"Deux articles - les articles 4 et 5 - concernent précisément le cas du malade qui n'est pas en fin de vie. S'il est conscient, il pourra demander la limitation ou l'interruption de tout traitement. S'il est hors d'état d'exprimer sa volonté, ces traitements pourront être limités ou interrompus après consultation des consignes qu'il aurait pu laisser, de la personne de confiance qu'il aurait pu désigner et de son entourage - famille ou proches -, dans le respect d'une procédure collégiale.
Le texte recherche un équilibre entre les droits du malade et la responsabilité du médecin en prévoyant l'information la plus complète du malade, directement s'il est conscient ou indirectement s'il ne l'est plus. Ce souci se retrouve pour la prescription des médicaments à 'double effet' - la morphine, notamment - qui, en même temps qu'ils adoucissent les souffrances, peuvent aussi abréger la vie ; on le retrouve également dans le cas où le malade, conscient, refuse un traitement et met ainsi ses jours en danger, afin qu'il prenne sa décision en parfaite connaissance de cause ; on le retrouve enfin lorsque le malade est précisément en fin de vie et qu'il demande l'interruption des traitements pour maîtriser ses derniers instants.
La proposition de loi recentre, par ailleurs, la responsabilité du médecin : le choix du traitement approprié, avec le consentement de son malade, celui de l'interrompre parfois, dans le respect des procédures prévues dans le texte et celui d'accompagner son patient dans ses derniers instants, grâce aux soins palliatifs appropriés à son état.
A ce texte a été adjoint un volet spécifique destiné à confirmer l'importance qu'il convient d'accorder aux soins palliatifs. La proposition de loi envisage non pas tant la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements que la participation à cette démarche des différents services susceptibles d'accueillir des patients en fin de vie." (source)
A l'heure des débats sur la fin de vie (pressions en France pour légiférer sur le suicide assisté), la loi Léonetti insiste sur l'importance des soins palliatifs. On peut rappeler le manque criant d'unités de soins palliatifs en France. Si ces unités étaient davantage développées, les pressions exercées pour légiférer sur le suicide assisté seraient-elles aussi fortes ? Sur l'ensemble des malades qui revendiquent un droit de mourir "dans la dignité", peu passent finalement à l'acte en ayant effectivement recours au "suicide assisté", tandis que de plus en plus de malades en fin de vie (très âgés ou non) agonisent et meurent à l'hôpital : il est devenu difficile (impossible ?) de mourir ou d'agoniser chez soi. C'est donc à l'hôpital que le malade en fin de vie pourra demander "l'interruption des traitements pour maîtriser ses derniers instants."
La loi Léonetti entérinerait donc le droit à une "mort douce" - l'autre acception du terme d'"euthanasie" étant : faire mourir quelqu'un. Rappelons que la loi Léonetti ne concerne pas les donneurs d'organes, considérés comme morts au moment du prélèvement d'organes. D'autre part, le prélèvement d'organes ne saurait constituer une "mort douce" pour un patient en fin de vie !
Examinons à présent l'autre acception du terme d'euthanasie. "Faire mourir quelqu'un". Cette acception peut-elle s'appliquer au donneur d'organes dit décédé ?
"Faire mourir quelqu'un".
Un patient en état de mort encéphalique est un patient à coeur battant. Pourtant, pour ce patient, l'acte de décès a déjà été signé, dans le but, justement, de permettre le prélèvement de ses organes. L'acte ou constat de décès, dans ce cas, entérine l'irréversibilité de l'état du patient en état de mort encéphalique. Légalement, l'irréversibilité de l'état équivaut donc au constat de décès. Il en va de même pour un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant", puisque l'irréversibilité de cet état (suite à un arrêt cardiaque et échec de la réanimation cardio-pulmonaire dite RCP) est également entérinée par un constat de décès. Cet acte ou constat de décès permettra aux équipes de réanimation d'exercer sur ce patient des manoeuvres techniques invasives, dans le seul but de conserver les organes du défunt en vue de leur prélèvement. Là encore, légalement, l'irréversibilité de l'état équivaut au constat de décès. Pourtant, dans le cas d'un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant", la mort du cerveau n'est pas vérifiée avant la signature de l'acte de décès. Pourquoi la preuve de la mort du cerveau n'est-elle pas requise avant la signature de l'acte de décès d'un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant" ? La loi de bioéthique de 1996, révisée en 2004, définit pourtant la mort comme la mort cérébrale. Il s'agit là de la définition légale de la mort. Or le prélèvement des organes (reins essentiellement) d'un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant" doit intervenir rapidement, ce qui ne laisse pas suffisamment de temps pour effectuer les EEC (électro-encéphalogrammes) : il faudrait plusieurs heures pour cela. Pour signer l'acte de décès d'un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant", il "suffit" donc d'avoir constaté l'échec des tentatives de réanimation cardio-pulmonaire (RCP), cet échec justifiant la signature de l'acte de décès. Après signature de cet acte de décès, les équipes de réanimation entreprennent une autre réanimation sur le corps du défunt, cette fois-ci dans le but de conserver les organes à des fins de transplantation, et non plus dans le but de sauver le patient. Cette autre réanimation est bien entendu invasive, mais elle n'est plus dans l'intérêt du patient.
Un patient dont l'état est irréversible peut donc soit être déclaré mort, en vue du prélèvement d'organes encore viables, soit "bénéficier" des droits du patient en fin de vie (loi Léonetti) et demander "l'interruption des traitements pour maîtriser ses derniers instants."
Selon qu'il y ait la possibilité médicale d'un prélèvement d'organes ou non (la mort encéphalique suite à accident, l'AVC ou accident vasculaire cérébral, l'arrêt cardiaque sont autant de situations ou états permettant le prélèvement d'organes), le patient dont l'état est irréversible pourra avoir recours ou pas à la loi sur la fin de vie (loi Léonetti de 2005). Si ses organes sont viables, il ne pourra pas y avoir recours. Il sera considéré comme défunt du fait du constat médical de l'irréversibilité de son état, et sa famille sera approchée en vue du don des organes du défunt. Si le malade n'est pas dans un état conduisant au prélèvement de ses organes (mort encéphalique suite à accident de la route, AVC, arrêt cardiaque), il pourra avoir recours à la loi Léonetti. Dans un cas, le patient a des droits : celui d'un malade en fin de vie (qu'il soit âgé ou non). Dans un autre cas, il y a un patient dont l'état est irréversible et peut le conduire au prélèvement d'organes. Ce patient est un simple réservoir d'organes, il n'a plus de droits, en l'occurence, il n'a pas les droits de la personne en fin de vie. Il est exclu de la loi Léonetti, parce que l'irréversibilité de son état équivaut à un constat de décès. On ne peut plus rien pour lui, donc on dit qu'il est mort. Aux USA, il existe des patients pour lesquels on dit qu'on ne peut plus rien pour eux, qu'ils sont mourants, mais pour lesquels le prélèvement d'organes est envisagé, étant donné qu'on ne peut plus rien pour eux. En France, ce discours n'est pas toléré par l'Académie de médecine. On doit dire que le patient est mort. Donc exclu de la loi Léonetti.
Peut-on affirmer pour autant, à l'instar de l'Académie de Médecine, qu'en France, contrairement à ce qui se passe aux USA, il n'y a aucune confusion entre une décision d'arrêt des soins et une intention de prélèvement d'organes ? N'y-a-t-il pas confusion entre irréversibilité d'un état et décès en France ? Sans cette confusion, comment recueillir l'acceptation sociétale d'une procédure telle que celle du prélèvement d'organes à partir de donneurs morts ? Un donneur mourant aurait des droits, ceux de la loi Léonetti en l'occurence. Un donneur mort est un réservoir d'organes. La personne est-elle devenue réservoir par solidarité, en voulant faire don de ses organes à sa mort, ou cet état est-il la conséquence d'une vision utilitariste du mourir ? Générosité, ou commerce de pièces détachées (celles du corps humain) ? Est-ce si grave de confondre l'irréversibilité d'un état avec la mort ? Le corps médical a décidé que non. Les institutions médicales et politiques ont décidé que le grand public déciderait que non. Le grand public est-il au courant ? Non.
Intéressons-nous maintenant au volume de l'activité des transplantations :
Entre 2005 et 2006, on constate une explosion du nombre de malades inscrits sur la liste des patients en attente de greffe :
"En 2006, 12.411 personnes ont eu besoin d’une greffe d’organe. Pour cette même année, 4.426 greffes ont été effectuées (augmentation de l'activité des greffes de 4 pour cent par rapport à 2005)." Le nombre de patients restant inscrits en liste d’attente au 31 décembre 2005 était de 6.978, auxquels se sont ajoutés 5.433 patients nouvellement inscrits sur la liste nationale d’attente au cours de l’année. Ce qui fait un total de 12.411 personnes en attente de greffe pour 2006. Le problème, c'est qu'au nombre de patients qui ne sortent pas de la liste nationale d'attente (n'ayant pas pu être greffés, ou en attente d'un nouveau greffon, rein par ex., car la greffe n'a pas fonctionné pour eux) s'ajoute chaque année un certain nombre de nouveaux patients en attente de greffe. (source)
En 2006, ces 5.433 patients nouvellement inscrits se sont transformés en 6.993 patients, et en 7.276 patients en 2007. Le problème de pénurie est donc bien réel. Il faut trouver un maximum de donneurs. L'allongement de la durée de vie augmente le besoin de greffons : reins, mais aussi veines et artères, notamment pour les patients âgés diabétiques, qui sont et seront de plus en plus nombreux. Les patients en attente de greffe, ce ne sont pas (ou plus) uniquement des enfants en bas-âge ou de jeunes adolescents, ou de jeunes mères de famille.
L'allongement de la durée de vie, conjugué aux progrès de la médecine des transplantations, entraîne une augmentation significative de l'âge moyen des donneurs : en 1996, l'âge moyen des donneurs était de 37,5 ans. En 2006, il était de 49,7 ans (source). On peut prélever les organes d'un enfant de moins de 10 ans, mais aussi ceux d'une personne de plus de 60 ans - jusqu'à 70 ans (le foie notamment). Le don d'organes ne concerne plus uniquement les jeunes ayant un accident de moto ou de mobylette sur la route, comme on aurait tendance à le penser. Une personne de 60 ou 70 ans victime d'un AVC (accident vasculaire cérébral) est "candidate" au don d'organes. Les AVC sont plus fréquents que les accidents de la route. L'arrêt cardiaque aussi. Une personne de 40 ou 50 ans faisant un arrêt cardiaque, et sur laquelle les tentatives de réanimation cardio-pulmonaire (RCP) ont échoué, est un potentiel donneur d'organes. Les coordinateurs des équipes de transplantations d'organes sont désormais très nombreux. Leur travail consiste à repérer les candidats au don d'organes sur l'ensemble du territoire français et à former et à sensibiliser les équipes de réanimation à l'activité des transplantation d'organes. En effet, les réanimateurs peuvent être amenés à signer un constat de décès pour un potentiel donneur se retrouvant en état de "mort encéphalique" suite à un AVC ou à un accident de la route, ou pour un potentiel donneur en "arrêt cardio-respiratoire persistant" (arrêt cardiaque, échec des manoeuvres de réanimation).
Se dirige-t-on vers un utilitarisme de la mort, du mourir ? Est-il acceptable qu'à des fins utilitaristes et généreuses (aider autrui), les patients en fin de vie puissent ou non avoir recours aux droits des patients en fin de vie ? Que signifie "maîtriser ses derniers instants ?" Est-ce que cela signifie : renoncer à ses droits de patient en fin de vie afin d'aider autrui (des patients pourront bénéficier d'une greffe) ? Est-ce que cela signifie : avoir le droit de choisir une mort la plus douce possible ? Pourquoi l'anesthésie du donneur d'organes est-elle un thème tabou ? Quel mort pourrait avoir besoin d'une anesthésie ?
Si nous avons désormais notre mot à dire sur notre fin de vie, si nous voulons que le corps médical nous aide à "maîtriser nos derniers instants", cela ne passe-t-il pas par une réflexion sur les droits des patients en fin de vie, sur les droits de TOUS les patients en fin de vie, y compris ceux dont l'état irréversible fait office d'acte de décès, à savoir : les donneurs d'organes "défunts", que l'on réanime peut-être "à leur corps défendant" ? Si ces patients subissent des traitements (on ne peut parler de "soins") invasifs qui ne sont plus dans leur intérêt (et que la loi Léonetti interdirait d'ailleurs : pas d'acharnement thérapeutique !) mais dans l'intérêt des patients en attente de greffe, quelle maîtrise ont-ils de leurs derniers instants ? Quelle volonté ont-ils pu exprimer ? Quelle information ont-ils reçue, avant de donner leur "consentement éclairé", ce fameux consentement "éclairé" inscrit dans la loi ? Va-t-on faire disparaître le "consentement éclairé" par un tour de passe-passe visant à faire équivaloir l'irréversibilité d'un état et le décès ? Ce tour de passe-passe ne nous fera pas oublier que toute massification de l'activité des transplantations nous mène à une vision utilitariste du mourir, de la mort. Cette vision est sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Aux Etats-Unis, des patients portent un bracelet, ou ont sur eux un document où figure la mention : "DNR" : "do not resuscitate": "Ne pas réanimer". De tels patients expriment leur volonté de ne pas mourir assistés par des machines en réanimation (peur de la "technicisation de l'agonie" ?). Ils expriment aussi leur refus d'être réanimés à des seules fins de prélèvements d'organes (notamment pour les prélèvements "à coeur arrêté", à partir d'un donneur en "arrêt cardio-respiratoire persistant"). Les prélèvements "à coeur arrêté" ont repris en France en 2006, tandis qu'aux USA ils se pratiquent depuis des décennies. A-t-on importé le "DNR" de ces Américains qui ne veulent pas être réanimés, en même temps qu'on a importé la pratique américaine des prélèvements "à coeur arrêté" ? Encore faudrait-il que les usagers de la santé soient informés sur la pratique des prélèvements "à coeur arrêté". Cette pratique ne fait pas consensus dans le milieu médical pour le moment, justement parce que la mort encéphalique des donneurs en "arrêt cardio-respiratoire persistant" ne peut pas être vérifiée au préalable du prélèvement de leurs organes. Alors de là à informer le grand public... Des groupes d'experts médicaux étudient actuellement les problèmes d'éthique relatifs aux prélèvements "à coeur arrêté" et élaborent le discours public visant à informer l'usager de la santé (lire).
En écho aux réflexions sur le constat de décès sur le plan de l'éthique dans le cadre des transplantations, un médecin généraliste suisse s'inquiète : Qui est responsable de la constatation du décès ? Y aura-t-il deux réglementations juridiques, concernant le décès, à savoir "la mort normale", et la "mort liée à une transplantation" ? Les médecins généralistes seront-ils écartés du constat de décès ?
"A l'avenir, devrais-je réanimer le vieux grand-père sur son banc de manière préventive et envoyer le chasseur en état d'hypothermie en ambulance au centre hospitalier jusqu'à ce qu'on ait établi si des organes peuvent être prélevés sur leurs corps ? Dois-je 'maintenir en vie' la jeune femme atteinte d'un cancer et détentrice inattendue d'une carte de donneur, en la réanimant jusqu'au prélèvement éventuel d'organes ?
Mes considérations peuvent sembler tirées par les cheveux, mais elles ne le seront pas aussi longtemps que le domaine d'application de la loi sur la transplantation n'est pas réglé dans une loi en fonction de la personne. Si on limite le domaine d'application (...), nous [le médecin de famille] (...) aurons effectivement deux réglementations juridiques concernant le décès, à savoir : la 'mort normale' et la 'mort liée à une transplantation'. Si la loi sur la transplantation devait, à l'avenir, être applicable de manière générale (...), alors le médecin de famille ne serait plus d'aucune utilité dans le diagnostic du décès. Le voulons-nous ?" (source).
Vers un utilitarisme du mourir ? Le voulons-nous ?