Dans un contexte de pénurie d’organes à greffer – il faudrait réaliser trois fois plus de greffes chaque jour pour faire face à ce problème de pénurie, soit plus de 36 greffes par jour ! – les critères de définition de la mort ont été revus en 2006 afin d’élargir le “pool” des donneurs d’organes. Une situation d’arrêt cardiaque peut désormais faire de chacun de nous de potentiels donneurs, c’est la loi. Ces nouveaux critères de définition de la mort ne font pas l’unanimité, mais à l’heure où la pénurie de “greffons” prend littéralement à la gorge la médecine de remplacement, victime de son succès, bien fort celui qui arrivera à se faire entendre sur les problèmes éthiques flagrants que pose cette nouvelle définition de la mort au service du “don” d’organes. L’éthique est au service des besoins en greffons. Le nouveau protocole de prélèvement “à cœur arrêté”, inscrit dans la loi en France depuis fin 2006, permet de prélever des reins sur des donneurs dits “cadavériques”, soit : “morts par arrêt cardio-respiratoire”. Si on veut introduire un peu de transparence dans l’activité des transplantations d’organes (prélèvements et greffes) – rien n’est moins sûr ! – il convient d’envisager de plus près cette affaire de “prélèvements à cœur arrêté”, un tant soit peu plus complexe et moins morale que ce que l’éthique aurait un peu trop tendance à nous faire croire.
Afin d’illustrer ces propos, je souhaiterais mentionner une conférence sur l’éthique, prévue le 26 mai 2010 :
Ethique scientifique : de la falsificabilité à la falsification
“Tel qu’il est envisagé ici, le mot 'éthique' doit s’entendre dans deux sens :
- le plus traditionnel et le plus profond : la recherche de la vie bonne,
- le plus critique : l’exercice du jugement d’appréciation sur des actes qualifiés de conformes ou de non conformes à la recherche de la vérité.
Il s’agira donc, dans un premier temps, d’inventorier les éléments de fait qui autorisent à évoquer un état de décadence dans l’activité scientifique contemporaine. En effet, si Nietzsche avait pu diagnostiquer cet état dans la philosophie et la culture, à la fin du XIXe siècle, il apparaît que c’est, à présent, au tour de la science de se précipiter dans cette chute. Les signes de la décadence (qui n’ont rien à voir avec le statut incertain de la vérité scientifique) sont la négation de la vie par la dévotion envers l’artefact, la simulation, la modélisation, et le rejet de la clinique humaine et de la singularité, ainsi que la tentation de plus en plus manifeste, chez les experts, de transformer l’épreuve de falsifiabilité en falsification, au risque de compromettre l’honnêteté intellectuelle de la grande majorité des chercheurs et la crédibilité des résultats. Puis, via un questionnement autour de ce qui constitue la spécificité de l’activité scientifique par rapport à d’autres modes d’exploration du Réel, on s’attachera à reconnaître les causes et facteurs déclenchant d’une telle déchéance. Sur la durée de l’exposé, l’objectif ne sera évidemment pas de fournir des réponses définitives à des questions aussi fondamentales, mais à tout le moins de formuler des hypothèses et esquisser des pistes de réflexion susceptibles d’alimenter une discussion avec le public ; à plus long terme, il s’agira également d’inspirer la mise en place d’un atelier de travail interdisciplinaire rassemblant ceux qui pensent que, sauf catastrophe déjà trop prévisible, l’activité scientifique du futur ne peut plus faire l’économie d’une refondation éthique radicale."
Merci au Dr. Marc Girard pour cette information transmise ce matin.
Que signifie le consentement éclairé au don de ses organes sans information ? En France, à part quelques spécialistes en éthique qui travaillent ... pour leurs collègues, peu de gens ont envie de se poser la question, qui n'est d'ailleurs jamais d'actualité, dans aucun journal. Saluons au passage l'initiative du Centre d'Ethique Clinique de Cochin (CEC) qui a sorti au printemps 2010 un livre d'éthique pour le grand public, et celle de l'auteur principal de la loi sur les droits des malades en fin de vie, le Dr. Jean Leonetti, qui a publié en janvier 2010 chez Plon un livre de bioéthique à l'intention du grand public. D'après mon enquête chez Plon lors du salon du livre en mars 2010, ce dernier livre n'a pas encore rencontré le succès mérité auprès du grand public. “Le Bazar bioéthique” du Dr. Véronique Fournier (CEC) mériterait aussi de toute urgence une audience plus large. Autant de challenges pour l’auteur du blog “éthique et transplantation d’organes” : une éthique de terrain accessible au grand public ? Voilà qui n’est guère à l’ordre du jour à la veille de la révision des lois bioéthiques de 2004 ... L’éthique de Principe, celle des institutions, ne se pose pas la question tabou : la médecine de remplacement est-elle une médecine comme une autre ? Les réponses à la pénurie de "greffons" doivent-elles passer par la seule transplantation, ou doit-on de toute urgence mettre en place des appareils pour assister le cœur défaillant, utiliser des cellules souches pour réparer le foie, faire plus de prévention en ce qui concerne l'insuffisance rénale, trouver des solutions pour que la dialyse à domicile puisse se généraliser, alors que les conditions à l'heure actuelle ne sont pas réunies pour rendre la dialyse plus supportable, moins invalidante et moins douloureuse sur la durée ? Les deux tiers des quelque 15.000 patients en attente de greffe en France attendent un rein, en supportant une dialyse invalidante en attendant ... une greffe ? La durée moyenne de vie d'un greffon rénal, c'est 9 à 10 ans, parfois moins. De combien de greffes rénales un patient en insuffisance rénale terminale aura-t-il besoin au cours de sa vie ? L’éthique de terrain se nourrit de ces questions.
Et si la France n’était pas faite pour la liberté de presse ?
La France aurait “retenu du siècle des Lumières, plus encore que l’héritage de liberté individuelle, celui du sens de la collectivité. Du coup, la liberté de la presse en France est très encadrée”. (Source) La presse serait donc au service de l’éthique des institutions, perdant de vue l’éthique de terrain. Petite illustration de mon propos : j’ai soumis il y a trois semaines un article sur les prélèvements “à cœur arrêté” revu au préalable par un chirurgien professeur et membre de l’Académie Nationale de Médecine à Marianne, au Parisien, ainsi qu’à d’autres journaux. Silence radio. Mon article sera peut-être publié en août. Au creux de la vague médiatique, on trouvera peut-être un créneau pour écouter ce qu’un professeur de médecine a à dire.
Sans attendre août 2010, voici ce que l’éthique de terrain a le devoir de vous dire sur les prélèvements “à cœur arrêté” :
A titre expérimental, l'Agence de la biomédecine autorisait fin 2006, dans une dizaine de centres de transplantation, le prélèvement d'organes “à cœur arrêté”. Cette technique consiste à prélever des organes sur des personnes en état d'arrêt cardiaque. A présent, cette activité de prélèvement “à cœur arrêté” se généralise, dans un climat d’ignorance et d’indifférence.
==> Prélèvements “à cœur arrêté” : le consentement éclairé des usagers de la santé
2 commentaires:
Il faudra sans doute soumettre une dizaine d'articles sur le sujet des prélèvements "à coeur arrêté" pour en voir un publié par un journal comme Marianne ou Le Parisien.
La conférence du Dr. Marc Girard avait pour titre : "De la falsifiabilité à la falsification" :
http://www.rolandsimion.org/spip.php?article131
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