Est-ce à dire que les prélèvements d'organes ne sont pas éthiques ? Eh bien, non. Mais il ne serait pas tout à fait éthique de dire que l'on prélève les organes vitaux de ces patients parce qu'ils sont morts. Pour effectuer un constat de décès légal dans le cadre d'un éventuel prélèvement d'organes, on se base en fait sur l'irréversibilité d'un état. Et non sur la mort d'une personne, à proprement parler. Commençons par le commencement. Les organes vitaux d'un cadavre (rigide) ne soignent personne. Ce diagnostic de mort légale, permettant le prélèvement des organes vitaux d'un patient, repose sur le constat médical de l'irréversibilité d'un état. Il serait néanmoins inapproprié de parler d'euthanasie, puisqu'il ne s'agit pas de mettre fin aux jours d'un patient en anticipation d'une fin de vie trop pénible (euthanasie au sens de "bonne mort"). Avec notre potentiel donneur d'organes, on a affaire à un patient en fin de vie, qui se trouve dans un état irréversible et pour qui, donc, le pronostic vital est sans espoir. Tout acharnement thérapeutique serait déraisonnable. On parle donc d'un patient en état de "mort encéphalique" ou d'"arrêt cardio-respiratoire persistant" précisément afin de signifier l'irréversibilité de cet état. Et c'est en se basant sur ce diagnostic d'un état irréversible que l'on va conduire ce patient au prélèvement de ses organes vitaux. Un patient en fin de vie rentre dans le cadre de la loi Leonetti d'avril 2005, dite loi sur les droits des malades en fin de vie. Or ce n'est pas le cas de notre potentiel donneur d'organes. Son cas à lui est prévu et encadré, sur le plan légal, par les lois bioéthiques d'août 2004, actuellement en cours de révision. Ces lois bioéthiques seront revues à horizon 2010. Et pourquoi le donneur d'organes ne relève-t-il pas de la loi sur les droits des malades en fin de vie ? Précisément du fait de la "règle du donneur mort". Depuis le début des prélèvements d'organes, "la règle du donneur mort" prévaut sur le plan légal. Le donneur d'organes doit être mort sur le plan légal, sans quoi le prélèvement de ses organes constituerait un crime. Cette règle a permis aux transplantations de prendre leur essor et de recueillir l'acceptation sociétale d'une telle pratique. Pour autant, elle ne correspond pas tout à fait à la réalité de ce qui se passe dans un service hospitalier de réanimation, où se trouvent les potentiels donneurs d'organes. Ces derniers sont sous respirateur (respiration artificielle) et font encore l'objet de soins (perfusion de leurs organes vitaux) avant d'être conduits au bloc où leurs organes vitaux seront prélevés. Sans ces soins, point de conservation d'organes vitaux possible. Il va sans dire que ces soins, qui ne sont plus dans l'intérêt du potentiel donneur d'organes, sont invasifs. Outre Atlantique, des médecins américains, de la prestigieuse Harvard Medical School, proposent depuis août 2008 de revoir cette "règle du donneur mort" qui est également imposée aux USA. Pourquoi pareille idée ? Ces médecins veulent-ils révolutionner la pratique des transplantations ? La faire interdire ou la dénoncer ? Pas le moins du monde. Ils souhaitent simplement ajuster la légalité des prélèvements d'organes à leur pratique, c'est-à-dire : il faut reconnaître que la justification éthique des transplantations, c'est la réalité d'un pronostic vital (diagnostic d'un état irréversible), et non la mort du potentiel donneur d'organes. Il s'agit d'adosser l'aspect juridique des prélèvements d'organes à leur pratique, et non de révolutionner une pratique qui, elle, ne fait (et ce depuis des décennies) que suivre les réalités observables au sein d'un service hospitalier de réanimation, là où se trouve notre potentiel donneur d'organes. Je cite ces auteurs : "Bien qu'il puisse être parfaitement éthique de prélever les organes vitaux, à des fins de transplantations, à partir de patients satisfaisant aux critères de diagnostic de la mort encéphalique, on ne saurait justifier l'aspect éthique de l'affaire en évoquant la mort de ces patients, car nous ne pouvons être convaincus que ces patients sont réellement morts au préalable du prélèvement de leurs organes".
"(...) although it may be perfectly ethical to remove vital organs for transplantation from patients who satisfy the diagnostic criteria of brain death, the reason it is ethical cannot be that we are convinced they are really dead." ("The Dead Donor Rule and Organ Transplantation", Robert D. Truog, M.D ; Franklin G. Miller, Ph.D., New England Journal of Medicine, August 14, 2008. www.nejm.org)La réflexion de ces médecins américains est-elle exportable ? Il s'agit d'une autre société, et d'un autre support légal permettant la pratique des transplantations. Pour autant, d'un pays à l'autre, les réalités permettant les transplantations sont identiques : ne s'agit-il pas, en France comme aux USA, d'un diagnostic se fondant sur l'irréversibilité d'un état - c'est l'état jugé irréversible par les médecins qui va conduire à faire d'un patient un potentiel donneur d'organes. Il me semble qu'entendre ces réalités en France demanderait que l'on accepte de réfléchir au problème en consentant à évacuer la pression idéologique imposée par la "règle du donneur mort". Qu'aurait-on à y gagner ? Une plus grande transparence de la pratique des prélèvements d'organes, et sans doute aussi une plus large acceptation sociétale, mais reconnaître ce dernier point exigerait que l'on s'affranchisse de la "règle du donneur mort", ce qui, à mon avis, demandera du temps...
... Aussi, pour tenter de montrer le "bon" exemple, où, à tout le moins, faire preuve de bonne volonté :
2 commentaires:
Pas outre-Manche, mais outre-Atlantique !
ERRATUM (fichier son) : il n'est pas question un seul instant d'aller prélever [les organes] de gens qui ne sont pas réellement mourants et qui auraient des chances de s'en sortir.
ET NON : "Il n'est pas question un seul instant d'aller prélever [les organes] des gens réellement mourants qui auraient des chances de s'en sortir".
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