- L'anonymat du donneur d'organes est un principe qui a force de loi en France. Pourtant, tout patient greffé peut voir, pour peu qu'il récupère son dossier médical, l'âge du donneur ou de la donneuse. Que lui importe le reste ? Avoir le rein de quelqu'un qui est décédé à 70 ans, voilà qui est différent d'un rein prélevé sur un jeune donneur ou une jeune donneuse se trouvant en état de mort encéphalique suite à un accident...
- Les deux-tiers des patients en attente de greffe en France attendent un rein. Avec la population qui vieillit, beaucoup de gens âgés viennent s'ajouter sur la liste nationale des patients en attente de greffe. L'éthique doit obligatoirement s'adapter à des contraintes financières. Voici un exemple bien concret : les prisonniers se trouvant en insuffisance rénale sévère ne peuvent pas être dialysés. Mettre en dialyse tous les prisonniers souffrant d'insuffisance rénale sévère coûterait bien trop cher à la Sécu. Dans bien des cas, ces patients incarcérés vont donc se retrouver prioritaires sur la liste des patients en attente de greffe ...
- Un médecin me racontait récemment qu'il avait suivi un Français originaire du Sénégal, ayant bénéficié de ... cinq greffes de rein ! "Dès que ce patient partait voir sa famille au Sénégal, il buvait de l'eau pas propre qui lui flinguait les reins, et hop, c'était rebelotte pour la greffe !", m'a expliqué ce médecin, ajoutant que ce patient, père de six enfants, est tout de même décédé relativement jeune, à l'âge de 65 ans ...
- Dans son livre paru en mars 2010 aux éditions Gallimard NRF, "La transplantation : un commerce nouveau entre les êtres humains", le sociologue Philippe Steiner (université de Paris IV - Sorbonne) raconte une anecdote concernant un prélèvement "post-mortem" qu'il qualifie d'"exceptionnelle mais saisissante" : un même donneur a permis de greffer 56 personnes ! Il s'est par la suite avéré que ce donneur était atteint du SIDA. L'hôpital (les hôpitaux) a (ont) donc procédé au rappel de ces 56 patients greffés ...
- Une infirmière cadre, ayant accumulé des années d'expérience dans le domaine des transplantations d'organes en France et en Suisse, me confiait récemment qu'elle était perturbée par ce qu'elle appelle "un constat de décès anticipé". "Maintenant, on prévoit la mort du patient [qui devient ainsi un potentiel donneur d'organes. Encore patient, déjà donneur ?], et ça, ça me gêne..."
- Le Professeur Claude Huriet est venu témoigner à plusieurs reprises au Sénat et à l'Assemblée Nationale : il est un épisode douloureux pour les familles confrontées à la question du don des organes d'un proche potentiel donneur : c'est la fin de vie du donneur, qui est souvent réanimé, donc maintenu en vie artificielle, "prolongé", à des seules fins de conservation des organes. Il arrive fréquemment que le décès d'un (potentiel) donneur soit retardé, la fin de vie de ce donneur prolongée de quelques heures : les organes doivent rester perfusés dans l'attente de leur prélèvement au bloc. Ces réanimations sont douloureuses pour les proches et pour les équipes soignantes, a rappelé le Pr. Huriet.
- Le donneur est-il anesthésié au préalable du prélèvement de ses organes ? Les pratiques varient. Certains anesthésistes utilisent des curares, qui permettent certes de paralyser les muscles (faire tenir le "mort" tranquille), mais ne peuvent à eux seuls garantir une anesthésie complète du patient donneur d'organes. D'autres utilisent des dérivés synthétiques de la morphine, efficaces contre la douleur. Or dans ce contexte j'ai pu recueillir quelques témoignages de soignants parlant de "sous-dosage anesthésique" au préalable et durant l'acte chirurgical du prélèvement des organes et des tissus. Aussi j'ai effectué une petite recherche : voici la procédure anesthésique utilisée à l'hôpital Henri Mondor de Créteil (2007): les agents dits "halogénés" (leurs molécules comportent plusieurs atomes de fluor) sont puissants et de ce fait utilisés à des concentrations inférieures à celles utilisées pour l'halothane (Fluothane) et L'ethrane (Enflurane). (Source : Encyclopedia Universalis, "L'anesthésie"). La procédure anesthésique utilisée à l'hôpital Henri-Mondor lors du prélèvement des organes d'un patient en état de "mort encéphalique" mentionne l'"anesthésie du patient par agent anesthésiant type halogéné (Isoflurane)", l'utilisation de "morphiniques associés à un myorelaxant (Pancuronium)" [le myorelaxant permet de relâcher ou de paralyser les muscles, Ndlr.], "permettant d'éviter l'exacerbation des réflexes médullaires [contraction réflexe d'un muscle, Ndlr.] à l'incision avec hypertension artérielle, hypertonie musculaire et mouvements (syndrome dit 'de Lazare')".
- La question "douleur et prélèvement d'organes" pointe vers un potentiel divorce entre le principe (la "règle du donneur mort") et la pratique : les équipes soignantes doivent prendre en charge la douleur d'un patient qui n'est plus un patient mais un simple réservoir d'organes. Cette douleur n'est donc pas publique, or il importe de la prendre en charge : le devoir d'accompagnement d'un proche mourant ne saurait être "sacrifié" au Don.
- Un chirurgien très actif dans le domaine de la greffe rénale se félicitait en mai 2009 de lutter très activement contre la pénurie de reins à greffer. Son idée : Au lieu de greffer un seul rein fonctionnel par patient - selon l'usage - il greffe deux reins qui fonctionnent ... assez mal, en espérant que, chez un même patient, deux reins qui ne fonctionnent pas très bien effectueront le même travail qu'un seul rein fonctionnel. Le principe est mécanique : ce chirurgien explique que sur une voiture, deux moteurs qui ne fonctionnent pas très bien peuvent effectuer le travail d'un seul moteur fonctionnant à peu près correctement ...
- Dans son livre paru en avril 2010, "Un type bien ne fait pas ça !", le professeur Axel Kahn, généticien de renom (notre futur ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur)mentionne un sujet d'inquiétude en ce qui concerne le don de rein de son vivant : il explique que les femmes s'y collent bien plus souvent que les hommes, alors que ce sont elles qui sont le plus touchées par les maladies qui attaquent les reins et causent une insuffisance rénale sévère. Les femmes se mettraient donc plus en danger en donnant un rein à un proche que ne le ferait un homme, du moins sur le plan statistique. Le professeur Kahn craint qu'en développant le don de rein de son vivant en France (actuellement, 92 pour cent des reins greffés proviennent de donneurs dits "cadavériques", 8 pour cent de donneurs vivants), l'inégalité homme-femme se trouve encore renforcée ... : " (...) [I]l y a une dizaine d'années, quand les greffes de donneurs vivants ont commencé, des statistiques ont été établies au sujet des greffes de reins entre époux. Et qu'a-t-on vu ? Que les dons de rein d'épouse à époux étaient bien plus fréquents que l'inverse. Alors même qu'une maladie auto-immune, responsable d'insuffisance rénale fatale (la glomérulonéphrite auto-immune, affection qui touche les glomérules du rein), frappait bien plus souvent les femmes que les hommes ... Ce résultat laisse très mal à l'aise. Ne traduit-il pas une autre forme de domination, difficile à avouer ?" [livre cité, p. 249, copyright Nil Editions, Paris 2010]. Le sociologue Christian Baudelot a donné un rein à son épouse Olga et milite pour le don de rein de son vivant. Il est l'auteur d'un livre écrit avec son épouse : "Une promenade de santé". Il se porte comme un charme ...
Je souhaiterais vous inciter à découvrir sur ce blog (ou ailleurs sur le net!) l'histoire de quelques patient(e)s greffé(e)s qui ont suscité tout mon intérêt et toute mon admiration : Aline Feuvrier-Boulanger, greffée du coeur en 2006, Isabelle Dinoire, première patiente ayant bénéficié d'une greffe des tissus composites de la face ("greffe du visage"), Hannah Jones, ado britannique greffée du coeur en été 2009... Comment ne pas mentionner l'histoire bouleversante de cette jeune femme de Vancouver, reine de beauté se destinant au métier d'actrice mais atteinte de mucoviscidose depuis sa plus tendre enfance, transplantée des poumons et décédée deux ans après en avril 2010 ? Eva Markvoort a tenu une chronique de sa vie et de sa maladie sur son blog unique en son genre, ayant fédéré des dizaines de milliers de fidèles dans le monde entier. Lors des J.O. de Vancouver en hiver 2009-2010, elle a été interviewée par des journalistes. Les reportages montrant Eva, dans la foulée des exploits sportifs réalisés lors de ces J.O., ont été diffusés sur des chaînes publiques (à très large audience) dans de nombreux pays. Eva est une star en Pologne, pays très catholique ! Lorsqu'elle était trop mal pour écrire, elle postait des photos prises sur le vif (de la douleur, des nausées, du désespoir, des moments de tendresse partagés avec ses proches, etc.) Ses parents, respectant ses dernières volontés, assurent la mise à jour de ce blog qui rassemble une communauté de malades, d'amis, de médecins du monde entier ... Qui a dit que la mort ne faisait plus partie de la vie ? Eva a laissé d'elle une trace virtuelle mais indélébile, une magnifique et unique sépulture en ligne, entretenue par ses proches avec amour et sur laquelle elle nous invite à venir nous recueillir, nous, les citoyens du monde et du virtuel. Gageons que ce cas encore unique fera école et sera bientôt étudié par des sociologues ...
Merci par avance pour vos témoignages et réactions !
Catherine Coste
cath.coste@laposte.net
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