Quelle mort pour le donneur d'organes ? "La mort encéphalique : actualités et controverses. Approche comparative en Europe", par David Rodríguez-Arias.
"La mort encéphalique (ou mort cérébrale) peut être définie comme la perte des fonctions du cerveau. L'assimilation légale de la mort cérébrale à la mort a fait l'objet de nombreuses controverses dans la littérature bioéthique depuis 40 ans. Dans ce travail, j'explore la notion de mort cérébrale, son origine historique et la situation actuelle des controverses sur ce sujet. Premièrement, j'essaye de clarifier le concept de mort cérébrale et de me placer à l'origine de ce concept, soulignant l'importance de la mort cérébrale dans la médecine actuelle. Deuxièmement, je montre quelques particularités des régulations internationales sur la déclaration de la mort et le prélèvement d'organe. Cela servira à comprendre comment le diagnostic de la mort n'est pas une pratique universellement homologuée. Finalement, me basant sur quelques études empiriques qui ont été menées sur ce sujet, je montre comment la mort cérébrale continue à poser des problèmes de compréhension parmi les citoyens et même parmi les professionnels de santé susceptibles de prendre en charge ce type de patients."
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"Les personnes en état de coma irréversible ont pu apparaître aux membres du Comité Ad-Hoc de Harvard comme une banque d'organes en parfaites conditions pouvant servir à sauver des vies encore viables (conscientes, autonomes et avec une certaine qualité). Dans ce but, le Comité proposait d'élargir les critères de la mort afin que les patients en coma dépassé puissent être classés dans la catégorie des personnes décédées. Le coma dépassé allait ainsi devenir la 'mort cérébrale', dont le diagnostic repose sur un arrêt irréversible du fonctionnement du cerveau dans son ensemble. A partir de cet instant, le fait de se trouver dans un tel état signifiait la mort de l'individu, avec tout ce que cela implique."
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"Malgré que depuis 1996 les déclarations de décès puissent se faire aussi bien sur la base de la mort cérébrale que de la mort cardio-respiratoire, le 2 août 2005 apparaissait en France un nouveau décret stipulant la possibilité de prélèvements d'organes à coeur arrêté :
Art. R. 1232-4-1. – Les prélèvements d'organes sur une personne décédée ne peuvent être effectués que si celle-ci est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique. 'Toutefois, les prélèvements des organes figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, pris sur proposition de l’agence de la biomédecine, peuvent être pratiqués sur une personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant'. (Décret nº 2005-949 du 2 août 2005 relatif aux conditions de prélèvement des organes, des tissus, et des cellules et modifiant le livre II de la première partie du code de la santé publique - Dispositions réglementaires, Journal Officiel de la République Française, 6 août 2005 (...) )"
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"(...) [N]ous avons effectué une recherche sur cette question visant à examiner la connaissance et l'opinion des professionnels de santé espagnols, français et étasuniens concernant les critères de détermination de la mort humaine. [INCONFUSE: Investigation sur le Concept de Mort employé par les Professionnels en France, USA et Espagne. Agence de la Biomédecine. Recherche et Greffes. 2002.] Cette étude a notamment montré les choses suivantes :
1. Une partie des professionnels persiste à croire qu’un donneur en état de mort cérébrale ne meurt qu’après prélèvement de son coeur ; d’autres considèrent qu’un donneur en asystolie n’est pas mort. Le double standard qui sert à diagnostiquer légalement la mort ne correspond pas à un concept unitaire de celle-ci. N’ayant établi aucune priorité entre les deux critères de détermination de la mort, le double standard génère une confusion et produit un doute chaque fois que l’un des deux critères n’est pas accompagné de l’autre. Ceci a une incidence particulière dans le contexte du prélèvement d’organes : les patients en mort cérébrale conservent des battements cardiaques, et les donneurs en asystolie peuvent conserver pendant un certain temps quelques-unes de leurs fonctions cérébrales.
2. Parmi les professionnels interrogés, nombreux sont ceux qui semblent partager une vision gradualiste de la mort. D’un point de vue biologique, la mort survient de façon graduelle et non pas abruptement. Ceci explique que toutes les tentatives s’efforçant de démontrer le moment exact de la mort, en invoquant des faits biologiques, ont échoué. Il n’existe pas d’instant identifiable au cours duquel l’individu passe de l’état de vie à celui de mort : ce moment est une convention sujette à des décisions qui, si elles ne sont pas nécessairement arbitraires, sont contingentes.
3. Plus de la moitié des professionnels fournissent des réponses incohérentes lorsqu’ils attribuent un statut vital à deux patients atteints d’un trouble neurologique sévère : l’un en mort cérébrale et l’autre en état végétatif permanent. Les professionnels qui s’occupent de patients en mort cérébrale manifestent une certaine confusion quant à la signification de la mort ou appliquent de façon incohérente leur propre concept sur la mort. Il n’existe pas de consensus qui permette de savoir si, et surtout pourquoi, le diagnostic de la mort cérébrale indique la mort d’un patient. Les différentes tentatives pour justifier l'idée que la mort cérébrale équivaut à la mort posent des problèmes de cohérence, tant lorsqu'elles s’appuient sur des arguments biologiques que lorsqu'elles reposent sur des arguments philosophiques.
La définition de mort cérébrale est hautement contre-intuitive, même pour nombre de ceux qui sont habitués à déclarer la mort et à effectuer des prélèvements d’organes. La représentation de la mort parmi les professionnels de la santé, tout comme pour le reste de la population, est très variable."
http://www.ethique.inserm.fr/inserm/ethique.nsf/AllDocumentsByUNID/386E7615F26907A4C1257552004D89F7
Voir l'avis rendu par le Conseil National d'Ethique en 2008, sur le sujet "Le diagnostic de la mort en rapport avec le don d'organes" :
==> Lien : http://www.cne.public.lu/publications/avis/Avis_21.pdf
"Prélèvements d’organes sur donneur à cœur arrêté" : rapport de l'Académie Nationale de Médecine, 06/03/2007 (lire) :
"Rappelons qu’il n’y a en effet qu’une seule mort, la mort encéphalique, qu’elle soit primitive ou secondaire à l’arrêt cardiaque."
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