Les différentes religions sont en faveur du don d'organes. Pour justifier leur position, elles prônent les valeurs de charité, de solidarité, de don gratuit par amour du prochain. Elles ne posent pas la question du constat de décès sur le plan de l'éthique, dans le cas du donneur mort. Elles reconnaissent le rôle prépondérant joué par la médecine dans la définition de la mort. Néanmoins, récemment (en mai 2007), un prélat orthodoxe a exprimé publiquement son questionnement sur la définition du cadavre.
"Dans un texte publié sur le site Internet du diocèse de Batchka de l’Eglise orthodoxe serbe, Mgr Irénée (Bulovic), l’un des plus éminents théologiens serbes aborde la question de transplantation du point de vue orthodoxe. Nous vous proposons la traduction française de cette contribution."
Brièvement, au sujet de la transplantation :
"Les questions de bioéthique, notamment de l’éthique médicale, représentent une problématique relativement nouvelle, mais très importante dans la société contemporaine. Dans tout dialogue social et scientifique sur les défis de ce genre, il faut inévitablement écouter et prendre en compte les points de vue religieux – dans notre pays comme ailleurs en Europe, avant tout les points de vue chrétiens.
L’Église orthodoxe, l’Église catholique, ainsi que les Églises traditionnelles réformées partagent le point de vue sur la question de la transplantation des organes humains. La vision chrétienne est également partagée par le judaïsme et l’islam. Dans les considérations des thèmes comme la transplantation et autres revendications médicales connexes, pour tout croyant les points de départ sont la valeur irréprochable, la liberté et la dignité de la personne humaine et le caractère sacré de la vie comme du don inopposable de l’amour de Dieu. Cela signifie que la transplantation d’un organe d’un homme à un autre est non seulement admise, mais elle mérite toutes les louanges de point de vue de la morale chrétienne à conditions que :
- le donneur et le receveur agissent librement et volontairement ;
- le donneur soit inspiré exclusivement par amour de son prochain, pour qui le don d’organe représente l’aide sanitaire, et souvent même la survie ; par conséquence toute manipulation est inacceptable, tout comme la pression psychologique, le commerce des organes, exploitation de la misère humaine pour l’achat des organes des hommes sains, voire des enfants, clonage dans le but de produire et de stocker les organes de réserve (soit dit en passant : qu’est que c’est que ce container d’organes bruxellois), et toute action similaire ;
- la transplantation ne mette pas en danger la vie du donneur, ni son état de santé, de sorte que le donneur ne soit pas lésé au point de devenir une nouvelle victime à son tour, à la place de celui qu’il a souhaité aider ;
- la transplantation ne modifie, ne diminue, ni ne menace pas l’identité biologique et spirituelle du receveur, c'est-à-dire son identité liée à l’appartenance à l’espèce humaine et à sa personnalité.
Sur ce dernier point je citerai un grand ami, excellent médecin et croyant orthodoxe convaincu, qui demande : 'Est-il permis d’expérimenter en mettant en jeu la vie, tout en sachant que les modifications apportées peuvent échapper dans les générations futures'.
Il est possible aujourd’hui de transplanter le cœur. C’est, pour ainsi dire, le miracle de la science médicale qui sauve de nombreuses vies. Cependant, on ne peut pas accepter que 'ta mort soit ma vie', vice-versa. Un homme ne peut donner son cœur, donner sa vie, en l’ôtant à soi-même. C’est pourquoi on ne prélève le cœur – ainsi que les autres organes vitaux - que ex cadavere, que sur un homme mort (cadavre). C’est là que fréquemment apparaît le dilemme : quel est le moment de la mort définitive du corps ?
La définition traditionnelle de la mort corporelle annonçait que c’est un état d’arrêt total et irréversible du cœur et de la respiration (mort cardio-respiratoire). La médecine d’aujourd’hui est plutôt d’avis pour définir cet état d’inactivité complète du cerveau ou de sa dégénérescence irréversible (mort cérébrale). Il faut rappeler qu’alors il n’y plus de plénitude de la vie humaine, mais que l’on peut, dans une certaine mesure, enregistrer les traces d’activité biologique, les traces de la 'vie corporelle'.
Ici naît le dilemme éthique. Selon l’anthropologie chrétienne, biblique, la mort signifie la séparation de l’âme du corps. (cf. Ps. 145, 4 et Luc. 12,20). À en déduire que la vie, même suspendue à un fil, existe tant que l’organisme fonctionne. Mais, cela ne signifierait pas que l’assistance artificielle, mécanique, au fonctionnement de certains organes (le maintien en vie, ou plutôt la mort au ralenti assistée) représente une action particulièrement positive pour l’homme.
Une chose est certaine pour la conscience chrétienne : la mort définitive doit être constatée avant le prélèvement du cœur. Les théologiens orthodoxes et catholiques sont en principe unanimes sur ce point ; avec tout de même un nombre de théologiens catholiques qui estiment qu’il faut accepter l’opinion dominante médicale sur le moment de la mort, c'est-à-dire, qu’il faut adopter la thèse de la mort cérébrale comme mort définitive de l’organisme. Malgré tout, les théologiens orthodoxes et catholiques, dans l’immense majorité, exigent la plus grande prudence dans l’appréciation de la mort réelle.
L’homme, comme être biologique, dispose du droit à la vie digne de l’homme. Mais aussi il mérite la mort digne de l’homme – la fin de vie chrétienne, sans honte, calme, réconciliée avec Dieu, avec les autres et avec soi-même, et dans l’amour. C’est pourquoi on ne peut transplanter le cœur d’un défunt – s’il est réellement mort – si on ne dispose pas de preuve certaine de sa volonté. Si c’était réellement sa volonté, c’est une expression d’amour posthume, de la bonté posthume.
Je finirai par citer mon ami médecin croyant, déjà évoqué : 'La vie est sacrée, car outre le début de la vie terrestre, il y a sa fin, c'est-à-dire la fin biologique. Cette fin n’est pas une transformation vers le néant, car, si c’était le cas, alors ni la naissance, ni la vie même, n’auraient pas de valeur. La mort est aussi sacrée, car elle ne représente pas la fin, mais le début et la résurrection à la vraie vie. La vie a un sens profondément apophatique (1), et ce domaine n’appartient pas à la médecine'.
Alors - oui au prélèvement d’organes ex vivo et ex cadavere (sur l’homme vivant et sur les décédés), mais - un oui conditionnel à la transplantation du cœur (jamais ex vivo, uniquement ex cadavere)."
Source :
http://www.orthodoxie.com
(1) Théologie apophatique : "L’apophatisme, (...) est une démarche intellectuelle par laquelle l’idée qu'on se fait de la divinité ne peut s’exprimer par des propositions positives. Par exemple, l’affirmation : 'Dieu existe', ne peut se concevoir en théologie négative. Pas plus que : 'Dieu est miséricordieux'. L’expression de la transcendance s’exprime uniquement par des propositions négatives et par un recours à l’abstraction." (source)
"La vie a un sens profondément apophatique" signifie que la vie ne peut être définie que par rapport à la mort, qui est sa négation, et réciproquement : la mort ne peut être définie que comme : qui a cessé de vivre. Où placer le curseur ? Ce n'est pas à la seule médecine d'en décider.
Le Dr. Guy Freys, Département de Réanimation chirurgicale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, l'explique très bien :
Je cite le texte de sa présentation intitulée "On ne meurt qu’une fois, mais quand ?", lors de la Conférence : "Les Deuxièmes Journées Internationales d'Ethique : Donner, recevoir un organe, Droit, dû, devoir", Strasbourg, mars 2007 :
"Déterminer le moment précis de la mort, affirmer avec certitude l’état de mort a toujours été une préoccupation et une difficulté de l’homme, avec la peur pendant des siècles de l’inhumation prématurée. ‘Le jugement de l’homme est tellement incertain qu’il n’arrive pas même à définir la mort’, disait Pline l’Ancien déjà au début de l’ère chrétienne. Pourtant, si je vous montre ces quatre images de coucher du soleil [quatre étapes du coucher de soleil : sur la première image, le soleil commence à se coucher, pour avoir quasiment disparu sur la dernière, où il ne reste qu’une pâle lueur, ndlr.], je pense que personne ne mettrait en cause l’affirmation qu’il va faire bientôt nuit. Mais sur la dernière image, en bas, à droite, le soleil a disparu. Mais est-ce déjà la nuit ? Ou la lumière résiduelle permet-elle de dire que ce sont encore les derniers moments du jour ? La question de mon propos est très proche de cette interrogation. Quand reconnaît-on la disparition des derniers signes de la vie pour affirmer la mort ? Si je pose la question en ces termes, c’est que la définition de la mort, elle, est relativement universelle et univoque : prenez n’importe quel dictionnaire, vous verrez cette définition : ‘qui a cessé de vivre’. C’est donc bien l’absence d’éléments élémentaires vitaux qu’il faut rechercher pour affirmer la mort. La difficulté de déterminer le moment précis de la mort est d’autant plus grande que les derniers instants de la vie apparaissent de tout temps surdimensionnés, comme si l’homme se rendait enfin compte de l’importance de la vie et qu’elle devenait encore plus précieuse et sacrée aux derniers instants. D’ailleurs, peut-on parler d’un moment précis ? Ne s’agit-il pas le plus souvent d’un processus où la vie s’éteint au fur et à mesure, comme le coucher du soleil ? Si vous regardez les peintures qui représentent la mort, il y a une chose qui est très frappante : c’est que la personne apparaît toujours vivante. Elle est vivante et elle attend la mort. Cette difficulté se posait déjà quand la mort était uniquement définie comme l’arrêt circulatoire, avec déjà le problème sous-jacent de la certitude de l’irréversibilité de cet état et de l’angoisse qui l’a toujours accompagnée : la peur d'être enterré vivant. Je vous rappelle aussi que l’expertise médicale de la mort n’est apparue que pratiquement à la fin du XIXème siècle et que le certificat médical de décès n’est obligatoire que depuis 1937 pour permettre à l’officier d’Etat civil de délivrer le permis d’inhumer. Ce n’est qu’en 1948 que l’arrêt circulatoire est annoncé comme signe légalement reconnu de la mort par décret. Vous le voyez, c’était déjà difficile. Mais cette difficulté inhérente de définir et de préciser le moment et l’heure de la mort va se trouver accentuée par ou du fait des progrès de la réanimation à partir du milieu du XXème siècle, où la réanimation permet de suppléer des fonctions cardiaques et respiratoires qui représentaient jusqu’alors les critères scientifiques indiscutables de la mort. Ces avancées vont nécessiter de revoir la définition épistémologique de la mort.
J’aimerais souligner d’emblée que l’adoption d’une définition cérébrale de la mort comme fin d’un fonctionnement intégré et cohérent de l’organisme humain n’est pas en opposition avec la définition circulatoire, mais juste une mise à jour prenant en compte les avancées des connaissances médicales. Mais l’acceptation de cette évolution scientifique ne peut en aucun cas se dispenser de négliger les aspects religieux, philosophiques, culturels et sociaux. Un petit rappel historique s’impose. Ce nouveau concept de mort cérébrale se dessine à partir de 1959, à partir des descriptions de coma dépassé de Mollaret et Goulon. En 1965, le Professeur Goulon avait organisé un gros colloque à Marseille qu’il avait intitulé : ‘Les états frontière entre la vie et la mort’ et reconnaissait à l’époque l’absence de critères simples, indubitables, objectifs qui permettent de dire clairement s’il y a mort. Le terme de mort cérébrale apparaît pour la première fois dans un article qui relate une greffe à partir d’un organe prélevé sur un patient … ‘à cœur battant’ ! C’est donc le développement de la transplantation qui va nécessiter de toute urgence, de la part de la communauté médicale, une définition claire de cette mort cérébrale pour permettre le prélèvement d’organes et recueillir l’acceptation sociétale d’une telle procédure. En 1968 on valide le concept de mort cérébrale (5 août 1968, déclaration de Harvard aux USA et 25 avril 1968 : circulaire Jeanneney) mais on se garde bien d’en préciser les critères, les Américains disant qu’il faut les établir en fonction des connaissances et en France, la fameuse circulaire Jeanneney dit que l’élaboration des critères va être imminente et proposée par l’Académie de Médecine. Il faudra attendre 28 ans pour les voir apparaître. La France a donc eu quelques mois d’avance sur les Américains pour décréter que la mort cérébrale était un état de mort. Monsieur Cabrol, deux jours après la promulgation de cette circulaire, va faire la première greffe à partir d’un donneur considéré en mort cérébrale. Vous voyez donc que pour une fois, nous n’étions pas en retard. L’arrivée de ce concept a apporté avec lui une multitude d’interrogations éthiques et a engendré nombre de controverses et de confusions, beaucoup n’y voyant qu’un prétexte pour légaliser le prélèvement d’organes sur personne ‘décédée à cœur battant’. Ce concept est aussi initialement controversé même chez les professionnels de la santé puisque si vous regardez des études des années 80, vous vous rendrez compte que 40 pour cent des professionnels de santé sont très réticents à admettre cette mort cérébrale. Cette méconnaissance reste encore aujourd’hui à mon sens le frein le plus important pour l’acceptation du don et [la mort encéphalique] reste le parent pauvre de l’information au grand public, et principalement le principal responsable du refus des familles confrontées au don d’organes. Ce scepticisme est dû à l’aspect non conventionnel de la mort, puisque le cœur bat et la peau est chaude. Penser que ce corps est mort n’est pas aisé.
Pour ajouter à la difficulté de compréhension, deux concepts vont voir le jour : celui de la mort encéphalique : ’whole brain death’, adopté aux USA, en France et aujourd’hui par une majorité de pays, qui exige la destruction du cerveau et du tronc cérébral ; et la mort du tronc cérébral : ‘brainstem death’, concept adopté au Royaume-Uni et en Inde, qui reconnaît à cette seule destruction (celle du tronc cérébral) le statut de mort. Ce qui est sûr, c’est que ces deux états sont des états de non-retour à la vie - personne n’en est jamais réchappé -, et que la respiration est abolie. Il faut donc une suppléance de la fonction respiratoire. Ces états conduisent toujours à court terme à l’arrêt de toutes les fonctions de l’organisme, quels que soient les moyens de réanimation mis en œuvre. Les différents pays, qu’ils aient adopté la mort encéphalique ou la mort du tronc cérébral, ont rapidement ressenti la nécessité de légiférer sur la validité médico-légale de ces morts, mais aussi sur les critères de définition, la finalité de ces critères étant de constater l’état irréversible du constat de la mort. Ce qui frappe, ce qui dérange, ce qui va alimenter la confusion, c’est que les critères retenus varient d’un pays à l’autre. Or là on ne peut pas invoquer des différences culturelles. On demande des faits scientifiques, aussi ces variétés de définition ne facilitent-elles ni la compréhension et, surtout, ni l’adhésion du grand public. Ainsi, dans certaines législations, la seule observation clinique suffira à établir le diagnostic de la mort, dans d’autres pays, on exigera un test ou un examen de confirmation pour valider le caractère irréversible de cette mort cérébrale. Je vous ai représenté là l’article du Monde qui est paru juste avant le fameux décret du 22/12/1996 qui régit la définition de la mort encéphalique en France. Cet article souligne la difficulté de la rédaction du décret définissant la mort encéphalique, et témoigne des avis divergents, qui au sein même du corps médical se sont exprimés sur un thème aussi sensible et d’une grande portée symbolique. L’article souligne aussi que ces dispositions s’inscrivent dans un paysage fort contrasté, qui voit l’opinion publique avoir à la fois confiance dans l’efficacité des équipes médicales et redouter ‘la rapacité de ces mêmes équipes’. La conclusion de cet article met l’accent sur le travail pédagogique à accomplir pour faire en sorte que soient mieux perçus les objectifs, les difficultés et les nécessités pratiques du corps médical. On voit bien que dans tous ces textes, dans tous ces besoins de législation, les peurs ont changé, les peurs se sont déplacées : la peur de l’inhumation prématurée a fait place à la peur des morts qui n’en seraient peut-être pas. Il y avait donc urgence à vraiment donner des définitions claires et précises de cette mort encéphalique et de celle du tronc cérébral. En tout cas, comme le souligne un philosophe italien, Alberto Acero, ces définitions pragmatiques introduisent un écart considérable entre la mort humaine et celle de toute autre être vivant.
Alors la mort encéphalique, c’est quand ? On meurt quand de la mort encéphalique ? La mort encéphalique, par rapport à la mort qu’on connaissait, a finalement un moment très très précis de décret. Puisque c’est le moment où les critères seront rassemblés. Mais le patient, qui deviendra alors automatiquement médico-légalement un cadavre, finalement, ce cadavre en réalité, il était mort depuis un certain temps. Concrètement : suivant les critères retenus dans les différentes législations, vous serez reconnu comme mort à 17h00 en Espagne dès la réalisation du premier EEG puisqu’il s’agit là des critères adoptés en Espagne, par contre dans la même situation en France, on devra attendre quatre heures de plus et réaliser un deuxième EEG pour vous décréter mort. Aux Etats-Unis, où dans la moitié des hôpitaux, les critères d’observation du tableau clinique sont suffisants, suivant les Etats, il faudra attendre 6 à 24h00 avant de vous déclarer mort. L’hétérogénéité de ces critères, l’absence de consensus, les controverses, tout cela favorise naturellement l’apparition de nouveaux courants et je voudrais vous citer les deux principaux qui sont tout à fait opposés.
D’une part on entend de plus en plus de voix s’élever pour remettre en cause la mort cérébrale elle-même, tout en admettant le caractère irréversible du processus, c’est-à-dire la non possibilité de retrouver la conscience et la respiration, et le fait que ces états [la mort du tronc cérébral et la mort encéphalique, ndlr.] peuvent conduire au prélèvement d’organes. Mais ces mêmes voix insistent pour séparer cet état propice à faire un prélèvement d’organes et la mort. Il faut souligner qu'en Europe, le Danemark s'était longtemps distingué. La mort encéphalique y était vue comme un état permettant d'aller aux prélèvements d'organes, mais il était entendu que la mort ne survenait véritablement qu'avec l'arrêt du cœur pendant le prélèvement des organes. C'est lors d'un référendum que la population du Danemark va réagir : selon elle, cet état de fait n'est pas logique. Il faut que la mort soit l'instant où on fait le diagnostic de mort encéphalique pour que ce système de transplantations d'organes soit acceptable et compréhensible. C'est sa population qui a rangé le Danemark dans la mouvance de tous les autres pays d'Europe. A l’opposé de ces voix qui réclament de ne plus parler de mort cérébrale, il y a des voix qui demandent à aller encore plus loin, et réclament la reconnaissance de la mort néocorticale, c’est-à-dire le statut de mort à celui qui ne posséderait plus ses fonctions corticales supérieures, en arguant du fait que la mort de la personne prime sur celle de l’organisme, et que s’il n’y a plus de personne, il n’y a plus de vie. Ce concept de mort néocorticale est initié par un neurologue écossais (…) qui s’appuie sur l’étendue des lésions de la matière grise interdisant tout rapport conscient avec le monde extérieur. Mais dans ces cas-là, la respiration spontanée est le plus souvent préservée. La commission présidentielle américaine de 1981, qui avait adopté la mort encéphalique, avait rejeté ce concept et a interdit de considérer cette situation comme un état permettant le prélèvement d’organes, mais conclut quand même que le caractère irréversible de la perte de conscience ne pouvait être affirmé en l’état actuel des connaissances, mais laissait la porte ouverte au cas où un jour on pourrait définir exactement les zones qui seraient responsables de cet état-là. Si de prime abord on devait mettre un jour en évidence les contours exacts de la région du cerveau responsable de cette fonction et pouvoir démontrer le caractère irréversible de sa destruction, une nouvelle polémique s’engagerait inévitablement sur la définition et l’instant de la mort. L’exemple le plus médiatisé de cet état-là était celui de Mme Terri Schiavo, qui a fait un arrêt cardiaque le 25/02/1990 et sur sa tombe vous voyez :’Elle a quitté cette terre le 25/02/1990 et demain [31/03/2007, ndlr.] sera l’anniversaire de sa mort légale puisque son mari, après beaucoup de procédures juridiques, a pu faire arrêter la nutrition parentérale et elle est décédée après l’arrêt de la nutrition, c’est-à-dire quelques jours : il est évident que ça ne va pas aussi vite que quand on arrête un ventilateur, mais elle est morte parce qu’on lui a arrêté l’alimentation parentérale qu’elle avait depuis 15 ans.
Il est évident que je ne pouvais pas terminer cet exposé sans évoquer la reprise des prélèvements ‘à cœur arrêté’, là aussi pour répondre à la pénurie d’organes. Ces prélèvements soulèvent, sous une autre forme, la question de mon propos, à savoir : combien de temps faut-il attendre pour déclarer la mort après un arrêt circulatoire si un prélèvement d’organes est envisagé dans la continuité ? Ce point est régulièrement débattu et vous voyez que les délais changent régulièrement, puisque le but et le dilemme, en fait, de cette question, c’est d’une part de s’assurer de l’irréversibilité de l’arrêt circulatoire, donc de la mort, et d’autre part l’exigence médicale de prélever le plus rapidement possible afin de pouvoir utiliser les organes, à l’exception du cœur, naturellement, dans cette situation. Le Candide, là encore, peut être dérouté, voire effrayé, de constater ces différents délais :
Heure de la mort par arrêt cardiaque :
Caractère irréversible de l’arrêt cardio-circulatoire et de la perte de conscience
La commission présidentielle américaine recommande (en 1981) d’attendre 10 mn après l’arrêt circulatoire ; l’Institute of Medecine recommande d’attendre 5 mn (en 1997) ; la National Conference on Donation after Cardiac Death de 2006 recommande un temps d’attente compris entre 2 et 5 mn au maximum.
En fait, je pense qu’on pourrait facilement expliquer ces différents délais par la différence des situations qui permettent ces prélèvements ‘à cœur arrêté’. Pour simplifier, il y a deux situations principales : une qui est une situation d’échec de la réanimation cardio-circulatoire – c’est la seule situation retenue en France : dans cette situation, tous les efforts de réanimation se sont avérés inefficaces pour ‘ressusciter’ un patient. Si on n’a pas l’objectif de prélever un tel patient, dès qu’on arrête la réanimation, on avait l’habitude de considérer que c’était l’heure de son décès. Donc on comprendra que là on sera peut-être moins vigilant sur le délai. Par contre il faut savoir qu’il y a une deuxième situation, qui permet le prélèvement des organes ‘à cœur arrêté’ qui n’est pas autorisée en France, mais qui est la plus fréquente aux Etats-Unis, en Belgique, aux Pays-Bas, qui permet de prélever des gens à qui on va arrêter le traitement supplétif d’une défaillance vitale. Donc il y a un premier geste qui consiste à arrêter un traitement qui maintenait la vie. Donc vous voyez que là, je dirais que d’abord on n’a aucune idée du temps que va mettre l’apparition de l’arrêt cardiaque, après il y a l’interrogation suivante : combien de temps faudra-t-il attendre jusqu’à ce qu’on soit sûr que la même personne est en mort encéphalique ? Parce que c’est cette question-là qu’on se pose. [Dans les deux situations mentionnées ici, et permettant le prélèvement ‘à cœur arrêté’, la mort du cerveau n’est pas vérifiée, elle n’est pas requise, ndlr.]. Il est évident que dans la seconde situation, les législations ont demandé d’être plus vigilant. Je terminerai par cette citation d’un philosophe français, Gabriel Marcel:
‘La mort était un mystère, elle est désormais un problème’. N’est-ce pas la manière la plus simple et la plus juste de rendre compte de la mort actuelle, dans les hôpitaux en particulier ? ‘Partout où passe la science’, ajoute-t-il, ‘s’accroit le risque qu’un mystère soit réduit à l’état de problème. Le problème est du côté de l’avoir, du vérifiable ; le mystère est du côté de l’être, de l’invérifiable. Tant qu’on reste dans la sphère du mystère, un geste peut être justifié. Quand on descend au niveau du problème, le mal est fait, quoi qu’il advienne ensuite.’
Alors, et c’est là ma conclusion, sachons garder un peu de mystère car je pense que ceci permet au mieux de respecter la représentation que chacun peut avoir de la mort."
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