Sans information affranchie de la promotion, que signifie le "consentement éclairé" inscrit dans la loi ?
Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, comment ne pas porter préjudice aux familles confrontées au don d’organes : va-t-on fabriquer des deuils "pathologiques" à la chaîne ?
Enfin, comment débattre de l’importance de la transplantation pour la société ? Sans information affranchie de la promotion, il me semble que les usagers de la santé risquent de se retrouver exclus de tous ces questionnements d’éthique, actuellement confinés au sein du corps médical. En effet, quel est l’usager de la santé qui est informé des problèmes posés par les prélèvements "à cœur arrêté", où la frontière entre réanimation/décision d’arrêt de la réanimation, constat de décès et intention de prélèvement d’organes semble si ténue ? Je cite le Professeur Laurent Lantieri, en mars 2007 :
"Le prélèvement à coeur arrêté, c'est un patient qui fait un arrêt cardiaque, que l'on maintient en arrêt cardiaque et que l'on refroidit, dans l'éventualité de faire un prélèvement d'organes. Il y a une difficulté : il y a un conflit avec le fait qu'on pratique un massage cardiaque pour faire repartir le coeur du patient : on se retrouve parfois dans un conflit entre les deux [intention de soin et intention de prélèvement d'organes, ndlr.], et je ne suis pas sûr qu'on ait bien prévenu la population du fait que quand on pratique un massage cardiaque sur une personne au bord de la route et qu'un SAMU arrive, ça peut aussi bien être pour le réanimer que, en cas d'échec de la réanimation, pour prélever les organes. Cela me pose problème, alors que je suis tout à fait pour le prélèvement à coeur arrêté. Mais je pense qu'il faut prévenir la population de cette particularité. Sinon, on risque de se retrouver avec des patients qui porteront des bracelets, comme les Américains. 'Do Not Ressuscitate' : 'je ne veux pas qu'on me réanime'. Cela risque d'être, à mon avis, un vrai problème."
(Source).
Il n’est pas certain qu’une telle pratique remporte une acceptation sociétale telle qu’elle puisse résoudre le problème de pénurie de greffons.
Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, tous les chemins mènent au Don. Or ce "dogme avec lequel on jongle pour justifier les transplantations d’organes" (Professeur Bernard Debré) pourrait bien être un "cul-de-sac" (Professeur Henri Kreis). A y regarder de plus près, ce "cul-de-sac" est à haut risque pour les usagers de la santé (de plus en plus nombreux) confrontés au "don" d’organes, qui doivent témoigner de la volonté d’un défunt pas encore refroidi. En de tels instants, toute la pression, véhiculée par tout un chacun, prônant la générosité / solidarité afin de permettre de "sauver" des patients en attente de greffe, repose sur quelques proches confrontés à un dilemme inhumain : soit ils choisissent d’accompagner au mieux leur mourant, soit ils choisissent d’aider des patients en attente de greffe, quitte à risquer d’abandonner leur mourant au pire moment de sa "vie". Qu’atteint la personne confrontée au choix (pour elle-même ou pour un proche) : le comble de l’héroïsme ou le comble du désarroi ? Elevée dans la laïcité, ma famille m’a pourtant transmis le devoir de l’accompagnement d’un proche mourant – devoir primant sur toute autre considération – et le devoir de générosité.
Est-il possible de réfléchir sans pression idéologique, et d’oser faire remarquer que les deux choix sont incompatibles, sans risquer de se faire censurer, à plus forte raison si on est acteur du monde médical ? Mme Claire Boileau, auteur du livre : "Dans le dédale du don d’organes. Le chemin de l’ethnologue" (Editions des archives contemporaines, 2002), ne répond plus à aucune sollicitation. Son intérêt pour la question se sera sans doute tari.
Le consentement éclairé, un "mariage infernal entre Kant et Sade" (Alain Caillé, Professeur d'économie et de sociologie à l'université de Paris 10) ?
Est-il permis de dénoncer la nocivité du système actuel, reposant sur l’idéologie du Don ? La pression subie par le corps médical pour augmenter le nombre de greffes (et donc de prélèvements) est énorme, et ne peut que se répercuter sur l’usager de la santé. Encore une fois : celui-ci est-il informé du fait qu’une situation d’arrêt cardiaque peut conduire, suite à un échec de la réanimation, à des gestes techniques invasifs sur sa personne, en vue d’un prélèvement d’organes ? Là encore, les disparités dans les pratiques d’un pays à l’autre ne sont guère rassurantes pour l’usager de la santé : catégorie III de Maastricht retenue au Japon, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, aux USA, où cette catégorie représente la possibilité de prélèvement la plus importante ; catégorie III exclue en France, car il y aurait risque de confusion entre la décision d'arrêt des soins et l'intention de prélèvement d'organes, ce qui poserait des problèmes d'éthique.
Le don point d’interrogation, à remplacer par la mort point d’interrogation ?
Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, il devient urgent de déverrouiller d’information grand public sur le "don" d’organes. Or cette urgence est loin d’être à l’ordre du jour. D’où mon initiative de médiation éthique entre les politiques (le Sénat notamment), les acteurs des transplantations et les usagers de la santé, depuis 2005.
Veuillez agréer l’expression de mes salutations courtoises.
Catherine Coste
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