qui prend en charge ce patient, lorsqu’il était patient, non encore déclaré en mort cérébrale, et ensuite, cette personne, dont nous traitons le cadavre, qui est devenue un cadavre, officiellement, à partir du moment où le diagnostic de mort cérébrale est fait. Alors que dans notre exemple, il y a l’équipe du sauveteur, qu’elle soit du Samu ou peu importe, qui s’est occupée de l’arrêt cardiaque, on amène ce malade à l’hôpital dans un endroit où ces manœuvres instrumentales [visant à la conservation des organes, Ndlr.] ont été faites, où probablement, ça ne devrait pas être la même équipe qui va s’en occuper, puisque elle aurait autre chose à faire, comme : retourner s’occuper d’un autre arrêt cardiaque, ou s’occuper d’un poly traumatisme sur la voie publique. Donc il y a quand-même des différences qui sont extrêmement fondamentales, me semble-t-il, dans la procédure [si on compare les prélèvements 'à cœur arrêté' et ceux sur un donneur en état de 'mort encéphalique', Ndlr.]. Alors, qu’est-ce qu’il y a derrière tout ça ? (...) Encore une fois, il ne s’agit pas du tout de remettre en cause la nécessité des prélèvements d’organes dans un but extrêmement positif, qui est de traiter des gens qui sinon mourraient, il s’agit que nous nous demandions, (…), que vous, en tant que représentation nationale, vous vous demandiez, que nous nous demandions avec nous : qu’est-ce que, de façon sociétale et non plus médicale, nous sommes prêts à accepter de ce qu’on fait à l’homme ? En clair, cela veut dire : est-ce que la fin justifie les moyens ? Est-ce que la fin qui est bonne, à savoir la greffe d’organe(s) à des gens qui sinon risqueraient d’en mourir sinon d’en subir des préjudices certains, justifie tous les moyens ? C’est-à-dire en clair, entre guillemets : la 'récupération d’organes', de 'greffons', par tous les moyens possibles ?"
Non, Professeur Boles, vous avez raison : la fin ne doit pas justifier les moyens. Les transplantations d’organes ne doivent sacrifier ni la dignité humaine, ni la déontologie médicale.
Le mercredi 22 juillet 2009, toujours dans le cadre de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, M. Bernard Loty, directeur médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine, et Mme Corinne Antoine, médecin responsable du programme de prélèvement sur donneur 'décédé après arrêt cardiaque' ('coeur arrêté') à l’Agence de la biomédecine, praticien hospitalier à l’hôpital st louis à Paris (service de néphrologie, unité de greffe pancréatique et rénale), étaient entendus à l’Assemblée Nationale, toujours sous la houlette du Professeur Jean Leonetti, rapporteur de cette mission d’information sur la révision des lois de bioéthique. (source). Je cite un extrait des propos de M. Loty :
"Que dire de cette situation actuelle ? La situation de la France est extraordinairement bonne, si on compare la situation actuelle avec celle de la fin des années 90, où il y avait une perte de confiance des citoyens dans l’activité des transplantations, des affaires désagréables [comme l’Affaire d’Amiens en 1991-92, Ndlr.]. Tout cela est maintenant réglé. La France est devenue le deuxième meilleur élève en Europe en tant que prélèvement et greffe d’organes [après l’Espagne, Ndlr.] Notre pays est considéré par d’autres pays comme un modèle aujourd’hui, même si nous ne sommes pas tout à fait au niveau de l’Espagne en termes de prélèvement d’organes, nous sommes juste derrière, et nous avons nos spécificités et notamment, en termes d’évaluation des résultats, nous sommes très en avance, au même niveau que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis (...). Les lois de bioéthique (l’actuelle, en vigueur depuis 2004) ne sont pas que des lois de principe et d’éthique. Ce sont au moins autant des lois d’organisation. Il s’agit de lois ayant permis de structurer la chaîne des soins en France, depuis les autorisations de prélèvement, les autorisations de greffe, la publication des résultats des greffes (transmis aux équipes), la publication des règles de bonne pratique, l’encadrement de la sécurité sanitaire, de la biovigilance (…). Je redis ce qui me paraît extrêmement important, c’est l’organisation par la loi des principes, mais pas seulement : c’est aussi l’orchestration de la chaîne de soins, l’accès aux soins, la qualité des soins, l’évaluation des résultats, et finalement la confiance des citoyens et de tous (aussi les législateurs, j’espère) sur la mécanique qui a été mise en place. (…) Une loi c’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Et qu’est-ce qu’il faut après la loi ? Il faut des sous. Et ce n’est pas la loi qui donne des sous, c’est-à-dire du personnel dans les équipes. Nous avons eu la chance en France d’être suivis par les gouvernements successifs, qu’ils soient de droite, qu’ils soient de gauche, pour nous donner des moyens – pas à nous, Agence de la biomédecine, mais aux équipes de prélèvement et de greffes d’organes, de façon à ce qu’ils aient le personnel nécessaire pour faire ces activités. L’argent qu’investit l’Etat dans la greffe est extrêmement rentable, puisque ce sont des millions d’économies d’Euros qui sont réalisées entre le coût de la dialyse et le coût de la greffe de rein. Ce sont des millions d’Euros qui ont été économisés pour l’Etat dans ce contexte-là. Après la création d’un plan greffe en 2000-2003, qui avait permis de distribuer 140 équivalents temps plein, dont 1/3 de médecins, 2/3 d’infirmières, il a fallu changer de méthode, et aujourd’hui (…), c’est la T2A que nous avons pu aménager [tarification à l’acte] avec des forfaits, puis des paiements par greffe, de façon à pourvoir les services. (…) Les chirurgiens voudraient que les déplacements en pleine nuit, d’avion à avion, fasse l’objet de paiements spécifiques, je ne pense pas qu’on soit là au niveau de la loi de bioéthique, mais je vous le dis tout de même pour que vous soyez alertés sur ce point si il doit interférer dans une législation quelconque. (...) Il nous faut des gens, qu’il faut former, il nous faut des fonds, mais de la part de la loi, nous n’attendons rien. Le consentement présumé nous va comme un gant, je rappelle que dans la constitution, il y a 'fraternité', et le consentement présumé, c’est l’émanation même de cette fraternité, et il faudrait qu’il y ait d’extraordinairement bonnes raisons pour se permettre de toucher à ce consentement présumé, qui est un principe solidement ancré dans notre pays. Ca n’existe pas de prélever aujourd’hui en douce sans aller voir la famille. La situation de pénurie d’organes à greffer existe partout, y compris en Espagne, meilleur élève de l’Europe. Il y a un consensus sur les prélèvements 'à cœur arrêté', à part un ou deux individus."Nous sommes rassurés.
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