Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)
Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).
To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!
Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.
Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).
I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...
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La citation du jour
La mort ne ferait-elle plus partie de la vie ? Quel rapport avec les transplantations d'organes vitaux ?
" (...) j’ai envie de secouer ces gens , de dire que cacher la mort, c’est un peu cacher la vie, c’est un peu restreindre le panel des émotions véritables que peut ressentir un homme, c’est un peu vouloir troquer la vraie douleur de l’Homme contre une morne prise en charge assentimentale. Que déposséder les familles de leur dépouille , c’est un peu les déposséder d’eux-mêmes, car que sommes-nous sinon le résultat de tous nos ancêtres plus nous-mêmes ?
Il y a quelque chose (...) qui se rapproche du déni de la réalité et de la personne unique qui était bien vivante la seconde d’avant."
Lien :
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/la-nouvelle-campagne-pour-le-don-d-63977#forum2286020
"Dénégation de la mort" : David Le Breton, "La Chair à vif", Editions Métailié, 2008, p. 318-319 :
"Parce qu’ils craignent de mourir, des malades sont prêts à sacrifier leur autonomie pour retarder l’échéance, disposés à toutes les tentatives, même si elles font d’eux pour des années, parfois pour toute leur existence, des habitants de la planète médicale. Pour eux, l’autonomie individuelle doit céder devant une médecine à leurs yeux toute-puissante. Même diminuée, la vie conserve son prix. D’autres refusent des soins mutilants qui les prolongeraient en amenuisant un goût de vivre de plus en plus ténu. La lutte contre la mort à tout prix est une tentation de la médecine dont la conséquence est d’accroître encore la peur de mourir. Ce refoulement obstiné de la mort, outre ses effets sociaux et culturels, le patient le paie non seulement de sa liberté, mais aussi d’une grande souffrance pour une issue parfois aléatoire. Gagner du temps sur la mort n’est une victoire que s’il en résulte une joie persistante de vivre ou une volonté claire de subir cette épreuve.
Les malades en attente de greffe ont traversé de pénibles souffrances et sont taraudés par une forte angoisse de mort. Ils ont perdu leur autonomie personnelle ; médicalement dépendants, ils ont déjà connu une série de deuils mineurs des choses de leur vie. Ce qui paraissait à leurs yeux de prime abord inacceptable devient alors non seulement légitime, mais aussi désirable. Franchir un certain seuil de souffrance et de renoncement au profit de la prise en charge médicale intégrale – ou quasi telle – de la vie, suscite l’attente anxieuse d’échapper enfin à l’engrenage par le compromis ultime de recevoir en soi l’organe d’un autre homme.
Au terme du processus, la ‘délivrance’ est attendue, même si elle induit d’abord la terreur de l’échec (et de la mort possible) et ensuite, le danger de mort éloigné, la résolution d’une crise personnelle et la dépendance aux immunodépresseurs.
La médecine occidentale est fondée sur un formidable déni de la mort.
En repoussant toujours plus loin les limites de la vie, elle met provisoirement la mort en échec, mais en cela, elle apporte souvent davantage des années à la vie que de la vie aux années. Et, dans le même temps, elle fait toujours plus de la mort un fait inacceptable à combattre comme une instance radicalement étrangère à la condition humaine. Elle rend ainsi difficile le deuil de soi face à la maladie grave ou le deuil des proches. Ce discours de toute-puissance relayé par les médias, même s’il est démenti dans les faits, déréalise la mort et prive les résistances sociales et personnelles de leur moyen d’action. La médecine désapprend de mourir ou d’accepter la fragilité qui est celle de la condition humaine. Elle rend toujours plus difficile l’assomption de l’épreuve en laissant croire qu’il y a des solutions à tout, même si elles sont extrêmes. Face à une chance même infime de survivre, le patient ou la famille s’accrochent. Et lorsque la mort advient malgré tout, ou que la survie exige une grande dépendance à l’appareil médical ou une souffrance prolongée, il y a le sentiment d’avoir été dupe."
(Copyright Editions Métailié 2008)
Professeur Daniel Loisance, Chef du service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire de l'hôpital Henri-Mondor, Créteil, dans son livre intitulé "Le Coeur réparé", Editions Robert Laffont, 1999 (p. 291) :
"Ce malaise n'a jamais été aussi fermement et clairement exprimé que par la sociologue Renée Fox. Signant un livre intitulé 'Spare parts' ('Pièces détachées'), elle dénonce les conséquences des excès de chaque partenaire, les spécialistes et la société. Elle n'hésite pas à intituler le dernier chapitre de cette étude 'Les observateurs impliqués : dernier voyage' et à écrire ces lignes : 'En dernière analyse, notre départ de ce milieu, à un moment où interviennent des éléments majeurs (...), n'est pas seulement précipité par un souhait de prendre du recul, émotionnellement. C'est surtout, de notre part, un jugement de valeur. Notre départ signifie que nous voulons nous distinguer très clairement de ce que nous considérons comme une dérive d'un pouvoir médical excessif et des efforts faits par la société pour perpétuer sans fin la vie et réparer, reconstruire l'homme par le remplacement d'organe. Nous voulons nous séparer des souffrances humaines, du mal social, culturel, spirituel qu'engendrent ces excès sans limites.'
Si le sociologue peut dénoncer ces excès, le chirurgien, au contact du malade, ne peut 'quitter le milieu'. Il peut par contre essayer de se faire entendre, parler vrai, expliquer les malentendus, ramener la société à la raison." (Copyright Robert Laffont, Paris, 1999)
Professeur Bernard Devauchelle, pionnier de la greffe des "tissus composites de la face", CHU d'Amiens, à l'auteur de ce weblog d'information sur l'éthique et les transplantations d'organes (28/10/2009) :
"Madame, bien évidemment, je suis sensible (...) aux prises de position qui sont les vôtres."
Professeur Bernard Debré, Chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin, Paris, et membre du Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE) : le vendredi 17 octobre, à l'occasion de la journée mondiale du don d'organes, le Professeur Debré intervenait dans un débat sur le don d'organes sur la Chaîne Parlementaire (LCP), dans l'émission "Ca vous regarde". Ses tentatives de "ramener à la raison", de "parler vrai" sont d'autant plus méritoires que le discours public sur le don d'organes, orchestré par l'Agence de la biomédecine, ne s'affranchit jamais de la promotion du don d'organes. (Lien vers cette émission).
Superman ?!
Le Professeur Bernard Debré s'est dit choqué par cette image (source).
Je souhaiterais dire ici le malaise que cause cette image dans le monde des enseignants. Quelle pédagogie pour cette image ? Avec des collègues enseignants (lycée), nous avons regardé cette image, puis le reportage du 17 octobre, dans l’émission "Ca vous regarde" (La Chaîne Parlementaire). (source).
Gêne de certains enseignants. "Cette image est d'une violence !", "Le Professeur Bernard Debré a raison, c'est choquant !", "Les intégristes du don d'organes ont encore frappé, c'est lourdement marketé, leur truc !". Je cite quelques propos sur le vif, recueillis en "salle des profs" dans un bon lycée des Yvelines.
Des images comme celles-ci ne contribuent pas à mettre en place une pédagogie pour parler du don d'organes à l'école. Elles sont source de malaise. Si bien qu'on entend des profs de SVT (biologie-physique) ou de langues vivantes dire : "Ah oui, il faut que je parle du don d'organes à mes élèves !", mais cette (bonne) résolution reste lettre morte, faute de matériel pédagogique n'évacuant pas la seule question centrale sur le sujet (les élèves ne sont pas dupes) : quelle mort pour le donneur d'organes ? Un élève a fait remarquer que "même si on ne croit pas à la mort encéphalique (car le potentiel donneur d'organes est encore chaud), on peut discuter avec les médecins pour savoir si ce potentiel donneur (notre proche !) sera anesthésié et s'il ne souffrira pas lors du prélèvement des organes."
"Les transplantations d'organes constituent une glorification de la mort", disait le Professeur Christian Cabrol, pionnier des greffes en Europe. Professeur, je trouve ce point de vue extrêmement choquant. La mort n'est pas glorieuse. A moins de se prendre pour Jésus Christ. Ou Superman. Mais visiblement, vos propos ont fait école, ils ont même été illustrés par cette belle image, que, à l'instar de mes collègues, je me garderai bien d'utiliser en cours.
En lieu et place de cette image, nous avons réfléchi à une petite phrase pour ouvrir le débat : "Le don d'organes, c'est comme les antibiotiques, c'est pas automatique !"
Une remarque au passage : dans cette émission sur LCP (La Chaîne Parlementaire), il est précisé que le chirurgien qui prélève les organes vitaux d'un donneur en état de "mort encéphalique" n'a pas la droit de pratiquer la greffe d'organes vitaux, et inversement : un chirurgien qui greffe n'a pas le droit de prélever les organes. Veut-on montrer au grand public une indépendance de bon aloi entre les équipes chirurgicales de prélèvement et celles de greffe ? A y regarder de plus près, on pourrait penser que cette indépendance (ce cloisonnement) tend à faire oublier un élément pourtant fondamental du don d'organes : le don passe par la mort.
C'est précisément ce qu'a rappelé le Professeur Bernard Devauchelle, pionnier de la greffe des "tissus composites de la face" (CHU d'Amiens), en mai 2009 lors des sessions "éthique et transplantations" à l'Académie Nationale de Médecine (Paris) :
"Cette cérémonie du prélèvement d'organes se fait avec un respect du corps de celui qui est encore en vie et qui ne le sera plus après, ça c'est un point important qu'il convient de souligner. Par ailleurs, dans cette balance de mise en avant de la greffe par rapport au prélèvement, il s'avère que bon nombre des gens qui font les transplantations (i.e. greffe de foie, coeur, visage) sont ceux-là même qui font le prélèvement. Et dans le même esprit, il n'y a pas dissociation du tout, il n'y a pas transplantation [i.e. greffe, Ndlr.] sans prélèvement, et il est bon que ce soient les mêmes personnes qui fassent et l'un et l'autre".(source)
==> Lire cet article sur AgoraVox, le journal citoyen en ligne : lien. Voir les commentaires !
Le don d'organes, c'est comme les antibiotiques, c'est pas automatique !
Samedi 17 octobre 2009 avait lieu la journée internationale du don d’organes. A cette occasion : témoignages, appel à la générosité, et surtout : rappel de la situation de pénurie d’organes à greffer. Dans un contexte juridique de "consentement présumé" – tout le monde est présumé consentir au don de ses organes vitaux à sa mort – et avec une "définition juridique de la mort" qui "ne répond pas à une meilleure connaissance de la mort, mais à la nécessité d’accéder sans obstacle à des ressources utiles à la pratique médicale", comme les fameux "greffons" (organes vitaux), comment se fait-il qu’il y ait pénurie ? (citation de David Le Breton, "La Chair à vif", Editions Métailié, 2008). Tous les outils législatifs ont pourtant été mis en place pour que les acteurs des transplantations puissent … "soigner l’homme avec des bouts d’homme" (Claire Boileau, "Dans le dédale du don d’organes", Editions des Archives Contemporaines, 2002).
==> Lire cet article sur AgoraVox, le journal citoyen en ligne : lien.
La question "Etes-vous pour ou contre le don d’organes" n’est pas une question ouverte. Elle appelle une réponse sans nuance(s) : "oui/non", un peu comme l’interrupteur "On/Off" d’un appareil électrique ou électronique, ou une porte qui doit être ouverte ou fermée (afin d’éviter les courants d’air), ou encore ces films hollywoodiens où n’existent que des bons et des généreux ("the goodies") d’un côté et des méchants, égoïstes et repliés sur eux-mêmes ("the baddies") de l’autre. Je vous propose de sortir de cette fiction.
J’aimerais citer une sociologue, Renée Fox, qui dans son livre intitulé "Spare parts" ("Pièces détachées"), dénonce la "dérive d’un pouvoir médical excessif et des efforts faits par la société pour perpétuer sans fin la vie et réparer, reconstruire l’homme par le remplacement d’organe. Nous voulons nous séparer des souffrances humaines, du mal social, culturel, spirituel qu’engendrent ces excès sans limites".
Petite illustration de ces propos : à l’occasion de la Journée mondiale de la greffe, le Professeur Christian Cabrol, pionnier de la greffe cardiaque en Europe, était interviewé. Je cite ses propos : "Il y a encore beaucoup de fantasmes autour des dons d’organes. Pourtant, la question est très simple : il s’agit de permettre que l’on nous prélève des organes alors que l’on est déjà mort. Ce n’est vraiment pas grand-chose quand on y pense. C’est un acte social et en même temps, une glorification du corps.". Source : http://actuagencebiomed.blogspot.com/2009/10/don-dorganes-appel-la-mobilisation.html
Ces propos évacuent clairement la question de la mort : il s’agit de donner ses organes alors qu’on est déjà mort. Le don d’organes se réduirait à une simple formalité. Une simple formalité administrative, ajouterait-on presque, par réflexe.
Que se passerait-il si on réintroduisait la mort dans la question du don d’organes ? Après tout, ce n’est pas le chirurgien transplanteur qui devra vivre un chagrin, accomplir ce travail du deuil suite à la perte d’un être cher sur lequel on aura accepté le prélèvement d’un ou de plusieurs organes vitaux, et/ou de tissus, comme les tissus composites de la face.
Réintroduire la mort dans la question du don d’organes, c’est précisément ce qu’on fait des sociologues comme David Le Breton (ouvrage cité plus haut) :
"La définition juridique de la mort ne répond pas à une meilleure connaissance de la mort, mais à la nécessité d’accéder sans obstacle à des ressources utiles à la pratique médicale. Dans les mêmes circonstances physiques un individu déclaré mort aujourd’hui ne l’aurait pas été en France avant que la loi n’établisse la notion de mort cérébrale. L’opération suscite alors le commentaire désabusé de juristes évoquant pour le patient prélevé l’idée d’une ‘mort par circulaire’. A la différence du constat de mort par arrêt cardiaque, la mort cérébrale introduit une sévère ambigüité. L’insistance sur ‘cérébral’ dans la notion de ‘mort cérébrale’ résonne comme un lapsus, comme s’il n’était plus possible que de mourir par séquence. La personne disponible aux prélèvements n’est pas ‘morte’ au sens courant du terme, mais dans un état intermédiaire. Son cerveau est détruit, elle est maintenue en réanimation par des techniques sophistiquées et donne encore les apparences de la vie. Elle n’est ni morte ni vivante, ou plutôt simultanément morte et vivante. Elle gît dans son propre corps, inaccessible, impensable, entre deux mondes, cadavre vivant et disponible aux prélèvements. D’organe ôté en organe ôté, elle meurt de plusieurs morts avant la mort ultime du débranchement de la machine. La notion de mort cérébrale identifiant la destruction du cerveau à la mort de l’homme est sans doute admissible dans les sociétés occidentales marquées par le dualisme entre corps et âme, et où la médecine traite essentiellement du corps malade. Dans ces sociétés l’humanité est assimilée à l’âme, et une vision séculière associe cette dernière au cerveau. Dans cette logique la mort du cerveau est celle de l’âme, et donc celle de l’individu puisqu’il ne resterait de vivant que son ‘corps’, c’est-à-dire ‘rien’. La mort cérébrale est un héritage dualiste, une vision purement biologique de l’homme qui occulte l’existence réelle. Car ce n’est pas le cerveau qui pense, vit, ou suscite l’affection, mais la personne. L’identification de l’homme aux seules fonctions supérieures de la conscience, à la seule pensée, soulève bien des questions irrésolues et renvoie à une vision limitée de l’humain. En écho au ‘cogito’ de Descartes, une personne est-elle identifiable à ses seules fonctions cérébrales ? Pour nombre de proches, l’ambivalence persiste. A leurs yeux l’individu est encore vivant, même si son cerveau est lésé. ‘Le corps est uniquement le corps de ce cerveau et non d’un autre, de même que le cerveau est uniquement le cerveau de ce corps et non d’un autre (…). Mon identité, écrit H. Jonas, est l’identité de mon organisme entier, même si les fonctions supérieures de la personne sont localisées dans le cerveau. Comment autrement un homme pourrait-il aimer une femme, et pas seulement son cerveau ? (…) Ainsi le corps du comateux, dans la limite où, à l’aide de l’art, il continue à respirer, son cœur à battre, les échanges cellulaires se poursuivre, doit être considéré comme la continuation du sujet aimant et aimé, et en tant que tel, il a encore au moins le droit à cette part de sacralité que les lois de Dieu et des hommes lui confèrent. On ne peut l’utiliser comme un simple objet’ (Jonas, 1974). Et H. Jonas exige que ‘le patient soit absolument sûr que son médecin ne devienne pas son exécuteur’. A moins d’être une créature surréaliste ou déjà une chimère issue d’un laboratoire clandestin, le corps est l’unique lieu d’apparition de l’homme, et non son seul cerveau. La famille confrontée à un proche en mort cérébrale continue à le voir vivant, elle sent sous sa main une peau chaude, comme elle l’était les heures précédentes ; le visage semble prêt à ouvrir les yeux ; la poitrine se soulève régulièrement ; et surtout le cœur continue à battre. L’idée de mort encéphalique est partielle et partiale, elle est abstraite pour quiconque ne participe pas d’une culture médicale rationnelle. Les mots échouent à définir le statut d’un individu à la fois mort et vivant. Sa mort cérébrale ne lui ôte en rien les allures du vivant. La frontière entre vie et mort devient poreuse, réversible, abstraite, échappant à toute intuition sensible. Une mère, par exemple, demeure hantée par les conditions de prélèvement sur son fils : ‘Je croyais qu’on attendait la mort’, dit-elle." (Copyright Editions Métailié, Paris, 2008)
Les sociologues réintroduisent donc dans la question du don d’organes une complexité que certains chirurgiens transplanteurs, ainsi que l’Agence de la biomédecine, qui orchestre le discours public sur le don d’organes, cherchent à … faire oublier.
Débattre en public de la question du don d’organes, c’est parler de tout ce que vous voulez, sauf de la mort. Tout ce que vous voulez. Prenons le thème du consentement. "Consentement présumé" (on est tous présumés consentir au don de nos organes en France, c’est la loi), ou "consentement explicite" (on doit demander sa carte de donneur, qui a valeur légale, pour exprimer son accord au prélèvement de ses organes vitaux à sa mort, c’est le cas en Suisse et en Grande-Bretagne, ainsi qu’aux USA) ? Le débat fait rage, surtout que les lois bioéthiques actuelles sont en cours de révision. Faut-il changer le "consentement présumé" ? Faut-il instaurer le "consentement explicite" ? Attention faux débat ! Là n’est pas le problème ! Le problème, c’est la mort du donneur d’organes : ce mort semble simplement endormi. Les familles confrontées au don d’organes doivent accepter cette mort à l’aspect si peu conventionnel qu’est la "mort encéphalique" ... Et pour cause : pour un potentiel donneur d’organes, le constat légal de décès est anticipé. La mort légale du potentiel donneur d’organes précède sa mort physiologique. Ce constat légal de décès anticipé constitue le seul moyen de récupérer des organes vitaux à des fins de transplantation. Voilà la réalité à laquelle est confrontée toute famille de potentiel donneur d’organes. Voilà ce que ces proches confrontés au don d’organes doivent accepter - ou refuser : un constat légal de décès anticipé. A quelle mort est-ce que je crois ? Quelle va être la toute fin de vie du donneur d’organes ? Il est impossible de prélever des organes vitaux sur un cadavre. Le vrai problème, il est bien là. Le débat "consentement présumé (arraché ?) ou explicite" est un faux débat, la seule réalité, c’est la question de la mort du donneur d’organes, le Professeur Bernard Debré l’a répété le 17 octobre, dans l’émission "Ca vous regarde" (La Chaîne Parlementaire) (source). Pour lui, le "consentement présumé" contre le "consentement explicite", cela fait match nul ! La réalité, c’est qu’il y a une famille à convaincre, au chevet d’un patient dont on dit qu’il est mort, mais il semble simplement endormi (il respire, il est rose). Cet aspect non conventionnel de la mort serait le principal obstacle au don d’organes, motivant le refus de 30 à 35 pour cent des proches confrontés au don d’organes (ce taux de refus peut atteindre 50 pour cent en pédiatrie). On pense au constat de décès anticipé sur le plan légal, et au décalage entre mort légale et mort physiologique, la première précédant la deuxième. Pour le Professeur Bernard Debré, la réalité du don d’organes se résumé à cette question :
"Le consensus établi pour favoriser les prélèvements n’a pas fait de la mort cérébrale une vérité de la mort. Celle-ci continue à soulever des doutes, ne serait-ce que dans l’intimité des consciences. Immanquablement, elle suscite la question du sens qu’elle revêt pour ceux qui sont confrontés à la situation de voir un proche en cet état." (David Le Breton, ouvrage cité).
Loin de balayer d’un revers de la main la question de la mort et son cortège de questions philosophiques, comme l’a fait plus haut le Professeur Christian Cabrol, le Professeur Bernard Debré renvoie sans fard aux réalités de cette affaire des transplantations.
Pour faire connaissance avec les réalités des transplantations, nous allons quitter le domaine de vues de l’esprit, comme le consentement implicite ou explicite, la générosité, pour entrer dans du réel, bien réel cette fois. Je vous propose de visionner un film montrant le prélèvement du cœur sur un enfant d’une dizaine d’années, puis la greffe de ce petit cœur chez une enfant malade, Lorena. Ce film date de 2006. L’équipe de Temps Présent (Suisse) a suivi toutes les étapes de cette "affaire de cœur" qui commence en France, à l’Agence de biomédecine de Lyon. Véritable plaque tournante des greffes d’organes pour l’est de la France, elle met en place et coordonne 24h sur 24 le travail de toutes les équipes de professionnels concernés par cette transplantation.
==> Visionner le film (Emission : "Une affaire de cœur") : cliquer ici. (Durée du film : 42 mn 21 sec.)
Mohammad Younes, le chirurgien chargé de prélever le cœur du petit "défunt", est interviewé. Il confie ne jamais regarder le visage de l’enfant sur lequel il prélève un organe vital. "Ce serait trop dur", confie-t-il à Marcel Schüpbach. "Mon travail c’est de donner la vie à travers la mort". Egalement interrogé, le chirurgien qui a transplanté le greffon sur la petite Lorena ne cache pas la complexité de ce type d’opération. Il évoque aussi ses conséquences. "L’espérance de vie d’un enfant transplanté ne rejoint pas celle d’un enfant normal".
Nous sommes loin de la "simple formalité" dont parle le Professeur Christian Cabrol plus haut. La greffe, c’est un gain de vie, mais aussi un prolongement de la maladie, et non pas une guérison complète. La greffe, ce n’est jamais l’idéal. C’est la solution de dernier recours. La chimiothérapie immunosuppressive permet de lutter contre l’infection et le rejet du "greffon", deux facteurs de décès post-greffe. Mais ce traitement immunodépresseur a des effets secondaires lourds : cancer, diabète, insuffisance rénale, entraînant une dépendance "à vie" de l’institution médicale.
Ce film a le mérite de rappeler quelques vérités qui sont très peu connues du grand public – ne serait-ce que parce que le discours public sur le don d’organes ne s’affranchit jamais de la promotion du don.
Petit résumé de ces vérités, rappelées par les chirurgiens transplanteurs interviewés pour ce documentaire :
1. L’organe greffé a été donné. Le greffé doit se l’approprier, cet organe devient le sien. Les proches du donneur décédé (ici il s’agit d’un petit garçon) ne doivent pas s’imaginer que leur enfant mort (disparu) "revit" au moins un peu à travers d’autres personnes – en l’occurrence, à travers Lorena, qui a reçu le cœur de ce jeune garçon. Pour mettre toutes les chances de son côté, le greffé doit s’approprier le greffon. Cet aspect des transplantations, qui peut paraître "cannibale", correspond du moins à une réalité. Il est hypocrite de laisser croire les proches du donneur décédé à une sorte de "métempsychose habillée de modernité" (Docteur Marc Andronikof). Dans l’interview, le chirurgien qui greffe le nouveau cœur de Lorena souligne le côté malsain de cette croyance, et surtout, peu conforme à la réalité de l’affaire : il est souhaitable que le greffé s’approprie le greffon.
Ici, petit moment de gêne. Suis-je la seule à avoir entendu le témoignage de parents confrontés au don d’organes, qui affirment : "Au moins, le cœur de mon petit ange continue à battre dans la poitrine d’un autre" ? Le patient greffé ne vit pas pour le donneur. Il vit (survit) pour lui-même. Il n’existe pas de "contre-don", permettant de rendre la pareille, lorsqu’on reçoit un tel don : un organe vital.
En septembre 2009, Isabelle Dinoire, la première patiente "greffée du visage" en France (il s’agit en fait d’une greffe des "tissus composites de la face"), affirmait :
"Ce visage, c’est quelqu’un d’autre. Enfin : ce n’est pas elle [la donneuse], ce n’est pas moi, c’est une autre. Au début, vu qu’on m’avait expliqué que c’était comme si c’était un drap qu’on posait sur mon visage, je pensais que j’allais plus me ressembler, mais en réel, pour moi, il y a quand-même une partie à moi et une partie à elle." (Source).
On apprend donc de la bouche d’Isabelle Dinoire que, sans doute aucun, ce visage, c’est quelqu’un d’autre. Les frontières sont donc bien délimitées : il y a la partie du visage à soi, il y a celle qui appartient à l’Autre (la donneuse), et il y a cet ensemble, qui n’est ni tout à fait soi-même ni tout à fait l’Autre. Ce visage, dans sa globalité, est autre. Si on regarde dans le détail, on trouve dans cet "autre" visage des éléments à soi, et des éléments de l’Autre (la donneuse). Isabelle (que l’on me permettra ici d’appeler par son prénom) vit et sait tout cela, elle a ses repères et ses marques. Depuis fin 2005, elle travaille à transformer ce "drap sur son visage", tout théorique, en réel, intime et social. Ce n’est donc pas le visage de la donneuse qui "vit" ou "revit" à travers elle. Pourquoi en irait-il autrement pour une partie de visage que pour un cœur ? Dans les deux cas, gare à la malsaine "métempsychose habillée de modernité", qui, indéniablement, sévit dans le discours public sur le don d’organes.
2. La transplantation ne constitue pas l’idéal, car elle ne permet pas au patient de guérir. Elle ne constitue pas une solution parfaite, une panacée, mais une solution de dernier recours. Les échecs existent, ainsi que les redoutables épisodes de rejet et d’infection, qui peuvent entraîner l’un comme l’autre le décès du patient greffé.
3. Rappelons que tout patient greffé est soumis à une médicamentation lourde (une chimiothérapie immunosuppressive), qui a des effets secondaires tels que diabète, cancer (de la peau notamment)...
4. Les chirurgiens et médecins acteurs des transplantations subissent une énorme pression pour réaliser ces prélèvements et greffes d’organes. Eux-mêmes, en leur âme et conscience, ne pourraient néanmoins pas jurer que, si l’occasion se présentait, ils consentiraient, pour eux, leurs proches, et plus particulièrement leurs enfants, au don d’organes. "D’autant que nous connaissons les réalités de l’affaire", a souligné le chirurgien qui a remplacé (greffé) le cœur de Lorena.
5. Le don d’organes passe par la mort. Ce don modifie la toute fin de vie du donneur, puisqu’une anesthésiste, interviewée dans le reportage, prend en charge l’anesthésie du petit donneur, au préalable de l’opération visant à prélever ses organes vitaux. Ce donneur, avant le début de l’opération, est donc, sur le plan physiologique, un patient en toute fin de vie, alors que sur le plan légal, un constat de décès a déjà été effectué. Pourquoi cette anticipation de la mort légale par rapport à la mort physiologique ? C’est afin de respecter "la règle du donneur mort", qui a force de loi en France : tout prélèvement d’organes ne peut avoir lieu que sur une personne reconnue comme décédée. L’anesthésiste explique que son rôle s’arrête au moment où les différentes équipes chirurgicales sont sur le point de commencer le prélèvement des organes (le cœur en priorité), alors que l’aorte est "clampée", pour empêcher la circulation du sang. Le décès physiologique du donneur se produit à ce moment-là.
6. En France, le taux de refus des familles confrontées à la question du don des organes d’un enfant est de 50 pour cent en moyenne, tandis que le taux de refus, tous âges confondus, se situe autour de 35 pour cent (moyenne nationale).
7. L’"entretien avec la famille en vue d’une requête de non-opposition" (ce sont là les termes de la loi : le médecin doit rechercher si le "défunt" n’était pas opposé au don de ses organes) doit, dans les faits, tenir compte du refus de la famille. D’ailleurs, comme le rappelle le Professeur Bernard Debré dans l’émission citée plus haut, il serait hypocrite de dire que les termes de la loi sont respectés à la lettre. Si la famille a trop peur de cette intrusion dans le processus de décès à des fins de prélèvement d’organes, libre à elle d’affirmer : "Il/elle ne voulait pas qu’on prélève ses organes !". Le témoignage des proches sur la position du potentiel donneur d’organes (était-il pour ou contre le prélèvement de ses organes à sa mort ?) prend donc en compte la sensibilité des proches. Devinez pourquoi ? Bien entendu : toujours à cause de cette histoire de constat légal de décès anticipé, alors que la mort, sur le plan physiologique, n’est pas encore survenue. "Je croyais qu’on attendait la mort !", dit une mère confrontée à la question du don d’organes (citée par David Le Breton). Ce "on" se réfère aux équipes chirurgicales de prélèvement d’organes. Eh non, Madame, eh non, Professeur Cabrol. Les organes d’un cadavre refroidi ne soignent personne. Ce cadavre n’a plus d’organes vitaux propres à la transplantation.
8. Les prélèvements d’organes vitaux, une "glorification" du corps ? A condition que les proches confrontés à la question du don d’organes, s’ils ne s’opposent pas au prélèvement, n’aient pas, a posteriori, l’impression d’avoir donné quelque chose qui ne leur appartient pas. Car cela est arrivé, arrive et arrivera. Personnellement, ce terme de "glorification" me choque beaucoup. Les transplantations d’organes constitueraient une glorification de la mort ? La mort peut-elle être glorieuse ? Le Professeur Bernard Devauchelle parle des prélèvements d’organes comme d’une "cérémonie", durant laquelle il convient de respecter le corps de celui qui est à la fois mort et à la fois vivant : le donneur d’organes. Ce respect me semble s’attacher à la fin de vie du donneur d’organes. Comment concevoir, en effet, que le corps d’une personne sur laquelle tous les organes et tissus possibles auront été prélevés puisse être "restauré" ? Il s’agit de respecter la fin de vie du donneur d’organes avant tout, car le corps restauré après les prélèvements, est, malgré tous les artifices chirurgicaux, un corps ... vide. Une enveloppe vidée de son contenu. Peut-on concevoir de présenter un corps restauré "comme si de rien n’était" ?
Le prélèvement d’organes et la greffe, simple formalité ? Il semblerait que parfois, la culture médicale "banalise un événement qui bouleverse les consciences de ceux qui y sont étrangers." (David Le Breton). Plus d’une fois, j’ai entendu parler du "bloc des esclaves", pour désigner le bloc où s’effectuaient les prélèvements d’organes, par opposition au "bloc des maîtres", désignant le bloc où s’effectuent les greffes d’organes. "Tu viens ce soir ?", dit un chirurgien à une infirmière de bloc. "On a un petit cœur-poumons qui chauffe" - c’est-à-dire : "une transplantation du bloc coeur-poumons est prévue pour ce soir". Cynisme des acteurs des transplantations pour se protéger d’un monde impitoyable ? 14 000 patients en attente de greffe, plus de 300 patients décédés sans avoir pu être greffés, chiffres de 2009. Il faut savoir que la moitié des patients qui décèdent "faute de greffe" (faute - ce mot suggère que le don d'organes est une obligation) sont des patients atteints de mucoviscidose, qui nécessitent une greffe des poumons. En France, 6.000 personnes sont touchées par la maladie. La greffe des poumons a une durée de vie bonne à 5 ans (source : Agence de la biomédecine). On voit donc que la greffe n’efface pas la maladie, elle peut donner de la vie en plus.
Si les greffes, ce n’est pas automatique, alors : quelles sont les alternatives ?
Reprenons le cours de l’interview du Professeur Cabrol (interview cité plus haut) :
"Qu’en est-il des organes artificiels (coeur) ? En 1982, un gros appareil de remplacement a été mis au point. Le problème, c’est que ça ne marche pas plus d’un ou deux ans. Actuellement, on fait ce que l’on appelle des micro turbines que l’on implante dans les cœurs malades. Elles ne remplacent pas le cœur mais l’aident. J’y crois beaucoup. On pourra vivre 12-15 ans avec ces micro turbines. En Allemagne, des patients vivent depuis cinq ans avec ces appareils pas plus gros qu’un capuchon de stylo. Pour le foie et les poumons, c’est beaucoup plus compliqué. Dans les poumons, il y a des échanges gazeux. Pas simple. Mais je pense quand même que dans un avenir pas trop éloigné, il y aura des organes artificiels qui pourront les remplacer."
[Mon commentaire : à condition qu’il y ait une volonté politique de stimuler ces recherches. A force de répéter que la greffe est une "indication courante", une panacée, une formalité et que la pénurie de greffons n’est due qu’à l’égoïsme des gens, ce n’est pas gagné !]
"Et les cellules souches ? Ça, c’est fantastique. Au départ, on a pensé aux cellules souches d’embryons mais il y a un problème moral. Si on peut se passer d’embryons humains, c’est quand même mieux. On s’en tire autrement avec les cellules souches du cordon ombilical. Aujourd’hui, on arrive à faire des greffes de moelle osseuse avec les cellules souches du cordon. Tout le problème, c’est de faire des banques de cellules souches de cordon. Elles sont peu développées en France."
[Mon commentaire : le don de sang de cordon ombilical se fait à l’accouchement. Ce sang, riche de cellules souches, est comme une boîte à outils, qui peut guérir plus tard de certaines maladies, comme la leucémie. Mais pendant les deux dernières décennies, il n’y a pas eu de volonté politique de développer les banques de sang de cordon en France. Le cordon ombilical était jeté, comme un déchet opératoire. Seule la promotion du don de moelle osseuse a prévalu durant toutes ces années. Pourtant, le don de moelle osseuse nécessite une anesthésie générale, et présente des contraintes de compatibilité (dites typage HLA) entre donneur et receveur supérieures à celles liées à l’utilisation des cellules souches contenues dans le sang de cordon ombilical. Rappelons que le Professeur Eliane Gluckman, pionnière des greffes de sang de cordon ombilical, réalisait avec succès, en 1988, la première greffe au monde sur un patient américain atteint de l’anémie de Fanconi, une maladie génétique rare entraînant une défaillance importante de la moelle osseuse. Le patient a été complètement guéri.]
Pour conclure :
Sur le thème du sang de cordon ombilical, voici une petite histoire, qui se déroule dans un hôpital du futur.
L’hôpital qui guérit la leucémie d’Etienne
Noémie, sept ans, et sa maman arrivent devant le nouvel hôpital spécialisé en médecine régénératrice. Etienne, dix ans, y est hospitalisé depuis quatre jours. La mère et la fille traversent le hall, à l’accueil une hôtesse leur remet la nouvelle brochure de l’hôpital.
- Suivez le robot, il vous conduira à la chambre d’Etienne, dit l’hôtesse. La mère, tandis qu’elle chemine en tenant sa fille par la main, raconte un moment très fort : la naissance du grand frère de Noémie.
- Ton frère et toi êtes venus au monde dans la même maternité. Quand Etienne est né, les sages-femmes ont récupéré le placenta. Le placenta, c’est comme une bouillie. C’est ce qui nourrit le bébé tant qu’il est porté par sa mère.
- Pourquoi elles ont fait ça, les Sagefemme ?
- Pour conserver ce qu’il reste de bouillie. Elles ont aussi conservé le cordon ombilical d’Etienne. Une fois que le bébé est né, la sage-femme coupe le cordon.
- Et où elles l’ont rangé, la bouillie et le cordon, les Sagefemme ?
- Nulle part. Elles en ont simplement extrait un peu de sang. Et ce sang, elles l’ont mis dans un frigo spécial qui peut le conserver très longtemps.
- Et toi, tu étais où ?
- Pendant ce temps, j’étais allongée sur mon lit avec Bébé Etienne posé sur moi. Il avait replié les jambes comme une grenouille et je le serrais fort contre moi. J’étais folle de joie. Quand tu es née, j’ai connu la même joie intense. Et maintenant, pour soigner Etienne, on a besoin de ce qui a été conservé dans le frigo spécial pendant dix ans. Grâce à ce trésor, il va pouvoir guérir.
- Bonjour grand garçon ! Noémie imitait sa mère, tandis que toutes deux entraient dans la chambre d’Etienne quelques instants plus tard. Elle savait que son frère n’aimait pas quand maman l’appelait comme ça. Une infirmière ne tarda pas à venir saluer les nouveaux arrivants.
- Tout va bien, dit-elle à la mère, tandis que Noémie s’était lancée dans un récit peuplé de sages-femmes, de trésors et de mamans folles de joie. L’infirmière emmena Noémie boire un chocolat.
Restés seuls, Etienne et sa mère découvrent la nouvelle brochure de l’hôpital. Comment le sang de cordon permet-il de guérir de la leucémie ? Etienne veut tout savoir. Sa mère lui explique comment l’hôpital soigne sa leucémie.
- Tu es venu au monde dans une maternité pilote. A l’époque, cette maternité travaillait avec la première banque de sang de cordon. Cette banque stockait le sang récupéré à partir du cordon ombilical et du placenta, après chaque accouchement. Toutes les mamans qui accouchaient pouvaient donner leur placenta et le cordon ombilical qui est coupé à la naissance des bébés.
- Les mamans voulaient bien ?
- Oui, et ça ne faisait pas mal du tout.
- Et ensuite ?
- Ensuite, des scientifiques ont découvert que le sang récupéré à partir du cordon ombilical et du placenta pouvait guérir des maladies du sang, comme la leucémie. Et aussi aider des organes comme le foie à se régénérer. L’hôpital où tu es soigné est spécialisé dans ces recherches. C’est lui qui a récupéré le sang de cordon stocké à ta naissance.
- En contactant la banque de sang de cordon, celle qui est située dans l’hôpital. Les infirmières me l’ont montrée l’autre jour.
- C’est exact. Tu sais, la boîte à outils de papa...
Etienne interrompit sa mère :
- Je sais ! L’infirmière m’a déjà expliqué. Ce que conserve la banque de l’hôpital, ce sont nos boîtes à outils. Tout le monde en a une, puisque chaque bébé naît avec. Pour chaque maman qui fait don de son sang de cordon, c’est comme si elle ouvrait un compte en banque pour le bébé qui naît. Sauf qu’au lieu d’y mettre des sous, on y met la boîte à outils que la banque conserve pendant très-très-très longtemps. Pour que ça puisse servir un jour. Je viens de me servir de ma boîte à outils. Ou plutôt, le docteur s’en est servi pour moi. Il m’a expliqué que ces boîtes à outils, ce sont nos cellules souches. Celles du sang de cordon permettent de guérir de la leucémie.
- Et aussi de régénérer certains organes. La brochure t’explique que les transplantations d’organes, c’est ce qui existait avant la médecine régénératrice.
- Maintenant, on n’a presque plus besoin des transplantations d’organes ! Ce qui se passait avant, c’est que des gens mouraient sans pouvoir être greffés, car il y avait une pénurie de donneurs d’organes. Et il y avait aussi le problème du rejet du greffon : certains greffés faisaient un rejet du greffon qu’ils avaient reçu et ils pouvaient en mourir.
- Tous les greffés étaient obligés de prendre plein de médicaments qui, bien que pouvant leur apporter des maladies, étaient indispensables, car ils servaient à lutter contre le risque de rejet du greffon.
- Que c’était compliqué !
- Oui, mais maintenant, on peut régénérer des organes avec les cellules souches.
Avec cette méthode, tous ces problèmes sont résolus !
- Ouf !
La mère observait son fils. Heureusement, Etienne ne serait jamais un petit garçon au teint pâle, avec de grands yeux tristes lui dévorant le visage, ayant à peine la force de bouger, comme ces enfants leucémiques du passé.
- La brochure explique aussi que les cellules souches, ça ne permet pas de guérir du cancer, ni de cloner les gens ! Je ne savais pas. Mais l’histoire des transplantations, le docteur me l’avait déjà racontée.
- Je ne savais pas que les docteurs étaient si bavards ! En tout cas, cette boîte à outils est magique : mon fils est guéri ! La mère serra son fils dans ses bras. Etienne est songeur : que serait-il arrivé si maman avait accouché dans une autre maternité ?
- Dis maman, est-ce que Noémie aussi…
- Bien sûr ! Noémie aussi !
- Dis maman, tu crois qu’un jour on sera immortels, si on découvre comment guérir le cancer ? La mère d’Etienne répondit que l’immortalité n’était sans doute pas dans la nature humaine. Qu’il s’agissait plutôt de combattre chaque nouvelle maladie ou épidémie qui apparaissait, au fur et à mesure.
Quelque chose naissait, à l’hôpital, entre la mère et le fils : une nouvelle complicité.
Je dédie cette nouvelle écrite en décembre 2007 au Professeur Eliane Gluckman.
"Etes-vous pour ou contre le don d'organes" ?
La question "Etes-vous pour ou contre le don d'organes" n'est pas une question ouverte. Elle appelle une réponse sans nuance(s) : "oui/non", un peu comme l'interrupteur "On/Off" d'un appareil électrique ou électronique, ou une porte qui doit être ouverte ou fermée (afin d'éviter les courants d'air), ou encore ces films hollywoodiens où n'existent que des bons et des généreux ("the goodies") d'un côté et des méchants, égoïstes et repliés sur eux-mêmes ("the baddies") de l'autre. Je vous propose de sortir de cette fiction.
Réintroduire la mort dans la question du don d'organes ?
"Consentement présumé" (on est tous présumés consentir au don de nos organes en France, c'est la loi), ou "consentement explicite" (on doit demander sa carte de donneur, qui a valeur légale, pour exprimer son accord au prélèvement de nos organes vitaux à notre mort) : le débat fait rage, surtout que les lois bioéthiques actuelles sont en cours de révision. Faut-il changer le "consentement présumé" ? Faut-il instaurer le "consentement explicite" ? Attention faux débat ! Là n'est pas le problème ! Le problème, c'est la mort du donneur d'organes : ce mort semble simplement endormi. Les familles confrontées au don d'organes doivent accepter cette mort à l'aspect si peu conventionnel qu'est la "mort encéphalique" ... Et pour cause : pour un potentiel donneur d'organes, le constat légal de décès est anticipé. La mort légale du potentiel donneur d'organes précède sa mort physiologique. Ce constat légal de décès anticipé constitue le seul moyen de récupérer des organes vitaux à des fins de transplantation. Voilà la réalité à laquelle est confrontée toute famille de potentiel donneur d'organes. Voilà ce que ces proches confrontés au don d'organes doivent accepter - ou refuser : un constat légal de décès anticipé. A quelle mort est-ce que je crois ? Quelle va être la toute fin de vie du donneur d'organes ? Il est impossible de prélever des organes vitaux sur un cadavre. Le vrai problème, il est bien là. Le débat "consentement présumé (arraché ?) ou explicite" est un faux débat. L’affaire des transplantations pose une redoutable question à la société : "celle du statut anthropologique du cadavre et de son instrumentalisation" (David le Breton, "La Chair à vif", 2008).
"Un rein sinon rien" (Jean Vacant)
"Meutre à l'hôpital ... Les confessions post-opératoires d'un greffé impatient."
"Fils de résistant, Jean Vacant a hérité de ce gène familial qui s'active dès que l'inacceptable affleure. Même après être devenu un grand chirurgien respecté de tous, loin de ses Combrailles natales, il a su conserver une âme de rebelle. Ce second livre qu'il nous offre le confirme. Ecrit avec un scalpel en guise de plume, il a tout du polar se déroulant dans le monde médical. A commencer par le rythme et l'efficacité. Il est vrai qu'en tant que chirurgien, Jean Vacant n'ignore rien du monde dans lequel il nous plonge. sans compter qu'il est aussi entré dans un bloc opératoire comme patient. D'où un récit d'une authenticité rare, dont l'inspiration autobiographique glisse parfois jusqu'à la satire.
Car si l'intrigue est policière et le roman captivant, le livre nous interroge aussi. D'une grande acuité, il pose un problème d'éthique. La chirurgie, en matière de greffes, est-elle sur le point de se livrer corps et âme à la loi du marché ? Le trafic d'organes, en plein développement , est-il appelé à s'amplifier ? Verra-t-on bientôt des riches s'acheter des pauvres pour en faire leur doublures chirurgicales ?
Un questionnement d'une pertinence toute comtemporaine, qui ne doit pas faire oublier cependant que ce second livre de Jean Vacant est d'abord un roman... Et qui plus est, un roman palpitant du début jusqu'à la fin."
Editions la Galipote
Parution 3ème trimestre 2009
EAN : 9 782915 257243
Tarif : 16 Eur.
http://www.lagalipote.fr/un%20rein%20sinon%20rien.html
Aujourd'hui, j'ai reçu un exemplaire dédicacé de ce roman. Voici ce que m'écrit Jean Vacant :
"Pour Catherine Coste, un livre sur le corps en morceaux, bientôt en vente avec le sang, le sperme, les ovules et les organes puis le sang du cordon et les cellules souches. Une alarme, un cri pour rejoindre les condamnés à mort Chinois, les pauves Brésiliens ou Indiens. Amitiés."Merci ...
Suis déjà en train de lire ce roman. Commentaire et analyse seront postés ici sous peu ...
Greffe du coeur d'un enfant (donneur en état de mort encéphalique)
Une affaire de coeur :
"Même si des milliers de greffes du coeur sont aujourd'hui pratiquées à travers le monde, l'opération reste délicate particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants. Une équipe de Temps Présent a filmé en temps réel ce transfert d'une petite vie à une autre. Entre l'annonce du décès d'un enfant donneur, jusqu'au réveil de Lorena, une fillette frappée d'une grave déficience cardiaque, le voyage bouleversant d'un coeur, d'une poitrine à l'autre".
"Automne 2005, un enfant vient de décéder quelque part en France. Face à un tel drame, les parents répondent par la générosité en acceptant que ses organes soient prélevés. A quelques centaines de kilomètres de là, dans la région de Lyon, la petite Lorena est dans l'attente d'une greffe du cœur. Commence dès lors une véritable course contre la montre pour que le cœur de l'enfant décédé remplace celui, défectueux, de la fillette. L'équipe de Temps Présent a suivi toutes les étapes de cette 'affaire de cœur' qui commence à l'Agence de biomédecine de Lyon. Véritable plaque tournante des greffes d'organes pour l'est de la France, elle met en place et coordonne 24h sur 24 le travail de toutes les équipes de professionnels concernés par cette transplantation. Nous découvrons ainsi un extraordinaire réseau de compétences et une formidable chaîne de solidarité dont fait partie Mohammad Younes, le chirurgien chargé de prélever le cœur du petit défunt. La caméra donne à voir la précision et la rapidité de ses gestes, capte la concentration, la tension... 'Mon travail c'est de donner la vie à travers la mort' confie le chirurgien à Marcel Schüpbach. Egalement interrogé, le chirurgien qui a transplanté le greffon sur la petite Lorena ne cache pas la complexité de ce type d'opération. Il évoque aussi ses conséquences. 'L'espérance de vie d'un enfant transplanté ne rejoint pas celle d'un enfant normal'.
Avec beaucoup de délicatesse et d'empathie, Marcel Schüpbach a recueilli les témoignages des principaux protagonistes de cette histoire empreinte d'émotions. Car aux explications médicales et techniques font échos les sentiments : doutes, peur, compassion, espoir... Sans oublier la gratitude que les parents de Lorena éprouvent à l'égard des parents de l'enfant par qui leur fillette va pouvoir commencer une nouvelle vie. Une vie qui épouse les battements de son nouveau cœur..."
==> Visionner le film ("Emission": Une affaire de coeur): cliquer ici.
(Durée du film : 42 mn 21 sec.)
Le film montre le prélèvement du coeur sur l'enfant donneur en état de mort encéphalique, la transplantation du coeur prélevé chez l'enfant receveur, et le travail des équipes de coordination. Pour avoir une idée précise sur le déroulement dans les faits d'une transplantation cardiaque chez un enfant, il faut voir ce film !
En tant qu'usager de la santé, je souhaite vivement remercier les parents de l'enfant décédé d'avoir permis que soient filmées ces étapes cruciales du chemin si difficile du deuil au don. Grâce à leur permission, les usagers de la santé peuvent désormais appréhender de manière concrète les réalités et enjeux de la transplantation à travers ce film qui n'élude pas, à mon sens, les questions difficiles. Je tiens également à saluer la sincérité des chirurgiens dans leur réponse aux questions posées. Un grand merci aux parents de la fillette transplantée, le fait qu'ils aient été d'accord pour que ces épreuves soient filmées montre qu'ils font face aux réalités de la transplantation : pour que leur fillette ait une chance d'être sauvée, il a fallu prélever les organes d'un autre enfant, d'un enfant mort. Cela ne peut être oublié. Que les parents de la fillette transplantée soient ici remerciés pour leur courage : ils ont su reconnaître ces faits pourtant si difficiles à accepter.
Pour ou contre le don d'organes, comment prendre position ? Ce film courageux dépasse largement les raisonnements qui visent à se positionner par rapport à l'idée abstraite de générosité, sans cesse véhiculée par les médias français lors des campagnes pour les dons d'organes et qui semble s'épuiser dans le tournoiement des mots bien pensants. Or ces raisonnements dans l'abstrait sont loin d'être suffisants pour éclairer l'usager de la santé sur cette question si complexe du don d'organes. Il est à souhaiter qu'une bonne partie du grand public ait le courage de visionner ce film qui l'aidera certainement à prendre position sur la question du don d'organes, mieux que n'aurait pu le faire n'importe quel discours.
Source :
Temps Présent (Suisse)
Ajout du 13/04/2006 :
==> voir l'article des News : "girl's heart restarted after ten years "
Don d’organes : réintroduire la mort, ou la remplacer par des applications : l’iPhone d’Apple, Facebook, Twitter ?
==> Lire cet article sur AgoraVox, le journal citoyen en ligne (lien)
Le discours public présente la médecine de remplacement (prélèvement et greffe d’organes) comme la panacée. La greffe efface la maladie, le traitement immunosuppresseur c’est "peanuts". Bientôt la "greffe-peanuts" sur Twitter, la promotion du don d’organes sur Facebook. Mais ce plâtrage du discours public s’effrite. Quelques fissures sont visibles.
Voici un article du 2 octobre 2009 (Monde Actu) à l’occasion de la Cinquième Semaine nationale du Rein, qui se déroule du 3 au 11 octobre 2009. Cet article montre que la greffe n’est pas la panacée, et que la prévention de l’insuffisance rénale est un enjeu majeur de santé publique.
"Le patient, une fois transplanté, doit prendre des médicaments immunosuppresseurs pour éviter le rejet du greffon. Ces médicaments présentent certains effets indésirables et peuvent accroître le risque d’acquisition de certaines infections, virus et même certains types de cancer. Enfin, une greffe du rein n’est pas définitive : un grand nombre de patients, notamment les jeunes, subit plusieurs transplantations durant toute leur vie".
Rassurez-vous : la fissure est à peine visible : les gens ne sont toujours pas au fait des réalités peu anodines qui se cachent derrière l’anodine formule "prélèvement à cœur arrêté" ; dans une émission grand public de 2009, on continue à présenter la greffe comme un Miracle. Demain (aujourd’hui ?), la "greffe-peanuts" sera (est ?) sur Twitter, outil de réseau social et de "microblogging". Plus que jamais, on aurait besoin de spécialistes cherchant à "parler vrai", mais il faut bien avouer qu’on les entend rarement dans les émissions grand public. Est-ce "avoir du sang sur les mains" que de dire la vérité ?
Quelle éthique dans l’actu des transplantations ?
Ethique, vous avez dit éthique ? Qu’est-ce que ce mot fourre-tout, aussi politiquement correct qu’imprécis vient faire dans les transplantations ? D’où les organes prélevés proviennent-ils ? Comment sont-ils répartis ? Se poser la question de l’éthique dans le cadre des allogreffes (prélèvements et greffes d’organes vitaux), c’est "chercher à déterminer si l’éthique est un enjeu du débat sur les allogreffes. Quelles formes du débat éthique le discours de presse véhicule-t-il et/ou construit-il ? Un débat public ? Un débat entre experts ? Quels en sont les modalités, les acteurs, les lieux, la temporalité ? Dans ce débat, l’éthique peut-elle apparaître comme une simple figure de rhétorique, au service d’une argumentation permettant à des acteurs et/ou à des institutions de défendre des positions de légitimité ? Comment le journal contribue-t-il au débat ?" (Source : "Figures et enjeux de l’éthique dans l’actualité scientifique de la presse quotidienne", par Christiane KAPITZ, Laboratoire C2So, ENS LSH, Lyon. (Mots-clés : éthique, greffes d’organes, don, débat, presse - http://sciences-medias.ens-lsh.fr/IMG/pdf/Kapitz.pdf).
Le discours public est-il biaisé, piégé, et si oui, par qui et à quelles fins ? Ces fins ont-elles été atteintes ? La fin doit-elle justifier les moyens ?
Richard H. Thaler est professeur en économie comportementale à l’université de Chicago (Illinois) ("Booth School of Business"). Le 26 septembre 2009, il publiait un article dans le New York Times : "Opting in versus Opting Out" : "Avantages comparés des régimes du don d’organes (loi) : le consentement explicite et le consentement implicite" (source). En France, le consentement implicite prévaut ("opt out system") : tout le monde est présumé consentir au don de ses organes à sa mort. Il faut effectuer une démarche administrative ("opt out") si on veut s’opposer au don de ses organes à sa mort. Aux USA, le régime du consentement explicite prévaut : ladite démarche administrative permet de s’inscrire comme donneur d’organes potentiel, car le consentement présumé n’existe pas. L’Etat de l’Illinois présente une particularité : le don d’organes n’y relève ni du consentement explicite, ni du consentement implicite, mais du "choix mandaté", qui prévaut sur le plan légal depuis 2006, et qui est présenté par l’auteur de cet article comme une "combinaison gagnante". De quoi s’agit-il ? Tout d’abord, l’auteur indique que, contrairement aux systèmes de consentement présumé et explicite, le "choix mandaté" n’a pas soulevé beaucoup de controverses. Le principe est le suivant : les gens doivent indiquer leur "préférence" (choix, position). Dans quel contexte ? Sur le permis de conduire. Aux USA, ne pas avoir son permis, et/ou de voiture, serait pire que l’illettrisme, rien à voir avec une quelconque "écolo-citoyenne attitude". Tout citoyen, à chaque renouvellement du permis ou de mise à jour de pièces administratives (comme la photo sur le permis), doit répondre à la question : "Souhaitez-vous être donneur d’organes ?". C’est ainsi qu’en Illinois, selon l’organisme central de promotion du don d’organes ("Donate Life Illinois"), 60 pour cent des signataires ont répondu à cette question par l’affirmative. A l’échelle nationale, ce même organisme central de promotion, ("Donate Life America"), dit avoir 38 pour cent de signataires consentant au don de leurs organes à leur mort. Y aurait-il de la promotion du "choix mandaté" dans l’air ? Précision d’importance : le "choix mandaté" a valeur légale. De ce fait, le signataire ayant consenti au don de ses organes vitaux à sa mort délivre le corps médical, et en particulier les acteurs des transplantations, de l’obligation légale de requérir le témoignage de ses proches. En France, où, rappelons-le, le consentement présumé prévaut, la non-opposition des proches au prélèvement doit être recueillie par le corps médical : tels sont les termes de la loi.
"(…) [S]i le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il s’efforce de recueillir, auprès des proches, le consentement ou non de celui-ci, au prélèvement d’organe, éventuellement exprimé de son vivant." Si la famille affirme ne pas connaître la réponse, et décide de s’opposer au prélèvement pour cette raison, les équipes de coordination des transplantations sont dans l’obligation légale de respecter ce choix. (…) Le taux de refus spontané des familles, face aux demandes de prélèvement sur un proche décédé, stagne autour des 30 pour cent." (Source : archives de l’Assemblée Nationale, 2006). Notons qu’en France, en mars 2006, a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée Nationale "une proposition de loi tendant à ce que le consentement des personnes au prélèvement d’organes ou, le cas échéant, leur refus soit inscrit sur la carte Vitale". (Source). Tentative de promouvoir le "choix mandaté" en France ? Certains acteurs des transplantations d’organes, comme le Professeur Jean-Michel Boles, qui dirige le service de réanimation et des urgences médicales du CHU de Brest, se sont positionnés contre l’inscription de ce "choix mandaté" dans la loi : permettre aux usagers de la santé de se positionner en faveur du prélèvement d’organes sur leur carte Vitale, pourquoi pas. Mais pas d’obligation en la matière, et surtout, pas de formulation négative sur la carte Vitale ("Je m’oppose au prélèvement de mes organes"), pouvant induire la crainte que ce positionnement se fera au détriment d’une prise en charge médicale optimale (source). Le don d’organes étant un don, et non un droit ou un devoir, nul ne saurait forcer les citoyens à se positionner sur la question, encore moins à rendre ce choix public. On voit donc que le "choix mandaté", pour autant qu’il évite la mise en place du controversé "consentement présumé" sur le plan légal, tend à présenter la greffe comme un droit opposable. Cette "combinaison gagnante" (pour qui ?) pousserait à l’utilitarisme de la mort et à l’industrialisation du don d’organes.
Je cite ici un extrait de l’analyse du "consentement présumé" par le Professeur Boles lors de son audition du 30/06/09 à l’Assemblée Nationale, dans le cadre de la mission d’information sur la révision des lois bioéthiques (les lois en cours datent de 2004, elles doivent être révisées à horizon 2010).
"'Est-ce qu’il y a un droit à la greffe ?' L’expression n’est pas de moi, elle date du séminaire Européen du mois de mai 2009, où un professeur de sociologie qui avait été lui-même donneur vivant, avait évoqué l’hypothèse de générer un droit à la greffe. Est-ce qu’il y a un droit à la greffe ? Ca me paraît une question de fond, c’est-à-dire : est-ce que finalement, la greffe est un traitement comme un autre ? Et de la réponse à cette question qui à moi me paraît fondamentale découle cette question lourde sur le plan politique. L’autre question, c’est : comment on informe les citoyens, c’est-à-dire finalement, comment est-ce qu’on traite les gens ? La question centrale et le nœud gordien, me semble-t-il, de toute cette histoire, c’est, finalement, le consentement. Alors, est-ce que la greffe est finalement un traitement ou un soin comme un autre ? Il n’y a que deux réponses possibles, puisqu’on n’a pas le droit de botter en touche. C’est oui, c’est un soin ou un traitement comme un autre, ou non, ce n’est pas un soin ou un traitement comme un autre. La première alternative : si on dit oui, alors il faut aller jusqu’au bout du raisonnement. Si c’est un soin ou un traitement comme un autre, alors effectivement, il y a un droit à la greffe, puisque j’ai de plein droit le droit à être traité par une greffe, de recevoir une greffe. On a créé un nouveau ‘droit-créance’. [Droit-créance : rapport entre la créance et le droit qu’elle crée du créancier sur le débiteur. Source.] Si en tant que patient j’ai le droit d’avoir une greffe, ça veut dire (…) qu’en tant que médecin, j’ai le devoir de procurer un greffon à ce malade. Parce que si je ne le faisais pas, je lui ferais perdre des chances, ce qui est totalement inacceptable sur le plan éthique. Et à partir de ce moment-là, puisque je suis un greffé potentiel, je dois être un donneur de certitude. Je ne peux pas demander dans ce système-là. Je ne peux pas demander de recevoir si je ne suis pas d’accord pour donner puisque la seule façon d’être traité, c’est par le don. D’ailleurs ce système perd son caractère de don, je n’ai plus le libre-arbitre sur ce que devient mon cadavre et la société a le droit d’utiliser mon cadavre, en clair, nous sommes devenus des réservoirs de pièces détachées. Mais si on va jusqu’au bout, la fin, ici, justifie les moyens, et puisqu’il s’agit de santé publique, et c’est bien sur ce plan-là que la question se pose ou qu’on veut nous la poser, sur ce seul plan-là, il n’y a plus besoin de consentement. Alors sortons de l’hypocrisie, il n’y a plus besoin du consentement présumé, (…) il faut revenir à ce que disaient des députés lors de l’examen des lois de bioéthique de 2004 [et donc au préalable de l’entrée en vigueur de ces lois, Ndlr.], et il ne s’agissait pas des moindres, puisqu’il s’agissait de Jean-Michel Dubernard, qui était le président de la commission des affaires sociales, culturelles et familiales de l’Assemblée à l’époque (…) [et du Professeur Henri Kreis, défenseur du système de l’appropriation conditionnelle du corps humain par la société, Ndlr.(source)], ainsi que du rapporteur de la loi à l’époque (…), qui disaient que ‘le but du gouvernement est de transformer l’autorisation de prélèvement en obligation de service publique’, alors, tout ça, bien entendu, c’est dans le Journal Officiel, compte-rendu des débats de l’Assemblée Nationale de 2003 ou de 2004, et le Professeur Jean-Michel Dubernard disait que ‘ce sont les ambiguïtés de notre législation qu’il convient d’incriminer’, et ‘il faut proposer de nouvelles orientations’. On peut en effet s’interroger et se poser la question de savoir si ‘l’erreur des médecins n’a pas été d’établir les fondements de la transplantation sur l’altruisme’, ainsi que : ‘un système de santé ne peut pas être établi s’il doit reposer sur la bonne volonté du public dont on sait qu’elle peut changer d’un jour à l’autre’. Une autre phrase que je cite : ‘Se dessine alors un système basé sur l’appropriation par la société, mais, pour respecter l’autonomie de la personne, ce serait une appropriation conditionnelle. Elle pourrait représenter une véritable solution à la question du prélèvement d’organes. La société pourrait s’approprier, après la mort de la personne, les parties de son corps utiles pour en sauver une ou plusieurs autres, mais pas le corps dans sa totalité pour respecter le rite des funérailles’ (là, on le remercie quand-même). ’Les parties de son corps appartiendraient à la société, sans qu’elle ait à demander l’autorisation à qui que ce soit et sans qu’elle ait à présumer de la volonté du défunt’. Donc là on voit bien qu’on est dans un système qui est parfaitement cohérent, la greffe est un soin ou un traitement comme un autre, et de ce fait là elle doit être accessible à tous, de ce fait-là les médecins ont le devoir de la donner à tous, et l’organisation de la santé publique a le devoir, en effet, de faire en sorte que ce traitement soit disponible pour tous. Dans ce système, on est clairement dans une logique du don en réponse à un contre-don potentiel. Puisque je suis bénéficiaire potentiel je dois être donneur obligatoire. On est très clairement dans une logique qui est strictement utilitariste, on peut la choisir, mais à ce moment-là, il faut avoir le courage ou l’honnêteté intellectuelle de l’annoncer en tant que telle, et on décidera de rester habitant de ce pays ou non, ça c’est autre chose. La deuxième alternative, c’est : non. Ce n’est pas un soin ou un traitement comme un autre et donc il n’y a pas de droit à la greffe. Il n’y a pas de droit-créance. La greffe doit pouvoir se faire quand elle est possible, ce qui veut dire qu’elle reste un traitement d’exception, alors pas au sens d’exceptionnel en termes de fréquence numérique, mais en termes de ce que veut dire l’exception. Exceptionnel, c’est quelque chose qui est hors du commun, ce quelque chose étant basé sur un don volontaire de ses organes. On est à la fois dans une démarche altruiste, et on est en même temps dans le souci de solidarité avec son prochain qui souffre, cela relève donc de la responsabilité individuelle, personnelle, de notre responsabilité d’homme. Et ça veut dire, me semble-t-il, que le consentement ne peut être que positif [il ne peut pas être présumé. Or ce qui est inscrit dans la loi actuellement en vigueur, et ce depuis le début des transplantations d’organes en France, principalement à partir de la fin des années 60, c’est le "consentement présumé", Ndlr.]. Si je décide de donner, je dois le faire. Et ce n’est pas à quelqu’un d’autre de se demander si, éventuellement, je déciderais de … ‘bah, oui !’ [– ou avais décidé – de donner]. Cela veut dire que dans ce système-là, la fin ne justifie pas les moyens, qu’il faut respecter le libre-arbitre de chacun, en cherchant à le convaincre. C’est-à-dire que bien sûr il faut poursuivre des efforts, et les efforts entrepris pour la prise de position consciente des gens, et faciliter les modalités du consentement positif [ou "consentement exprès", ou "opt-in system", comme disent les Anglo-Saxons, c’est-à-dire : le contraire du "consentement présumé", ou "opt-out system", Ndlr.]. Sur le plan juridique, le consentement présumé au don de ses organes à sa mort constituerait une exception (…). On serait dans le seul cas où le droit français utiliserait le consentement présumé, pour quelque chose qui n’est tout de même pas anodin et qui s’appelle le don d’organes. On peut souligner au passage qu’on parle de don d’organes et pas de donation. On n’est pas dans le registre du droit classique. La question du consentement et de ses modalités est finalement centrale. Alors là, il faut faire attention aux choses, afin de ne pas fausser la compréhension du problème. Cela a été utilisé comme argument et je dois dire que j’ai été profondément choqué. On ne peut pas mettre sur un même plan le devoir civique et l’esprit de solidarité. Parce que le devoir civique, cela relève du respect d’une règle commune (…), qui est opposable à tous, et qui de ce fait devient une norme. Peut-on comparer, comme il a été fait, le fait de donner ses organes à celui de défendre son pays en faisant la guerre ? Alors que l’esprit de solidarité, c’est autre chose. Cela relève d’une attitude altruiste personnelle. On ne peut pas taxer la non-acceptation pour soi de donner ses organes d’un rejet de la solidarité. Comment peut-on dire, comme l’a fait Bernard Kouchner tout récemment, que ‘le fait de ne pas donner ses organes relève du rejet de la solidarité’ ? Non, je ne suis absolument pas d’accord ! Le fait d’accepter ou non de donner ses organes regarde chacun au plus profond de soi-même. Il ne peut pas y avoir de jugement de valeur négatif prononcé à l’égard de telle ou telle personne !" (Source).
"Donner ses organe à sa mort". Voilà qui pose deux questions : le don, mais aussi … la mort.
Poursuivons les propos de notre spécialiste en économie comportementale de l’Illinois, Richard H. Thaler. Voici que notre champion du "choix mandaté" propose de "zapper" la mort. Il donne pour cela les meilleures raisons du monde : Steve Jobs, le patron d’Apple, a bénéficié récemment d’une greffe du foie. Il a fait un retour très attendu aux commandes d’Apple le 9 septembre 2009, lors de la traditionnelle conférence de rentrée, pour le lancement de nouveaux produits. Son arrivée sur la scène lors du symposium réunissant les cadres dirigeants d’Apple a été saluée par un tonnerre d’applaudissements. D’emblée, il a précisé que, sans la générosité de la victime d’un accident de voiture, il ne serait pas là. Il a ajouté qu’il espérait que beaucoup, s’ils devaient y être confrontés, feraient (ou leurs proches) le même choix. (Source). Et voici que M. Thaler lance un défi, ou challenge, à M. Jobs :
"Pourquoi ne pas créer un site internet – et une application gratuite pour iPhone – qui soit une pétition pour le don d’organes : les gens donneraient leur signature pour signifier leur accord sur le don de leurs organes à leur mort, chaque Etat d’Amérique figurant sur cette pétition. Il faudrait que M. Jobs travaille avec les Etats d’Amérique afin de mettre en place un niveau de sécurité suffisant et une procédure d’utilisation qui soit ‘user friendly’ (facile à utiliser) pour cette nouvelle technologie permettant le recrutement de donneurs d’organes. Les réseaux sociaux (dits "2.0") style Facebook pourraient aussi faire la promotion du don d’organes, en contribuant à recruter des signataires. Beaucoup d’Américains se prononcent en faveur du don d’organes, mais ils ne vont pas jusqu’à mettre leurs bonnes intentions en pratique. A M. Jobs de donner à ces potentiels bons Samaritains le coup de pouce qui leur permettra de surmonter leur inertie, voilà qui pourrait prolonger des milliers de vies chaque année. S’inscrire sur le registre national des donneurs d’organes devrait être un jeu d’enfant, comme quand on télécharge de la musique sur son iPhone."
Précisons qu’en France, il faut effectuer la démarche inverse : si on s’inscrit sur une liste nationale, c’est forcément sur le Registre National de Refus, pour signifier son refus de faire don de ses organes à son décès, puisque nous sommes tous, de par la loi, présumés consentir au don de nos organes à notre mort. C’est le régime du consentement implicite : qui ne dit mot consent. Mais comme tout est relatif, aux USA, c’est tout le contraire : qui ne dit mot ne consent pas : le consentement au don de ses organes à sa mort doit être explicite.
Exit la mort. Exit le questionnement sur le mourir. A la place, on créé une application pour iPod, on va sur Facebook. Moins humaniste, mais plus cool (glamour). "Le don d’organes est une glorification de la mort", disait le pionnier de la greffe cardiaque en Europe. Le Professeur Christian Cabrol semble avoir fait école avec sa formule : une application pour iPod, un petit tour sur Facebook pour nier, pardon, pour glorifier la mort.
Vous avez certainement remarqué un aspect incontournable dans la question du don d’organes : on ne parle pas plus de la mort que de la corde du pendu. Le donneur d’organes est mort. Il s’agit de s’interroger sur le don : "Accepterai-je de donner mes organes après ma mort ? Pour ou contre, je le dis à mes proches". Le discours public pose l’enjeu du débat sur le don d’organes en ces termes. Ne parlons que du don, oublions qu’il s’agit de prélever les organes vitaux d’un mort. De là à dire qu’on va aller parler du don sur Facebook ou via une nouvelle application pour iPhone, il n’y a qu’un pas, que certains franchissent allégrement. Ensuite, pourquoi pas la légalisation du système de "l’appropriation conditionnelle du corps par la société", dont parlait le Professeur Boles, cité plus haut ? La société serait reconnue propriétaire du corps humain, qui pour le moment n’appartient à personne afin d’éviter toute marchandisation du corps humain (une vente aux enchères au chevet d’un potentiel donneur d’organes ?). Chacun prendrait sa décision, toute signature ayant, comme pour le "choix mandaté", valeur légale. Dans un tel système, on peut penser que la société l’emporterait largement sur l’individu. Il conviendrait alors de parler de "l’appropriation du corps par la société", car la condition, qui est le non-refus ou l’acceptation de chaque individu, risquerait bien de peser aussi lourd dans la balance que les droits de l’homme en Chine, pour utiliser un raccourci qui, pour être expéditif, n’en permet pas moins de se faire comprendre. Et si le "choix mandaté" était ni plus ni moins un système d’appropriation (conditionnelle) du corps par la société ?
Comment ça, la mort du donneur d’organes ?! Puisqu’il est mort ! Oui, mais il s’agit soit d’un mort à cœur battant, pour lequel le constat de décès prévaut sur le plan légal car il se trouve dans un état irréversible (la "mort encéphalique" correspond donc à un état irréversible), soit d’un mort pour lequel le constat légal de décès prévaut en se fondant sur une décision d’arrêt de la réanimation sur un patient ayant fait un arrêt cardiaque qui n’a pas pu être récupéré. Dans cette dernière situation, au bout d’environ 30 mn de tentatives de réanimation, le décès légal dudit patient va être prononcé ("décès suite à arrêt cardiaque non récupéré", ou encore : arrêt cardiaque "réfractaire" à la réanimation). Toujours dans cette dernière situation : on constate que là aussi il s’agit d’un constat de décès fondé sur l’irréversibilité d’un état. On juge qu’il n’est pas dans l’intérêt de ce patient de prolonger les tentatives de réanimation, car le pronostic vital est trop mauvais. On parle alors de prélèvement d’organes sur patient "à cœur arrêté", en disant que les organes (les reins essentiellement) ont été prélevés sur un patient "mort suite à arrêt cardiaque". Mais l’expression "à cœur arrêté" signifie en fait que ledit patient se trouve en "arrêt cardio-respiratoire persistant". Les deux expressions ne sont pas tout à fait équivalentes : la première ("à cœur arrêté") suggère qu’il s’agit de la mort physiologique du patient, et c’est ce que comprend la population. La seconde, plus scientifique ("arrêt cardio-respiratoire persistant") montre la réalité des faits : il s’agit d’un constat de décès anticipé sur le plan légal : il a été décidé de mettre fin aux tentatives de réanimation cardio-respiratoires, afin de ne pas prolonger indéfiniment un état jugé irréversible.
Je souhaite vivement me faire comprendre : la mort légale du donneur d’organes précède sa mort physiologique. C’est ce décalage dans le temps qui permet le prélèvement d’organes vitaux sur un mort. Le prélèvement des organes vitaux intervient après la mort légale, mais avant la mort physiologique du donneur en état de mort encéphalique ou en "arrêt cardio-respiratoire persistant". Ce mort doit être aussi mort que possible sur le plan légal, tout en étant aussi vivant que possible sur le plan physiologique. Ce difficile équilibre – qui, vous vous en doutez, n’est pas sans poser des questions de déontologie médicale, de morale, d’éthique – constitue le principe, aussi fondamental qu’ignoré du public, du don d’organes. Quand on vous dit que le donneur d’organes est mort, il s’agit d’un constat de décès légal qui se fonde sur l’irréversibilité d’un état. Voilà qui mériterait qu’on en parle au moins autant que le don. La médecine de remplacement (les transplantations d’organes), au lieu d’être présentée comme une "indication courante" dans les médias, devrait être présentée comme "un traitement d’exception, (…) pas au sens d’exceptionnel en termes de fréquence numérique, mais en termes de ce que veut dire l’exception. Exceptionnel, c’est quelque chose qui est hors du commun, ce quelque chose étant basé sur un don volontaire de ses organes." (Professeur Boles, cité plus haut).
Le "mort" à partir duquel des organes vitaux vont être prélevés est un mort sur le plan légal, et un mourant sur le plan physiologique. Ce mourant est mort sur le plan légal, mais sur le plan physiologique, on a affaire à un patient, qui fait encore l’objet de traitements dans le but de conserver des organes vitaux à des fins de transplantations. Autrement dit, la justification éthique des transplantations ne peut être la mort (sur le plan physiologique) du donneur d’organes. La "mort encéphalique" et l’"arrêt cardio-respiratoire persistant" sont deux états distincts, qui ne recouvrent pas les mêmes réalités de fin de vie, si on se place dans la perspective du (potentiel) donneur d’organes. Petit rappel : la mort encéphalique, cela concerne un pour cent des décès. L’arrêt cardiaque – la situation initiale qui va permettre le prélèvement de reins sur donneur "à cœur arrêté" ou en "arrêt cardio-respiratoire persistant" – concerne, potentiellement, cent pour cent de la population, d’autant que sur le plan légal, nous sommes tous de potentiels donneurs d’organes (régime du "consentement présumé"). Voilà qui est tout sauf anodin.
Les prélèvements "à cœur arrêté", c’est quoi ? Quelle mort pour le donneur d’organes ?
Permettez-moi d’avoir une fois de plus recours à un spécialiste (le Professeur Jean-Michel Boles) pour expliquer la situation. (source). Pour rappel, la loi du 6 août 2004 fait de la greffe d’organes une "Grande priorité nationale", et le décret d’application du 2 août 2005 autorise les prélèvements "à cœur arrêté" en France. Concrètement : depuis 2007 (le temps de la mise en place du protocole de prélèvement "à cœur arrêté"), une situation d’arrêt cardiaque peut faire de tout un chacun (vous, moi) un donneur d’organes potentiel.
Je cite ici les propos du Professeur Boles :
"(…) [Q]u’est ce qui pose problème, d’abord dans les modalités de réalisation de ces procédures [de prélèvements ’à cœur arrêté’, Ndlr.] ? Alors, qu’est ce qu’il se passe ? D’abord, quelqu’un fait un arrêt cardiaque, par définition inopiné, on le programme rarement, ça peut être dans la rue, ça peut être à l’hôpital. Les secours sont appelés, arrivent, au bout d’un temps X et engagent les manœuvres recommandées par les sociétés savantes, qu’elles soient françaises, américaines, européennes, enfin bref, on fait ce qu’il y a à faire. Et, hormis certains cas particuliers (hypothermie, intoxication médicamenteuse), au bout de 30 mn, on s’aperçoit que les manœuvres ne sont suivies d’aucune efficacité clinique et que cette personne n’a donc pas repris une activité cardiaque spontanée. Si on se trouve dans un cas de figure parfaitement clair (on exclue l’hypothermie, les intoxications médicamenteuses et puis quelques bizarreries), on s’arrête. On s’arrête pendant 5 mn. Cet arrêt a deux objectifs. Le premier, c’est de valider que cette personne est morte d’un arrêt du fonctionnement du cœur, sans doute possible, puisque si le cœur n’est pas reparti au bout de 5 mn, c’est qu’à-priori, il ne devrait pas repartir, et le deuxième, c’est que 5 mn est le temps nécessaire à la destruction finale, irréversible, définitive et complète du cerveau. De l’encéphale, plus exactement. Ces constats étant contre-validés – premier constat, il n’y a pas de reprise d’activité, deuxième constat, il y a effectivement pérennisation de cette absence d’activité – eh bien on va reprendre les manœuvres de réanimation cardio-pulmonaires, c’est-à-dire un massage cardiaque externe, qui peut être manuel ou automatisé, avec une ventilation mécanique au travers d’une intubation trachéale, et on va emmener ce malade [Il n’est donc pas encore mort ? Ndlr.] dans l’endroit de l’hôpital où il aura été décidé qu’on pourrait faire un certain nombre de choses [‘soins’ au préalable du prélèvement des reins de la personne, Ndlr.] … enfin ce cadavre, pardon, puisqu’il est devenu cadavre, il est officiellement mort, [CQFD : ce donneur d’organes meurt donc deux fois : d’abord la mort légale, ensuite la mort physiologique, au moment du prélèvement de ses organes, Ndlr.], ce cadavre, donc, est transporté de là où il a fait son arrêt cardiaque jusqu’à l’hôpital, et s’il était à l’hôpital au moment où il a fait son arrêt cardiaque, (...) il sera amené dans ce lieu. Et là qu’est ce qu’il se passe ? On va mettre en œuvre un système de refroidissement des organes avec des sondes artérielles et veineuses pour injecter un liquide glacé qui sera récupéré ensuite, avec un ballonnet qui sera gonflé au niveau de l’aorte sous-diaphragmatique, pour éviter toute irrigation au-dessus du diaphragme [il ne faut plus ’risquer’ d’irriguer le cœur, ni le cerveau, puisqu’il a été décidé que l’arrêt cardiaque de ce malade était irréversible, Ndlr.], on va pouvoir refroidir les organes, l’objectif, là, étant extrêmement simple : c’est d’éviter ce qu’on appelle les lésions d’ischémie chaude, c’est-à-dire les lésions que les organes vont subir pendant la période où l’organisme va passer de sa température standard, à partir de 37 degrés C (…), jusqu’à ce qu’il arrive à la température de la pièce. C’est ce qu’on appelle l’ischémie chaude. Ensuite, on convoque la famille. Alors, je vais être provocateur, mais c’est un peu volontaire, et vous me le pardonnerez, et là, on va lui annoncer deux nouvelles, une pas bonne, et une peut-être bonne. La première, pas bonne, c’est que malheureusement, son proche est décédé, et la deuxième, peut-être bonne, c’est : ’S’est-il de son vivant opposé à des prélèvements d’organes et de tissus ?’, puisque je vous rappelle que les prélèvements possibles sont reins et foie en ce qui concerne les organes, mais aussi tout un tas de tissus, comme déterminé dans le deuxième arrêté du 2 août 2005. Et la famille, là, a un temps extrêmement bref pour dire oui ou non, puisqu’il y a un compte à rebours qui a été lancé depuis le moment où l’arrêt cardiaque s’est produit, la totalité de la chaîne des prélèvements devant être bouclée dans un temps qui est extrêmement contraint, qui est de quelques heures. Et là, la famille a très peu de temps, puisque cette période de refroidissement des organes [ou ischémie chaude] ne peut pas durer longtemps (…). Et là, il y a deux situations : ou bien la famille rapporte que le patient s’était opposé de son vivant à des prélèvements d’organes, et les médecins avaient bien entendu vérifié de leur côté que le patient ne s’était pas inscrit sur le registre national informatisé des refus, et si c’est le cas, puisqu’il est légalement mort, eh bien, on va tout enlever, bien entendu, ou bien il n’y a pas d’opposition constatée, à la fois dans le refus national informatisé et par l’avis de la famille, et on va pouvoir lancer la procédure de prélèvement, ce qui veut dire que la famille aura un temps extrêmement restreint pour rester avec son proche. Alors, ça c’est une procédure qui, décrite comme ça, mon Dieu, n’est pas nécessairement extrêmement choquante, encore que, si on voulait être parfaitement honnête, il faudrait montrer ce que c’est. Puisqu’on joue sur l’émotion des 222 personnes malheureusement décédées en 2008 par défaut de greffon, j’aimerais qu’on joue aussi sur l’émotion de montrer comment on traite, avec bien sûr tout le respect qui lui est du, ce cadavre, et qu’on voie cette instrumentalisation du cadavre. Et je vous rappelle que pendant qu’on fait cette instrumentalisation, on n’a aucune idée de savoir si cette personne, alors qu’elle était vivante, était d’accord, ou non, pour qu’on lui prélève ses organes et donc qu’on fasse ceci ’après sa mort’ » (…) « L’Agence de la biomédecine, dans son protocole a, pour l’instant, limité ces prélèvements chez des gens qui ont entre 18 et 55 ans, mais il est bien évident que du jour où on aura des résultats extrêmement positifs on élargira la tranche d’âge, il n’y a d’ailleurs pas de raison de ne pas le faire, puisque nous faisons des prélèvements sur des personnes en état de mort encéphalique qui ont jusqu’à (et au-delà de) 65 ans, à l’heure actuelle. Il y en a eu quelques centaines faits l’année dernière, soit trois fois plus qu’il y a 7 ou 8 ans. Et donc là [dans le cas des prélèvements "à cœur arrêté", Ndlr.], c’est chaque personne qui peut se dire : ‘Ca pourrait être moi’. Quand les Français auront pris conscience que ça pourrait être une possibilité réglementaire et technique qui est tout à fait ouverte – Dieu merci, ils ne le savent pas – mais enfin quand ils vont en prendre conscience, toute personne va pouvoir se dire : ‘Oui, avant, moi je n’étais pas contre le don d’organes parce que moi, je serai jamais en mort encéphalique, mais là, maintenant, il faudrait que je me mobilise et que je dise [que je suis contre le don d’organes, Ndlr.] parce que là, un arrêt cardiaque, ça je peux en faire un’. Alors c’est vrai qu’on n’y pense pas beaucoup à 18 ans, Dieu merci il n’y a pas beaucoup de footballeurs qui font un arrêt cardiaque sur les stades de football, mais les gens de 50 ans qui meurent d’arrêt cardiaque dans la rue, il y en a quand-même un paquet. On a changé de registre. Et ça, ce n’est quand-même pas qu’un changement quantitatif, c’est aussi un changement qualitatif induit par la quantité. Et la généralisation de cette instrumentalisation veut dire, et je sais que je vais choquer certaines personnes, alors ce n’est pas pour le plaisir de les choquer, mais c’est ce que je ressens profondément au fond de moi : nous sommes rentrés, ou plutôt, sommes-nous rentrés, ce sera moins choquant, dans une logique de nationalisation des corps, sommes-nous tous devenus des réservoirs de pièces détachées au service de la société dans une logique utilitariste ?"
Et si, sous la pression de la liste des patients en attente de greffe, qui a littéralement explosé, à défaut de marchandiser le corps humain, on l’avait rendu consommable ? Le Professeur Boles parle d’un changement qualitatif induit par la quantité. Par la quantité non seulement du nombre de patients en attente de greffe, mais aussi par le passage de un pour cent de la population potentiellement concernée à … cent pour cent.
Le Professeur Boles reconnaît l’existence de pressions incitant à cet utilitarisme – pressions qu’il analyse :
"( …) faudrait-il encore que l’on fasse attention à la manière dont les choses sont dites et sont faites, c’est-à-dire que les pressions ne soient pas extrêmement fortes. Alors, on peut les détailler, les pressions : il y a des pressions médicales, il y a celles des chirurgiens transplanteurs, qui veulent des greffons à transplanter, sinon ils ne transplantent plus, il y a bien entendu celles de l’Agence de la biomédecine, dont le métier consiste à augmenter le nombre de malades à prélever, il y a des pressions sociétales (les associations de patients en attente de greffe et/ou de proches de patients en attente de greffe), il y a des attentes médiatiques, avec tout ce qui peut être mis en exergue dans des affaires qui sont toujours douloureuses (on utilise très bien l’émotion collective pour faire passer certains messages) [exemple de cas de figure : des enfants en bas-âge qui attendent un cœur, ou des poumons. Ndlr.], il y a des pressions gouvernementales et politiques et vous êtes au premier rang, Messieurs les Députés et Messieurs les législateurs, pour les connaître : vous subissez les pressions de tout ce monde-là et vous subissez une autre pression que nous subissons de notre côté aussi, qui n’est pas à négliger, et qui est celle du coût. [M. Bernard Loty, directeur médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine, 22/07/09 : "L’argent qu’investit l’Etat dans la greffe est extrêmement rentable, puisque ce sont des millions d’économies d’Euros qui sont réalisées entre le coût de la dialyse et le coût de la greffe de rein. Ce sont des millions d’Euros qui ont été économisés pour l’Etat dans ce contexte-là.". La greffe de rein est plus économique que la dialyse pour la Sécu. Une greffe de rein coûte à la Sécurité Sociale une année de dialyse, tandis que cette même greffe lui permettra d’économiser en moyenne 9 années de dialyse, puisqu’un greffon de rein a une durée moyenne de vie de 9 années. Ndlr.] En clair, le coût d’une greffe rénale est très largement inférieur à celui d’une dialyse, dans le cadre de l’insuffisance rénale. [La grande majorité des patients en attente de greffe attendent un rein. Ndlr.]. Je ne méconnais pas l’importance de ces arguments, mais qu’on n’induise pas des comportements de pression liés à la pression de la conformité sociétale."
Qu’est-ce qu’affirmer que "le fait de ne pas donner ses organes relève du rejet de la solidarité" (Bernard Kouchner, tout récemment), sinon "induire des comportements de pression liés à la pression de la conformité sociétale" ?
Et si les transplantations d’organes constituaient une pratique d’exception par rapport à des principes ? Faire d’une pratique d’exception la norme, c’est se diriger vers un utilitarisme de la mort, que cet utilitarisme glorifie ou nie la mort.
"L’évacuation sociale de la mort"
"Pour Anne-Marie Moulin (1995), anthropologue et médecin, la crise de la transplantation dépasse les questions purement logistiques et économiques. L’évacuation sociale de la mort, constitue pour elle l’une des problématiques de la transplantation. (…). Les modalités des greffes d’organes sont précisées par différents textes – en particulier les lois de bioéthique de 1994 et leur révision en août 2004 –, encadrées par un dispositif technique spécifique et s’inscrivent dans une temporalité très réduite – au maximum quelques heures après le diagnostic de mort cérébrale". Les lois bioéthiques doivent être révisées à horizon 2010. "Les lois de bioéthique de 1994 (Journal Officiel 1994) ont introduit une nouveauté qui devrait contribuer à transformer la situation en reconnaissant à l’individu l’expression de son choix – consentement ou opposition. La création d’un fichier national des refus constitue la trace d’une autonomie reconnue de l’individu, introduisant une responsabilité pour lui, devant laquelle on observe un mouvement de recul sur lequel on peut alors s’interroger. Il existe en effet une disparité entre le résultat des multiples sondages effectués sur l’attitude des Français par rapport au don d’organes et un mouvement de retrait. Globalement favorables au don d’organes, ceux-ci hésitent ou refusent le prélèvement sur l’un de leurs proches." (Christiane KAPITZ, essai cité).
L’Institut Global Net Survey (GNS) a réalisé, "du 9 au 15 juillet derniers, un sondage qui révèle que 88 pour cent des Français seraient favorables au don d’organes, et que 77 pour cent d’entre eux seraient prêts à donner leurs organes. Les personnes qui pensent donner leurs organes le feraient pour sauver la vie de quelqu’un (85 pour cent), parce que s’ils étaient en attente d’un organe, ils apprécieraient que quelqu’un leur fasse un don (66 pour cent) ou parce qu’ils accordent peu d’importance à leurs organes après leur mort (41 pour cent). Cette dernière donnée révèle que 59 pour cent des sondés sont sensibles au respect de la dépouille. 23 pour cent des Français refusent le prélèvement de leurs organes après leur mort, la plupart du temps par égard pour leurs proches, d’autres parce qu’ils ne supportent pas l’idée que l’on touche à leur corps. Certains estiment enfin que leurs organes sont en trop mauvais état pour être prélevés." (Source : Yahoo ! Actualités 25/09/09)
Le docteur Marc Grassin, pharmacien, dans La Croix [Voir "La médecine a confisqué la mort", 14 juillet 1995], se demande si la campagne de sensibilisation au don peut résoudre à elle seule l’échec du don. Il établit "une relation entre le manque de don et le rapport à la mort et au corps généré entre autres par la médecine."
"La mort a disparu" (Professeur Daniel Loisance)
"Consentez-vous au prélèvement de vos organes après votre mort ?" : c’est en ces termes que l’on pose la question du don d’organes dans le discours public. Pour être plus transparent, et coller à la réalité des pratiques des transplantations, il faudrait demander : "Consentez-vous au prélèvement de vos organes à votre mort ?", car le constat de décès légal qui permet le prélèvement d’organes est particulier : la "mort encéphalique", ou l’"arrêt cardio-respiratoire persistant", ce dernier état, distinct du premier, permettant le prélèvement de reins sur donneurs "décédés suite à arrêt cardiaque non récupéré", constituent des constats de décès anticipés sur le plan légal : ce n’est pas un constat de décès à proprement parler, mais un constat d’irréversibilité d’un état conduisant à la mort. Ce constat d’irréversibilité est nécessaire aux pratiques des transplantations : on ne peut pas prélever des organes vitaux sur un patient en état de mort physiologique (un cadavre refroidi), il faut un donneur pour lequel le constat de décès prononcé sur le plan légal, et fondé sur un constat d’irréversibilité d’un état qui conduit à la mort, précède la mort physiologique. En évacuant la question de la mort du donneur d’organes, la médecine traite, ou fait croire qu’elle traite, un mourant comme un mort. La question de la mort est évacuée. Le grand public doit s’interroger sur le don.
Qui a évacué cette question de la mort ? La médecine, ou la société ? Les deux mon Capitaine ! La "règle du donneur mort", qui prévaut depuis les débuts des transplantations d’organes vitaux tels que le cœur, les poumons, le foie, les reins (encore qu’il existe la dialyse pour suppléer à l’insuffisance rénale), donc depuis la fin des années 60, a bien été établie par les législateurs, sous l’influence du corps médical. Que dit cette règle ? Toute personne ayant consenti au don de ses organes ne pourra faire l’objet du prélèvement de ses organes vitaux qu’après sa mort. On oublie de dire : après sa mort légale, qui précède sa mort physiologique. La population comprend : après sa mort physiologique, qui correspond à sa mort légale. Ce malentendu permet de faire en sorte que, dans un contexte légal de consentement présumé, la population ne s’intéresse qu’à la question du don, et non à celle de la mort. Dans le sondage cité, il est dit que les Français accordent "peu d’importance à leurs organes après leur mort (41 pour cent)". APRES leur mort. CQFD. Mais cette "règle du donneur mort", qui permet de "tordre et de manipuler la définition de la mort afin d’inclure progressivement sous ce ‘parapluie légal’ d’autres catégories de potentiels donneurs d’organes" (Professeur Robert D. Truog, Harvard Medical School, USA, 14 août 2008, New England Journal of Medicine) aurait-elle pu être mise en place par le législateur et le médecin sans l’assentiment de la population ?
"Au niveau collectif, les enjeux économiques sont loin d’être négligeables, pourtant, le coût des greffes est totalement occulté. Paradoxe de la transparence, élevée au rang de principe éthique, qui évacue pourtant l’une des dimensions de la greffe – le prix – au bénéfice de l’autre – le don d’organes.
Les greffes d’organes suscitent un intérêt très vif de la presse quotidienne, qu’elle traduit d’ailleurs davantage en termes de prouesse technique – ou d’échec – qu’en termes d’enjeux – humains, sociaux, économiques, politiques, juridiques ou éthiques. La spectacularisation de l’information a cette ambivalence de servir autant que de desservir le champ scientifique. Elle salue les performances médicales ou biomédicales, mais n’hésite pas à dénoncer les ’dérives’ du système – trafics d’organes, gestion défectueuse de l’activité de transplantation." (Christiane KAPITZ, essai cité).
Illustration directe de ces propos :
Dans son livre intitulé "Le cœur réparé" (éditions Robert Laffont, 1999), le professeur Daniel Loisance, qui dirige le service de chirurgie cardiaque à l’hôpital Henri-Mondor, Créteil, et qui a effectué de nombreuses transplantations du cœur, fait un surprenant constat : "La mort a disparu".
"L’attente du public a joué un rôle considérable dans cet essor de la chirurgie cardiaque ; elle a été telle et reste d’ailleurs si considérable qu’elle a permis le progrès en autorisant les entreprises les plus folles, les intervention à cœur ouvert sous circulation croisée ou en hypothermie profonde dans les débuts, l’utilisation des ventricules artificiels plus récemment. En réalité, la société comme la médecine ont plus changé au cours des trente dernières années que pendant plusieurs siècles précédents. Elle a tout fait, et fait encore tout, pour évacuer la maladie, la mort. Progressivement, nous nous sommes mis à vivre dans le culte du moi, le culte du beau, du sain, du sportif triomphant. Les exemples sont trop nombreux pour être cités, qui montreraient que la maladie est désormais vécue comme une injustice, comme une charge inacceptable. Dans cette logique, la mort a disparu. (…) Ce souci constant d’évacuer la maladie, la souffrance, la mort explique une réceptivité sans mesure à l’annonce du moindre progrès médical. Cette attente excessive autorise en réalité les excès les plus déraisonnables. Souvenons-nous : le sida est vaincu, par l’utilisation de la cyclosporine, ce nouvel agent immunosuppresseur qui permet les greffes. Madame la ministre de la Santé le dit, c’est donc vrai." [Oct. 85 : Échec de la cyclosporine. Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, annonce les résultats " très encourageants " obtenus par des chercheurs français ayant administré cet immunosuppresseur à cinq malades. L’échec sera retentissant. Source : http://www.arcat-sante.org/publi/infectionVIH/9chrono.html]
Poursuivons la lecture du livre du Professeur Loisance : "Souvenons-nous aussi des affirmations sans cesse répétées, à toute occasion, dans tous les médias, pendant plus de dix ans : ‘la greffe cardiaque, ça marche’, et les difficultés des véritables spécialistes pour émettre des réserves. Ceux qui essayaient de situer la greffe dans son véritable contexte, de parler des vrais problèmes n’étaient pas écoutés. Le refus de poursuivre l’activité de greffe dans l’équipe du Professeur Dubost à l’hôpital Broussais, au lendemain du décès du premier Européen ayant vécu parfaitement bien plus de deux ans (…), n’a eu aucun impact dans l’opinion. Les raisons, d’une rigueur scientifique et morale peu discutable, n’ont été ni relayées par les médias ni entendues. Par contre la société a été réceptive aux discours de ceux qui continuaient, sans justification scientifique, à tenir un discours simplificateur. En 1968, au second congrès international de la Société de transplantation, moins de deux ans après la première greffe cardiaque, un des pionniers de la recherche dans ce domaine n’hésitait pas à dire dans son discours inaugural : ‘La transplantation des organes sera assimilée à toutes les autres pratiques médicales … et il n’y a pas là matière à discussions philosophiques. Et ceci sera comme cela pour la bonne et simple raison que les gens sont constitués de telle manière qu’ils préfèrent être vivants que morts'". Le Professeur Loisance fait-il allusion au Professeur Jean Hamburger, président de la Société de transplantation de 68 à 70 ? Il en est d’autres qui balaient les questions philosophiques et morales posées par les prélèvements d’organes vitaux d’un revers de la main. Le Professeur Christian Cabrol, pionnier de la transplantation cardiaque en Europe, n’hésite pas à marteler des affirmations, largement relayées par la presse, telles que : "Tout ce qui n’est pas donné est perdu !", "Se faire enterrer avec ses organes constitue un crime social !". Ces discours simplificateur ont de multiples effets secondaires. On peut citer l’émission grand public du 21 septembre 2009 sur France 3 : "Sauvez des vies, vos questions, nos réponses", présentée par Marina Carrère d’Encausse et Michel Cymes : Paul-Auguste Germain, 27 ans, greffé des poumons pendant l’été 2009, vient apporter son témoignage : le traitement anti-rejet, les immunosuppresseurs, c’est "peanuts", dit-il. Il est sauvé, guéri à tout jamais. (Source : http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/sante/un-temoignage-pour-encourager-les-dons-d-organes_789027.html). Le style de l’article de l’Express qui relaie son témoignage met en avant le héros revenu de l’enfer : "Paul-Auguste, 27 ans, greffé durant l’été, témoigne de sa renaissance. Trop de patients décèdent encore faute d’un nombre suffisant de donneurs, un sujet abordé ce lundi soir sur France 3 dans l’émission de Michel Cymes et Marina Carrère d’Encausse.
"Le jeune homme arbore le sourire bravache de ceux qui ont flirté plusieurs fois avec la mort (…). ’J’ai toujours agi comme si la maladie n’existait pas, explique-t-il. Quand je suis né, les enfants touchés par la mucoviscidose avaient seulement 4 pour cent de chances d’atteindre l’adolescence ...’ Le gamin de Tours (Indre-et-Loire) a pourtant dépassé l’échéance annoncée et s’est aussitôt mis à conduire des motos à allure déraisonnable, à écumer les ‘rave parties’ et à abuser des drogues dures. Jusqu’à l’overdose, en 2001, dont il réchappe pour ne plus jamais replonger. ‘J’ai toujours eu de la chance’, résume-t-il sans une once d’ironie.
Au moment d’attaquer le dessert, la cuillère tremble dans la main de Paul-Auguste. ‘C’est l’effet des médicaments antirejet. Rien du tout, comparé à mon état d’avant, affirme-t-il posément. Mes poumons étaient tellement abîmés qu’ils se remplissaient régulièrement de sang. Je pouvais m’étouffer à tout moment.’ (...)."
Il faut savoir que la moitié des patients qui décèdent chaque année sans avoir pu être greffés (222 l’année dernière) sont des patients atteints de mucoviscidose et qui attendaient une greffe des poumons. Gardons-nous de juger Paul-Auguste Germain pour son déni de la maladie (et de la mort ?), mais constatons une réalité : dans cette émission grand public, toute récente, la greffe est présentée comme un miracle. Elle efface la maladie. (Source). "
L’éthique du patient en attente de greffe, pour quoi faire ?! "(…) ceci sera comme cela pour la bonne et simple raison que les gens sont constitués de telle manière qu’ils préfèrent être vivants que morts". Un point c’est tout.
Dire "don d’organes", c’est reconnaître les réalités : le don d’organes passe par la mort. On ne prélève pas des organes vitaux sur un cadavre refroidi. Le prélèvement de ses organes vitaux modifie la toute fin de vie du donneur d’organes. Affirmer "le don d’organes est un devoir", c’est nier ces réalités. Le devoir d’organes nie la mort du donneur d’organes. La mort a disparu.
Dans un monde où la mort est niée, l’éthique du patient en attente de greffe n’a pas sa place. On préfère accuser les autres d’"égoïsme" et de "repli sur soi". "Faute de greffe", martèlent les médias de tous les pays, X patients sont morts cette année. Faute ?? Le défaut de don constitue une faute, tout comme les accidents de la route. La greffe, d’exception, est devenue, d’après les medias, une "indication courante". Et si la faute, c’était d’induire "des comportements de pression liés à la pression de la conformité sociétale" ?
Le Lotto supplante l’éthique : il y a les perdants (les patients en attente de greffe) et les gagnants (ceux qui ont gagné le gros lot : la greffe). La communauté médicale scientifique se donne de la peine pour convaincre le patient en attente de greffe que tout ira mieux après. Mais pourquoi ?? Nous voyons bien que Paul-Auguste n’avait pas le choix, pour peu (excusez du peu !) qu’il veuille vivre. Ceux qu’il faut convaincre, ne serait-ce pas plutôt les usagers de la santé ? La greffe est présentée comme un miracle pour encourager la générosité de la population. Oui, mais au prix de dégâts considérables dans le camp des patients en attente de greffe : un insupportable sentiment d’injustice, pour les patients "en attente de greffe", rend si douloureux ce problème de pénurie d’organes à greffer. "Les greffes victimes de leur succès", lit-on dans les medias. On pourrait tout aussi bien parler du syndrome du pompier pyromane. Il faut rendre la greffe victime de son succès, la montrer sous un jour miraculeux, bref, il faut la survendre. Les patients greffés vont promouvoir le don d’organes dans un bel élan de surcompensation (vaine tentative de compenser le don qu’ils ont reçu. Il n’y a pas de compensation possible). Plus on greffe, plus la liste des patients en attente de greffe augmente. Ce discours présentant la greffe comme un miracle, qui est un discours simplificateur, est peu généreux envers les patients en attente de greffe (osera-t-on parler de sadisme ?) Dans la population des patients greffés et autres patients en attente de greffe, il y a deux camps : les gagnants (les greffés) et les perdants (devinez qui). Dans la population tout court, il y a aussi deux camps : les généreux (ceux qui donnent) et les égoïstes (ceux qui ne donnent pas). Je souhaite ici dénoncer cette fiction, car ce n’est rien d’autre qu’une fiction, qui est préjudiciable aux patients en attente de greffe, et aux chirurgiens transplanteurs qui ne sont pas tous, je puis vous l’assurer, dans la promotion à tous crins du don d’organes. Je vous propose de sortir de cette fiction et de revenir à la réalité, en poursuivant la lecture du livre du Professeur Loisance : pour lui, ces excès ont permis l’installation durable d’un malaise social, fruit (amer) des "excès de chaque partenaire, les spécialistes et la société". Le Professeur Loisance cite une sociologue, Renée Fox, qui dans son livre intitulé "Spare parts" ("Pièces détachées"), dénonce la "dérive d’un pouvoir médical excessif et des efforts faits par la société pour perpétuer sans fin la vie et réparer, reconstruire l’homme par le remplacement d’organe. Nous voulons nous séparer des souffrances humaines, du mal social, culturel, spirituel qu’engendrent ces excès sans limites". Savez-vous qu’en France, des greffons dits "marginaux" sont greffés à des patients en attente de rein ? Ces greffons sont de mauvaise qualité, et les chirurgiens, au lieu de greffer un seul rein par patient en attente de greffe rénale (on peut vivre avec un rein), en greffent deux par patient, en espérant que deux reins qui fonctionnent mal arriveront à faire le travail d’un seul qui fonctionne correctement … Avec son livre intitulé "Le cœur réparé", le Professeur Loisance, chirurgien transplanteur spécialiste du coeur, s’était donné un objectif :
"Si le sociologue peut dénoncer ces excès, le chirurgien, au contact du malade, ne peut ‘quitter le milieu’. Il peut par contre essayer de se faire entendre, parler vrai, expliquer les malentendus, ramener la société à la raison."
Vaste programme, surtout lorsque l’on voit l’émission grand public toute récente qui continue à présenter la greffe comme un miracle qui efface la maladie, et à gommer les problèmes d’éthique : la mère de Paul-Auguste affirme que le "greffon" reçu par son fils provient d’un "mort", et que cela ne pose donc "aucun problème de conscience". De là à aller promouvoir le don d’organes sur Twitter (outil de réseau social et de ‘microblogging’), il n’y a qu’un pas, que certains chirurgiens transplanteurs, Dieu merci, se garderont bien de franchir. Savez-vous qu’un rein transplanté a une durée de vie moyenne de 9 à 14 ans ? Que les médicaments immunosuppresseurs peuvent provoquer des maladies telles que cancer (cancer de la peau), diabète, ostéoporose, etc. ? Qu’il existe ce qu’on appelle la "maladie du greffon" ?
Le Professeur Loisance "parle vrai" (ouvrage cité) :
"Il semble bien que, du fait d’une attente probablement excessive, d’une méconnaissance quasi-totale du prix à payer pour obtenir le résultat espéré, attendu, le patient soit exposé, ’in fine’, au risque d’être déçu du résultat qu’il observe (…). Greffé cardiaque, il attendait avec la disparition des rejets aigus précoces, du fait de la cyclosporine, de leur détection plus sûre, une survie prolongée, et il admet mal cette évolution lente, insidieuse de la maladie du greffon, qui à terme va le tuer." (Copyright Robert Laffont SA, Paris, 1999)
On est loin de la greffe miraculeuse, qui efface la maladie, du greffon-"peanuts", du traitement antirejet-"peanuts" … Ainsi, la greffe ne serait pas la panacée, elle poserait des problèmes d’éthique et (un comble !) renverrait l’homme à ses limites ? Le "plâtrage" du discours public se fissure.
Est-ce "avoir du sang sur les mains" que de dire la vérité ?