(Mars 2007) Lettre ouverte au corps médical, aux Sénateurs et aux députés de l'Assemblée Nationale
Vers plus d'ouverture dans la communication grand public sur les transplantations d'organes ?
En tant qu’usager de la santé, je suis auteur d’un weblog d’information sur l’éthique et les transplantations d’organes. Ce weblog a été initié il y a deux ans, lorsque j’ai cherché à me renseigner sur la question : douleur et prélèvement d’organes, dans le cas des prélèvements sur patients en état de mort encéphalique, et, plus récemment, dans le cas des prélèvements "à coeur arrêté". Il m’est alors apparu que la communication grand public sur les transplantations d’organes était faite par le "camp" des greffeurs d’organes, et non par celui des préleveurs. De nombreuses disparités entre les pays me sont également apparues, ainsi que l’existence de polémiques au sein du corps médical, concernant entre autres le constat de décès sur le plan de l’éthique dans le cas de la mort encéphalique.
Dans une lettre ouverte, adressée au corps médical et aux Députés de l’Assemblée Nationale et aux Sénateurs, j’argumente en faveur d’une ouverture de la communication grand public concernant les transplantations d’organes. Cette communication fait délibérément l’économie d’une réflexion sur la mort. Or le consentement éclairé inscrit dans la loi de bioéthique d’août 2004, concernant le don d’organes, ne signifie pas grand-chose si on fait l’économie de cette réflexion. Serait-il possible d’instaurer une communication plus "honnête", plus citoyenne ?
Les transplantations d'organes représentent tout un pan, et non des moins prestigieux, de la médecine moderne. Dons d'organes, sauver des vies, progrès, greffe du visage, voilà des "Leitmotivs" souvent entendus dans les médias. Comment ces médias conduisent-ils la réflexion sur les transplantations d'organes auprès du grand public, des usagers de la santé ? Par transplantation, il faut entendre le prélèvement et la greffe d'organe(s). Y-a-t-il des disparités entre les pays ? Les transplantations, combien ça coûte, et combien ça rapporte, et à qui ?
Par comparaison avec d'autres pays, notamment les pays de culture anglo-saxonne, il nous est apparu que la communication grand public, gérée par l'Agence de biomédecine, fait délibérément l'économie d'une réflexion sur la mort encéphalique, or cette forme de mort si particulière et si inconnue du grand public constitue la condition préalable au prélèvement d'organes, en tout cas en ce qui concerne les donneurs dits "décédés".
Qui sait en France, hormis les membres du corps médical, qu'un donneur potentiel, en état de mort encéphalique, présente une peau vascularisée, un coeur battant (car il est sous respiration artificielle) ? Le coeur et les poumons sont maintenus en état de marche, seul le cerveau est détruit. A-t-on affaire à un mort ou à un mourant ? L'actuel silence ou pragmatisme observable dans la communication grand public en France à ce sujet vise avant tout à ne pas décourager les bonnes volontés : on manque déjà tellement d'organes pour "sauver" les innombrables patients en liste d'attente, vivant dans l'espoir d'une greffe. Le nombre de ces patients attendant une greffe augmente chaque jour, car chaque jour la médecine promet de nouveaux espoirs. La mort encéphalique est définie en fonction de ce que la médecine peut faire : à partir de la mort du cerveau d'un individu, il est possible de prélever ses organes pour aider d'autres patients. Le statut juridique de mort encéphalique (inscrit dans les lois de biomédecine) fournit donc un support juridique aux activités de prélèvement d'organes. Mais qu'en est-il du constat du décès (mort encéphalique) sur le plan de l'éthique ? Il nous a semblé indispensable de conduire une réflexion à ce sujet, puisqu'il est à la base des activités de transplantation, qui se développent de plus en plus. En mars 2007, la technique du prélèvement d'organes sur donneur "à coeur arrêté" a été avalisée par l'Académie de Médecine. Une nouvelle catégorie de donneurs fait son apparition, sans que le grand public en soit encore informé. En quoi consiste cette forme de "décès", quelles questions d'éthique soulève-t-elle et combien de greffons supplémentaires pourraient être ainsi fournis ?
La définition traditionnelle de la mort, vieille de plus de deux mille ans, repose sur l'arrêt de trois organes "vitaux" : coeur, poumons, cerveau. Dans les années 60, au début des transplantations et puisque celles-ci sont apparues possibles et souhaitables, une nouvelle acception de la mort est apparue, reposant uniquement sur la mort du cerveau (coeur et poumons maintenus en état de marche par des appareils). Cette nouvelle acception s'est concrétisée par les termes de "mort cérébrale" ou "mort encéphalique", qui ne sont pas strictement identiques, mais qui reposent tous deux sur le principe de la mort du cerveau. Avec les différentes modalités du prélèvement d'organes sur patient "à coeur arrêté" (voir la classification dite "de Maastricht"), une nouvelle acception de la mort fait son apparition. En effet, avec la catégorie I de la classification de Maastricht ("les personnes qui sont en arrêt cardiaque et pour lesquelles le prélèvement d'organes est envisagé si la durée de l'arrêt cardiaque est inférieure à 30 minutes"), le diagnostic de la mort s'appuie sur le seul critère de l'arrêt de la fonction cardiaque, pas sur celui de l'arrêt de la fonction cérébrale ! Il en va de même avec la catégorie II ("les personnes qui ont un arrêt cardiaque en présence des secours, maintenues avec un massage cardiaque et une ventilation mécanique, et dont la réanimation s'avère vouée à l'échec").
Que recouvre le mot de "mort" pour vous ? A quelle mort croyez-vous ? A celle qui survient lors de l'arrêt coeur-poumons-cerveau, ou bien à d'autres formes de mort, celles qui permettent le prélèvement d'organes (mort encéphalique, mort cérébrale, "coeur arrêté" selon les modalités du classement de Maastricht) ? Doit-on promouvoir une définition de la mort en fonction de ce que peut faire la médecine, ou bien doit-on maintenir la définition dite "traditionnelle" ? Si tant est que les patients en état de mort encéphalique sont mourants et non morts, faut-il revoir la définition de la mort pour pouvoir permettre les prélèvements d'organes ? Si oui, comment ? Faut-il passer d'une acception biologique à une acception ontologique de la mort ? L'ontologie correspond à la partie la plus générale de la métaphysique, par opposition aux trois disciplines de la 'métaphysique spéciale', la théologie (Dieu), la psychologie (l'Âme) et la cosmologie (le Monde). Autrement dit, la justification de la mort encéphalique par des critères ontologiques permettrait de dépasser les critères de religion et de psychologie. Les usagers de la santé sont-ils prêts à accepter un tel raisonnement, qui implique que la mort soit désormais assimilée à la seule perte irréversible de la conscience ? Le Docteur Leslie Whetstine, de l'université de Duquesne, Pittsburgh, Pennsylvanie, USA, répond par l'affirmative, dans son article de mars 2007 intitulé : "Bench-to-bedside review: when is dead really dead - on the legitimacy of using neurologic criteria to determine death".
[Lire cet article en langue anglaise : cliquer ici].
Ce Blog propose une réflexion sur ce qui pourrait apparaître comme le "talon d'Achille" des transplantations d'organes: qu'est-ce que la mort encéphalique, pourquoi de telles disparités dans le diagnostic de celle-ci d'un pays à l'autre, quelle est l'approche du corps médical à son sujet, réactions et témoignages d'acteurs de la transplantation, d'usagers de la santé...
Les transplantations, appelées à se développer de plus en plus, demandent qu'on prenne en compte tous leurs aspects : ne communiquer que sur la beauté du don d'organes et non sur la nature de la mort encéphalique, c'est ne traiter qu'un des aspects de la question. Ici, nous traitons de l'autre aspect : celui de la mort encéphalique : controverses scientifiques, questions éthiques, questions concernant l'anesthésie du patient en état de mort encéphalique, pour le prélèvement de ses organes...
Le contexte médical, depuis que se pratique la dissection des cadavres, est celui de la transgression. L'opposition bien/mal est au coeur de la médecine ; en même temps, le médecin ne peut pas s'immiscer dans le raisonnement éthique de ses patients : à chacun de se construire sa propre éthique, sa propre "théorie de l'action", c'est-à-dire l'exercice de sa raison, entre difficulté et courage, pour garder un sens à son existence.
Ce weblog d'information rend compte des différents points de vue concernant les transplantations d'organes. Le but n'est pas de dénigrer l'activité des transplantations, ou de la promouvoir à tout prix, mais d'inviter chacun à une réflexion citoyenne, en toute connaissance de cause.
Le Docteur Marc Andronikof, chef du service des urgences à l'hôpital Antoine-Béclère, Clamart, rend compte de sa propre démarche éthique en tant que médecin, montrant que la réflexion ne peut être menée en terme manichéens (les gentils partisans des greffes contre les méchants opposants) :
"Contrairement aux promoteurs des transplantations qui veulent croire (et faire croire) qu'ils oeuvrent pour le bien (de l'humanité) et que seuls de dangereux monstres obscurantistes pourraient penser autre chose, je place cette affaire à la croisée de choix de civilisation, de culture, de détermination personnelle au regard de sa conception du monde (visible et invisible). Je redis ici qu'un médecin chrétien a pour mission le bien de la personne qu'il a devant lui et pas celui de l'humanité. Quand c'est un mourant, qu'il meure le plus paisiblement possible. Quand c'est un malade qu'il ait les meilleurs traitements. Et c'est là bien sûr que l'opposition se fait jour. On ne peut en sortir que si :
1) le malade ne réclame pas de guérison à tout prix, pour tout prix (et je rappelle ici que même celui qui va être greffé mourra un jour, souvent pas si lointain). C'est la position qu'à mon avis devrait avoir tout tout malade qui se dit chrétien (au moins) : poser une limite et savoir pourquoi on la pose. Ainsi ne pas accepter que la prolongation de sa maladie (car il ne s'agit que de cela) passe par le dépeçage d'un autre homme. Cela revient, en-deçà de la religion, à sa détermination philosophique devant la maladie et la mort. Notre civilisation est en train de claquer la porte à 2500 ans de philosophie après l'avoir fait de 2000 ans de christianisme.
2) d'autres thérapeutiques se développent (cellules souches ?, xénogreffes humanisées ?) qui rendent caduques les prélèvements.
Car pour le reste, il ne faut pas y compter (comme de comprendre qu'un véritable lavage de cerveau planétaire est organisé depuis 40 ans).
Dans quelques temps on nous dira en France qu'acheter et vendre ses organes c'est très bien car cela permet de contrôler le marché, le rendant ainsi éthique. Alors que jusqu'à présent c'est non seulement interdit mais considéré comme hautement amoral. Cela passera, comme passe tout le reste. Il suffit de mettre les moyens de communication suffisants, pendant suffisamment de temps.
Ce qui était impensable car 'mal' hier devient la norme donc 'bien' le lendemain. Ce qui revient à ce qu'aujourd'hui méprise la veille.
Dans leur article de 1993, 'Brain Death: Reconciling Definitions, Criteria, and Tests', MM. Amir Halevy et Baruch Brody proposaient de sortir de l'hypocrisie de parler de mort, mais définir clairement les étapes où on peut :
- prélever les organes,
- arrêter les machines ou appeler les pompes funèbres."
Les différents critères de prélèvement des organes (prélèvement sur patient en état de mort encéphalique ou prélèvement sur patient à coeur arrêté selon les critères de la Classification de Maastricht, prélèvement sur donneur vivant, famille proche ou élargie), la diversité des définitions (on parle de mort encéphalique en France, mais de mort cérébrale en Grande-Bretagne) et des pratiques (projet pilote au Canada, qui permet de prélever les reins de patients qui ne sont pas en état de mort cérébrale mais qui n'ont pas de chance de survie ; la France se refuse à suivre cette voie) : autant de facteurs complexes, donnant à l'usager de la santé l'impression de cheminer dans un labyrinthe intellectuel. Certains pays favorisent le don d'organes par la famille proche ou élargie (donneurs vivants), comme en Suède, au Japon, en Allemagne ; tandis que d'autres pays, comme la France et l'Espagne, privilégient le prélèvement d'organes sur patient "à coeur arrêté". En matière de transplantations d'organes, la disparité règne en Europe. En Allemagne, depuis quelques mois, les tissus humains sont commercialisés, étant soumis à la même réglementation et législation que les médicaments. Ce n'est pas le cas en France. Chaque pays suit sa voie, mais qui décide ? L'usager de la santé est peu consulté, peu au courant des débats d'éthique concernant les transplantations, pour ne parler que de la France. Quel usager de la santé français a entendu parler de la "règle du donneur mort" -contestée outre Atlantique, mais imposée en France-, concernant le prélèvement d'organes sur donneur en état de mort encéphalique ?
La "règle du donneur mort" ("dead donor rule") impose que la mort du donneur d'organes soit déclarée en amont du prélèvement des organes. C'est ainsi que les lois de bioéthique françaises (la dernière datant de 2004) permettent de déclarer un patient en état de mort encéphalique comme étant légalement décédé. Or dans les pays de culture anglo-saxonne (USA, Royaume-Uni), ou encore au Japon, cette règle est controversée : le patient serait mourant et non mort. La mort étant un processus, il est impossible de déterminer, techniquement et biologiquement parlant, le moment exact d'un décès, ou bien il faut le faire de manière arbitraire, afin de fournir un support légal à l'activité du prélèvement d'organes. La mort encéphalique est l'instrument arbitraire qui permet de déclarer une personne morte, afin de pouvoir prélever ses organes. Elle relève d'une définition consensuelle, et non ontologique. Dans une telle perspective, il est suggéré d'invalider la "règle du donneur mort" afin de pouvoir continuer les prélèvements d'organes sur patients en état de mort encéphalique. On n'essaye plus de dire que les patients en état de mort encéphalique sont morts, on exprime clairement qu'ils vont mourir et que cela peut être profitable à d'autres patients...
Sous ce terme savant de "dead donor rule" se cache entre-autres une réalité bien concrète : les équipes chirurgicales vont-elles pouvoir intervenir assez tôt pour prélever des organes utilisables ? Avec une définition de la mort trop stricte, le prélèvement d'organes peut être compromis (les greffons récupérés risquent d'être inutilisables). Une définition de la mort pas assez stricte pose des questions d'éthique : qu'en est-il de l'accompagnement du mourant dans la mort ? Ne risque-t-on pas de se jeter sur un mourant pour le dépeçer ? Les chirurgiens suisses se posent des questions à l'heure actuelle, concernant les modalités de prélèvement sur patient "à coeur arrêté". Voir l'article : "Suisse : la mort est-elle définie de façon trop stricte ? Des médecins s'en inquiètent" : cliquer ici (article du 06/03/2007).
Une autre réalité qui se cache sous ce terme de "règle du donneur mort" est la question de l'anesthésie lors du prélèvement des organes d'un patient "mort" (ou mourant, le cas échéant) : si la règle du donneur mort est appliquée (le patient étant déclaré mort avant le prélèvement des organes), en quoi une anesthésie est-elle justifiée ? Puisque le patient est mort... L'usager de la santé est alors en droit de se poser la question : une anesthésie ne serait-elle pas nécessaire ? Le donneur sera-t-il tout de même anesthésié ? La réponse "grand public" en France pour le moment est : non, puisqu'il est mort... En revanche, si la règle du donneur mort est transgressée et qu'il est clairement indiqué que le patient va mourir et qu'on peut en profiter en prélevant ses organes, une anesthésie générale pour le prélèvement des organes s'impose... D'où une disparité des discours et des pratiques, disparité qui n'est guère rassurante pour l'usager de la santé. Voir le Blog Post "Anesthésie et prélèvement d'organes sur donneur en état de mort encéphalique" : cliquer ici.
On peut se demander si l'orientation française (qui souhaite maintenir "la règle du donneur mort" et la mort encéphalique comme critères de prélèvement des organes) est plus souhaitable que celle des pays anglo-saxons et du Canada (débats autour de la transgression de la "règle du donneur mort" - débats largement tabous en France) ?
M. le Professeur Henri Kreis, Unité de transplantation rénale, Hôpital Necker-Enfants malades (Paris), proposait en 2001 lors d'une table ronde à l'Assemblée Nationale que "soient mis en place des groupes de réflexion qui se posent à nouveau et complètement le problème de la collecte d'organes cadavériques. Il s'agit d'essayer de redéfinir un autre mode de pensée que le 'don d'organe'." Il précise :
"Je pense que le 'don d'organe' est un échec. Cela fait trente ans que nous demandons aux gens de donner des organes et cela fait trente ans que c'est un échec. Ce problème a été pris en mains par les transplanteurs depuis 1969 ou 1970. Cela a été probablement une bonne chose au départ et une erreur par la suite. Ce n'est pas aux médecins de régler ces problèmes. Aujourd'hui, la collecte des organes est devenue un problème de société et à mon avis c'est à la société de décider de deux choses. D'une part, veut-elle des transplantations d'organes, veut-elle que l'on utilise le corps humain pour le bénéfice de ses membres ? Si la réponse est positive, c'est à la société de dire comment elle veut que l'on donne et que l'on collecte les organes.
Il a plusieurs manières de faire mais je pense que nous devons aujourd'hui constater que le don d'organes, qui a été la base du système de pensée des transplanteurs depuis trente ans a abouti à l'échec d'aujourd'hui. Je pense donc qu'en parallèle au problème du donneur vivant, on ne peut pas ne pas mettre en route une réflexion sur la collecte des organes en général et, en particulier, revoir la manière dont nous avons agi depuis trente ans, se demander s'il n'y a pas une autre voie qui nous permettrait d'augmenter la collecte des organes cadavériques et la collecte des organes de bonne qualité, de telle sorte que cette fois-ci nous n'aurions plus besoin de prélever des organes sur des donneurs vivants."
(source : "Table ronde sur les greffes d'organes ou de cellules à partir de donneurs vivants", Rapport N° 3528 de l'Assemblée Nationale).
Peut-être me direz-vous qu'on est dans une médecine de la transgression même sans transgresser "la règle du donneur mort", puisque la "Boîte de Pandore" a déjà été ouverte avec les prélèvements sur patients en état de mort encéphalique ...
Je souhaite mener une réflexion citoyenne sur la transplantation d'organes. La forme de cette réflexion permet une ouverture constante aux questions, réactions, commentaires, critiques du corps médical et des usagers de la santé. Espace interactif de réflexion, ce weblog s'oriente vers un "déverrouillage" de l'information sur les transplantations d'organes telle qu'elle est fournie aux usagers de la santé par les instances institutionnelles de communication grand public.
Un vrai merci à tous !
Catherine Coste
3 commentaires:
Sur France 5, toute la semaine dernière, la rubrique "7 minutes pour une vie" (qui fait partie du magazine de la santé) était consacrée au service des urgences de l'hôpital Antoine-Béclère à Clamart. Ces cinq épisodes sont téléchargeables pendant 15 jours sur le site :
http://www.france5.fr/magazinesante/W00443/4/118812.cfm
Le Dr. Marc Andronikof, qui dirige ce service, parle d'une "technicisation de l'agonie" : en effet, beaucoup de personnes âgées (des maisons de retraite avoisinantes) viennent mourir à l'hôpital, dans son service. Ces patient(e)s "en fin de vie" sont souvent envoyé(e)s par l'infirmière de la maison de retraite. Actuellement, environ une personne sur deux meurt à l'hôpital. L'entourage de ces patients en fin de vie, souvent en plein désarroi, se voit "soulagé" par la prise en charge de ce proche en fin de vie aux urgences. L'équipe médicale lui fera de l'oxygène, il/elle sera relié(e) à des tuyaux, des machines, bref toutes sortes de "gadgets" qui rassurent face à la mort. Il s'agira avant tout d'améliorer le confort du mourant, et non de prolonger son agonie et ses souffrances dans un combat sans issue.
Depuis un siècle, les progrès de la médecine, conjugués à ceux de l'hygiène ont bouleversé les conditions de survenue de la mort. On ne décède plus chez soi mais à l'hôpital, pris en charge par des professionnels dont les compétences et la technicité ne sauraient cependant remplacer les anciens rituels familiaux qui entouraient le malade. On meurt de plus en plus vieux et de plus en plus lentement. La mort est devenue un processus long et tardif que les traitements de plus en plus lourds peuvent encore prolonger. Désormais, on peut réanimer et maintenir quiconque en vie presque indéfiniment. La vie rendue ainsi possible est de qualité extrêmement variable.
Les propositions de loi sur la fin de vie, dont est issue la LOI RELATIVE AUX DROITS DES MALADES ET À LA FIN DE VIE (Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005), prennent en compte ces paramètres.
La loi de bioétique d'août 2004 réaffirme la mort encéphalique comme étant la mort, d'un point de vue médical et juridique. Cette "technicisation de l'agonie", dont parle le Docteur Andronikof, semble aussi s'appliquer à la mort encéphalique: ce patient mort mais pourtant "encore chaud", dont les fonctions coeur-poumons sont maintenues en vie, n'est-il pas issu de cette "technicisation de l'agonie", censée rassurer le grand public ? Il conviendrait d'inclure l'usager de la santé dans les réflexions et débats sur la mort dans notre société dominée par le progrès technique car il a certainement son mot à dire.
Le mercredi 2 mai 2007, j'ai envoyé à la présidence du Sénat le courriel suivant :
"En tant qu’usager de la santé, je suis auteur d’un weblog d’information sur l’éthique et les transplantations d’organes. Ce weblog a été initié il y a deux ans, lorsque j’ai cherché à me renseigner sur la question : douleur et prélèvement d’organes. Il m’est alors apparu que la communication grand public sur les transplantations d’organes était faite par le 'camp' des greffeurs d’organes, et non par celui des préleveurs. De nombreuses disparités entre les pays me sont également apparues, ainsi que l’existence de polémiques au sein du corps médical, concernant entre autres le constat de décès sur le plan de l’éthique dans le cas de la mort encéphalique.
Dans une lettre ouverte, adressée au corps médical et aux Députés de l’Assemblée Nationale et aux Sénateurs, j’argumente en faveur d’une ouverture de la communication grand public concernant les transplantations d’organes. Cette communication fait délibérément l’économie d’une réflexion sur la mort. Or le consentement éclairé inscrit dans la loi de bioéthique d’août 2004, concernant le don d’organes, ne signifie pas grand-chose si on fait l’économie de cette réflexion. Serait-il possible d’instaurer une communication plus 'honnête', plus citoyenne ?"
Le Directeur Adjoint du Cabinet m'a adressé en réponse un courrier daté du 14 mai 2007 dont voici le contenu :
"Madame,
Vous avez souhaité informer M. Christian Poncelet, Président du Sénat, de l'existence de votre blog d'informations dédié aux transplantations d'organes. Je veux vous assurer que votre courriel a reçu toute l'attention qu'il mérite. Je vous prie d'agréer, Madame, l'assurance de mes respectueux hommages."
Je souhaite reprendre ici un témoignage de Brigitte Adam, mère de famille confrontée au don d'organes (8 mars 2006 ) :
"Bonjour,quel soulagement d'avoir trouvé votre site! depuis 3 ans, je me pose tellement de questions, je doute et parfois je regrette d'avoir dit oui aux médecins qui ont prélevé les organes de mon fils Jean-Stéphane (21 ans). Et puis, je n'ose pas en parler autour de moi: l'entourage a trouvé notre geste si 'formidable', si 'généreux'... Certains ont même pris leur carte de donneurs... Alors comment leur dire que moi, je me torture depuis 3 ans ?....que aujourd'hui, je n'aurais certainement plus cet élan de générosité ? Que j'ai été douloureusement déçue par l'attitude de l'équipe médicale, que j'ai la nette impression que tout a été 'organisé', 'orchestré' pour obtenir notre accord et qu'ensuite, plus personne ne s'est occupé de nous et surtout, ce que je ne pardonne pas, c'est que l'on n'ait pas eu la délicatesse de nous informer de la mort cérébrale de Jean-Stéphane. Nous habitions à 60kms de l'hopital où il a été transporté après son accident de voiture le 01/01/03. Nous n'avions le droit de visite qu'entre 14H et 15H. Le 02/01 au soir,on nous a dit que l'artère qui irrigait son cerveau s'épuisait peu à peu et qu'il ne passerait pas la nuit 'mais nous vous préviendrons immédiatement, c'est promis'. Le 03/01/03 à 8H, pas de nouvelles, nous appelons l'infirmière coordinatrice: 'Jean-Stéphane est toujours là...je vous tiens au courant, non vous ne pouvez pas venir, d'ailleurs les prélèvements auront lieu aussitôt alors...' (en clair, nous gênerions...)Sans nouvelle, après plusieurs tentatives, nous réussissons à joindre de nouveau l'infirmière: 'Et bien oui, Jean-Stéphane est cliniquement décédé il y a 1H et, oui, les prélèvements ont commencé...non vous ne pouvez pas venir, ça va durer toute la journée et peut-être même demain matin'. Le lendemain midi c'est encore nous qui avons appelé pour apprendre que Jean-Stéphane avait été transféré à la morgue (ce mot, quel choc pour moi!). Quant à l'infirmière, elle a oublié de nous appeler.. Elle est rentrée exténuée chez elle... Le jour de la mise en bière, elle est venue à la morgue 'pour rendre hommage à notre fils' : 'c'est un don merveilleux que vous avez fait'. En fait, je me dis que j'ai 'abandonné' mon fils entre leurs mains, que je n'ai pas su veiller sur lui jusqu'au bout comme une maman, que une fois qu'ils ont eu ce qu'ils voulaient... J'ai demandé combien de vies a-t-il 'sauvé'? : 5. Y a-t-il des enfants ? elle n'a pas voulou me dire. J'ai insisté : des jeunes ? L'anonymat doit être respecté... Depuis plus de nouvelles, aucun contact avec l'hopital, pas de réponse à mon mail un an après... Je suis restée avec mes doutes, mes angoisses et je suis pas sûre de dire encore oui si demain il me fallait revivre la même chose avec mon mari ou mes filles. Si au moins, l'anonymat n'était pas si strict, savoir simplement si ce sont des adultes, des enfants, s'ils vont bien aujourd'hui, je crois que ça m'aiderait à me convaincre d'avoir fait le bon choix... et que Jean-Stéphane, qui était si généreux, me dirait merci de l'avoir fait..."
Brigitte
Cette mère de famille doit vivre des moments de culpabilité éprouvants (inhumains) car elle sent confusément qu'elle s'est "faite avoir" par le corps médical. Est-il honnête de maintenir l'actuel pragmatisme ou silence dans la communication grand public, de faire ainsi l'économie d'une réflexion sur la mort, afin de ne pas décourager les bonnes volontés, quitte à ce que quelques familles passent ensuite par les affres d'un doute inhumain ? Nous répétons ici qu'il conviendrait d'informer le grand public que ce sont des mourants qu'on prélève et non des morts.
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