Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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Droits de fin de vie : tous égaux ?

La loi Léonetti de 2005, dite LOI RELATIVE AUX DROITS DES MALADES ET À LA FIN DE VIE, (Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 parue au JO n° 95 du 23 avril 2005, rectificatif paru au JO n° 116 du 20 mai 2005), a apporté plusieurs modifications au droit des malades : "D'abord, pour tous les malades, y compris ceux qui ne sont pas en fin de vie, la proposition de loi affirme pour la première fois l'interdiction de l'obstination déraisonnable. L'objectif est d'autoriser la suspension d'un traitement ou de ne pas l'entreprendre, si ses résultats escomptés sont inopportuns, c'est-à-dire inutiles, disproportionnés ou se limitant à permettre la survie artificielle du malade." (source)

"Deux articles - les articles 4 et 5 - concernent précisément le cas du malade qui n'est pas en fin de vie. S'il est conscient, il pourra demander la limitation ou l'interruption de tout traitement. S'il est hors d'état d'exprimer sa volonté, ces traitements pourront être limités ou interrompus après consultation des consignes qu'il aurait pu laisser, de la personne de confiance qu'il aurait pu désigner et de son entourage - famille ou proches -, dans le respect d'une procédure collégiale.

Le texte recherche un équilibre entre les droits du malade et la responsabilité du médecin en prévoyant l'information la plus complète du malade, directement s'il est conscient ou indirectement s'il ne l'est plus. Ce souci se retrouve pour la prescription des médicaments à 'double effet' - la morphine, notamment - qui, en même temps qu'ils adoucissent les souffrances, peuvent aussi abréger la vie ; on le retrouve également dans le cas où le malade, conscient, refuse un traitement et met ainsi ses jours en danger, afin qu'il prenne sa décision en parfaite connaissance de cause ; on le retrouve enfin lorsque le malade est précisément en fin de vie et qu'il demande l'interruption des traitements pour maîtriser ses derniers instants.

La proposition de loi recentre, par ailleurs, la responsabilité du médecin : le choix du traitement approprié, avec le consentement de son malade, celui de l'interrompre parfois, dans le respect des procédures prévues dans le texte et celui d'accompagner son patient dans ses derniers instants, grâce aux soins palliatifs appropriés à son état.

A ce texte a été adjoint un volet spécifique destiné à confirmer l'importance qu'il convient d'accorder aux soins palliatifs. La proposition de loi envisage non pas tant la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements que la participation à cette démarche des différents services susceptibles d'accueillir des patients en fin de vie." (source)

A l'heure des débats sur la fin de vie (pressions en France pour légiférer sur le suicide assisté), la loi Léonetti insiste sur l'importance des soins palliatifs. On peut rappeler le manque criant d'unités de soins palliatifs en France. Si ces unités étaient davantage développées, les pressions exercées pour légiférer sur le suicide assisté seraient-elles aussi fortes ? Sur l'ensemble des malades qui revendiquent un droit de mourir "dans la dignité", peu passent finalement à l'acte en ayant effectivement recours au "suicide assisté", tandis que de plus en plus de malades en fin de vie (très âgés ou non) agonisent et meurent à l'hôpital : il est devenu difficile (impossible ?) de mourir ou d'agoniser chez soi. C'est donc à l'hôpital que le malade en fin de vie pourra demander "l'interruption des traitements pour maîtriser ses derniers instants."

La loi Léonetti entérinerait donc le droit à une "mort douce" - l'autre acception du terme d'"euthanasie" étant : faire mourir quelqu'un. Rappelons que la loi Léonetti ne concerne pas les donneurs d'organes, considérés comme morts au moment du prélèvement d'organes. D'autre part, le prélèvement d'organes ne saurait constituer une "mort douce" pour un patient en fin de vie !

Examinons à présent l'autre acception du terme d'euthanasie. "Faire mourir quelqu'un". Cette acception peut-elle s'appliquer au donneur d'organes dit décédé ?

"Faire mourir quelqu'un".

Un patient en état de mort encéphalique est un patient à coeur battant. Pourtant, pour ce patient, l'acte de décès a déjà été signé, dans le but, justement, de permettre le prélèvement de ses organes. L'acte ou constat de décès, dans ce cas, entérine l'irréversibilité de l'état du patient en état de mort encéphalique. Légalement, l'irréversibilité de l'état équivaut donc au constat de décès. Il en va de même pour un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant", puisque l'irréversibilité de cet état (suite à un arrêt cardiaque et échec de la réanimation cardio-pulmonaire dite RCP) est également entérinée par un constat de décès. Cet acte ou constat de décès permettra aux équipes de réanimation d'exercer sur ce patient des manoeuvres techniques invasives, dans le seul but de conserver les organes du défunt en vue de leur prélèvement. Là encore, légalement, l'irréversibilité de l'état équivaut au constat de décès. Pourtant, dans le cas d'un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant", la mort du cerveau n'est pas vérifiée avant la signature de l'acte de décès. Pourquoi la preuve de la mort du cerveau n'est-elle pas requise avant la signature de l'acte de décès d'un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant" ? La loi de bioéthique de 1996, révisée en 2004, définit pourtant la mort comme la mort cérébrale. Il s'agit là de la définition légale de la mort. Or le prélèvement des organes (reins essentiellement) d'un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant" doit intervenir rapidement, ce qui ne laisse pas suffisamment de temps pour effectuer les EEC (électro-encéphalogrammes) : il faudrait plusieurs heures pour cela. Pour signer l'acte de décès d'un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant", il "suffit" donc d'avoir constaté l'échec des tentatives de réanimation cardio-pulmonaire (RCP), cet échec justifiant la signature de l'acte de décès. Après signature de cet acte de décès, les équipes de réanimation entreprennent une autre réanimation sur le corps du défunt, cette fois-ci dans le but de conserver les organes à des fins de transplantation, et non plus dans le but de sauver le patient. Cette autre réanimation est bien entendu invasive, mais elle n'est plus dans l'intérêt du patient.

Un patient dont l'état est irréversible peut donc soit être déclaré mort, en vue du prélèvement d'organes encore viables, soit "bénéficier" des droits du patient en fin de vie (loi Léonetti) et demander "l'interruption des traitements pour maîtriser ses derniers instants."

Selon qu'il y ait la possibilité médicale d'un prélèvement d'organes ou non (la mort encéphalique suite à accident, l'AVC ou accident vasculaire cérébral, l'arrêt cardiaque sont autant de situations ou états permettant le prélèvement d'organes), le patient dont l'état est irréversible pourra avoir recours ou pas à la loi sur la fin de vie (loi Léonetti de 2005). Si ses organes sont viables, il ne pourra pas y avoir recours. Il sera considéré comme défunt du fait du constat médical de l'irréversibilité de son état, et sa famille sera approchée en vue du don des organes du défunt. Si le malade n'est pas dans un état conduisant au prélèvement de ses organes (mort encéphalique suite à accident de la route, AVC, arrêt cardiaque), il pourra avoir recours à la loi Léonetti. Dans un cas, le patient a des droits : celui d'un malade en fin de vie (qu'il soit âgé ou non). Dans un autre cas, il y a un patient dont l'état est irréversible et peut le conduire au prélèvement d'organes. Ce patient est un simple réservoir d'organes, il n'a plus de droits, en l'occurence, il n'a pas les droits de la personne en fin de vie. Il est exclu de la loi Léonetti, parce que l'irréversibilité de son état équivaut à un constat de décès. On ne peut plus rien pour lui, donc on dit qu'il est mort. Aux USA, il existe des patients pour lesquels on dit qu'on ne peut plus rien pour eux, qu'ils sont mourants, mais pour lesquels le prélèvement d'organes est envisagé, étant donné qu'on ne peut plus rien pour eux. En France, ce discours n'est pas toléré par l'Académie de médecine. On doit dire que le patient est mort. Donc exclu de la loi Léonetti.

Peut-on affirmer pour autant, à l'instar de l'Académie de Médecine, qu'en France, contrairement à ce qui se passe aux USA, il n'y a aucune confusion entre une décision d'arrêt des soins et une intention de prélèvement d'organes ? N'y-a-t-il pas confusion entre irréversibilité d'un état et décès en France ? Sans cette confusion, comment recueillir l'acceptation sociétale d'une procédure telle que celle du prélèvement d'organes à partir de donneurs morts ? Un donneur mourant aurait des droits, ceux de la loi Léonetti en l'occurence. Un donneur mort est un réservoir d'organes. La personne est-elle devenue réservoir par solidarité, en voulant faire don de ses organes à sa mort, ou cet état est-il la conséquence d'une vision utilitariste du mourir ? Générosité, ou commerce de pièces détachées (celles du corps humain) ? Est-ce si grave de confondre l'irréversibilité d'un état avec la mort ? Le corps médical a décidé que non. Les institutions médicales et politiques ont décidé que le grand public déciderait que non. Le grand public est-il au courant ? Non.

Intéressons-nous maintenant au volume de l'activité des transplantations :
Entre 2005 et 2006, on constate une explosion du nombre de malades inscrits sur la liste des patients en attente de greffe :

"En 2006, 12.411 personnes ont eu besoin d’une greffe d’organe. Pour cette même année, 4.426 greffes ont été effectuées (augmentation de l'activité des greffes de 4 pour cent par rapport à 2005)." Le nombre de patients restant inscrits en liste d’attente au 31 décembre 2005 était de 6.978, auxquels se sont ajoutés 5.433 patients nouvellement inscrits sur la liste nationale d’attente au cours de l’année. Ce qui fait un total de 12.411 personnes en attente de greffe pour 2006. Le problème, c'est qu'au nombre de patients qui ne sortent pas de la liste nationale d'attente (n'ayant pas pu être greffés, ou en attente d'un nouveau greffon, rein par ex., car la greffe n'a pas fonctionné pour eux) s'ajoute chaque année un certain nombre de nouveaux patients en attente de greffe. (source)

En 2006, ces 5.433 patients nouvellement inscrits se sont transformés en 6.993 patients, et en 7.276 patients en 2007. Le problème de pénurie est donc bien réel. Il faut trouver un maximum de donneurs. L'allongement de la durée de vie augmente le besoin de greffons : reins, mais aussi veines et artères, notamment pour les patients âgés diabétiques, qui sont et seront de plus en plus nombreux. Les patients en attente de greffe, ce ne sont pas (ou plus) uniquement des enfants en bas-âge ou de jeunes adolescents, ou de jeunes mères de famille.

L'allongement de la durée de vie, conjugué aux progrès de la médecine des transplantations, entraîne une augmentation significative de l'âge moyen des donneurs : en 1996, l'âge moyen des donneurs était de 37,5 ans. En 2006, il était de 49,7 ans (source). On peut prélever les organes d'un enfant de moins de 10 ans, mais aussi ceux d'une personne de plus de 60 ans - jusqu'à 70 ans (le foie notamment). Le don d'organes ne concerne plus uniquement les jeunes ayant un accident de moto ou de mobylette sur la route, comme on aurait tendance à le penser. Une personne de 60 ou 70 ans victime d'un AVC (accident vasculaire cérébral) est "candidate" au don d'organes. Les AVC sont plus fréquents que les accidents de la route. L'arrêt cardiaque aussi. Une personne de 40 ou 50 ans faisant un arrêt cardiaque, et sur laquelle les tentatives de réanimation cardio-pulmonaire (RCP) ont échoué, est un potentiel donneur d'organes. Les coordinateurs des équipes de transplantations d'organes sont désormais très nombreux. Leur travail consiste à repérer les candidats au don d'organes sur l'ensemble du territoire français et à former et à sensibiliser les équipes de réanimation à l'activité des transplantation d'organes. En effet, les réanimateurs peuvent être amenés à signer un constat de décès pour un potentiel donneur se retrouvant en état de "mort encéphalique" suite à un AVC ou à un accident de la route, ou pour un potentiel donneur en "arrêt cardio-respiratoire persistant" (arrêt cardiaque, échec des manoeuvres de réanimation).

Se dirige-t-on vers un utilitarisme de la mort, du mourir ? Est-il acceptable qu'à des fins utilitaristes et généreuses (aider autrui), les patients en fin de vie puissent ou non avoir recours aux droits des patients en fin de vie ? Que signifie "maîtriser ses derniers instants ?" Est-ce que cela signifie : renoncer à ses droits de patient en fin de vie afin d'aider autrui (des patients pourront bénéficier d'une greffe) ? Est-ce que cela signifie : avoir le droit de choisir une mort la plus douce possible ? Pourquoi l'anesthésie du donneur d'organes est-elle un thème tabou ? Quel mort pourrait avoir besoin d'une anesthésie ?

Si nous avons désormais notre mot à dire sur notre fin de vie, si nous voulons que le corps médical nous aide à "maîtriser nos derniers instants", cela ne passe-t-il pas par une réflexion sur les droits des patients en fin de vie, sur les droits de TOUS les patients en fin de vie, y compris ceux dont l'état irréversible fait office d'acte de décès, à savoir : les donneurs d'organes "défunts", que l'on réanime peut-être "à leur corps défendant" ? Si ces patients subissent des traitements (on ne peut parler de "soins") invasifs qui ne sont plus dans leur intérêt (et que la loi Léonetti interdirait d'ailleurs : pas d'acharnement thérapeutique !) mais dans l'intérêt des patients en attente de greffe, quelle maîtrise ont-ils de leurs derniers instants ? Quelle volonté ont-ils pu exprimer ? Quelle information ont-ils reçue, avant de donner leur "consentement éclairé", ce fameux consentement "éclairé" inscrit dans la loi ? Va-t-on faire disparaître le "consentement éclairé" par un tour de passe-passe visant à faire équivaloir l'irréversibilité d'un état et le décès ? Ce tour de passe-passe ne nous fera pas oublier que toute massification de l'activité des transplantations nous mène à une vision utilitariste du mourir, de la mort. Cette vision est sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Aux Etats-Unis, des patients portent un bracelet, ou ont sur eux un document où figure la mention : "DNR" : "do not resuscitate": "Ne pas réanimer". De tels patients expriment leur volonté de ne pas mourir assistés par des machines en réanimation (peur de la "technicisation de l'agonie" ?). Ils expriment aussi leur refus d'être réanimés à des seules fins de prélèvements d'organes (notamment pour les prélèvements "à coeur arrêté", à partir d'un donneur en "arrêt cardio-respiratoire persistant"). Les prélèvements "à coeur arrêté" ont repris en France en 2006, tandis qu'aux USA ils se pratiquent depuis des décennies. A-t-on importé le "DNR" de ces Américains qui ne veulent pas être réanimés, en même temps qu'on a importé la pratique américaine des prélèvements "à coeur arrêté" ? Encore faudrait-il que les usagers de la santé soient informés sur la pratique des prélèvements "à coeur arrêté". Cette pratique ne fait pas consensus dans le milieu médical pour le moment, justement parce que la mort encéphalique des donneurs en "arrêt cardio-respiratoire persistant" ne peut pas être vérifiée au préalable du prélèvement de leurs organes. Alors de là à informer le grand public... Des groupes d'experts médicaux étudient actuellement les problèmes d'éthique relatifs aux prélèvements "à coeur arrêté" et élaborent le discours public visant à informer l'usager de la santé (lire).

En écho aux réflexions sur le constat de décès sur le plan de l'éthique dans le cadre des transplantations, un médecin généraliste suisse s'inquiète : Qui est responsable de la constatation du décès ? Y aura-t-il deux réglementations juridiques, concernant le décès, à savoir "la mort normale", et la "mort liée à une transplantation" ? Les médecins généralistes seront-ils écartés du constat de décès ?
"A l'avenir, devrais-je réanimer le vieux grand-père sur son banc de manière préventive et envoyer le chasseur en état d'hypothermie en ambulance au centre hospitalier jusqu'à ce qu'on ait établi si des organes peuvent être prélevés sur leurs corps ? Dois-je 'maintenir en vie' la jeune femme atteinte d'un cancer et détentrice inattendue d'une carte de donneur, en la réanimant jusqu'au prélèvement éventuel d'organes ?

Mes considérations peuvent sembler tirées par les cheveux, mais elles ne le seront pas aussi longtemps que le domaine d'application de la loi sur la transplantation n'est pas réglé dans une loi en fonction de la personne. Si on limite le domaine d'application (...), nous [le médecin de famille] (...) aurons effectivement deux réglementations juridiques concernant le décès, à savoir : la 'mort normale' et la 'mort liée à une transplantation'. Si la loi sur la transplantation devait, à l'avenir, être applicable de manière générale (...), alors le médecin de famille ne serait plus d'aucune utilité dans le diagnostic du décès. Le voulons-nous ?" (source).

Vers un utilitarisme du mourir ? Le voulons-nous ?

Suisse : constat de décès : les médecins généralistes s'inquiètent

La loi sur la transplantation a été modifiée en Suisse en 2007. Un juriste et un médecin analysent en février 2007 les conséquences de cette modification sur la pratique quotidienne des médecins (de famille). Y aura-t-il deux réglementations juridiques, concernant le décès, à savoir "la mort normale", et la "mort liée à une transplantation" ?
==> Voir l'article : "Qui est responsable de la constatation du décès ?" (lire)

"Enjeux éthiques des prélèvements d'organes et de tissus : vers un utilitarisme de la mort ?"

L'ouvrage collectif "Ethique, médecine et société : Comprendre, réfléchir,
décider
", paru chez Vuibert en novembre 2007, est considéré "comme un traité
à la fois scientifique et philosophique". Il bénéficie de la contribution de 108
auteurs, tous reconnus dans la diversité de leurs champs de compétence.

"Il présente ainsi les références indispensables et permet de comprendre le profond mouvement d'où émerge aujourd'hui une autre conception de l'éthique des pratiques médicales et soignantes, ainsi que de la recherche biomédicale. La pensée et les réalités de la médecine y sont décrites, analysées et interrogées, par ceux qui vivent et assument le quotidien mais également l'exceptionnel du soin. Les domaines de la santé touchent aux aspects les plus sensibles du débat et des choix publics : la préoccupation éthique y apparaît déterminante. Aux visions et perceptions spirituelles de la maladie, de la souffrance et de la pauvreté se sont substituées d'autres figures de la personne malade ou vulnérable. La 'démocratie sanitaire' érige d'autres normes qui modifient la relation de soin. Les avancées biomédicales et l'avènement des techniques du vivant ont radicalement transformé les fonctions humaines et sociales de la médecine. Nos représentations de la vie et de la mort sont bouleversées par des approches qui anéantissent les repères traditionnels. Ce livre est destiné à ceux qui partagent une même curiosité, une même passion de la confrontation d'idées, d'expériences et d'engagements, là même où la personne humaine se révèle dans ses vérités et ses interrogations. Les circonstances modestes, méconnues et parfois négligées du soin sont honorées dans ces pages, au même titre que les situations extrêmes. L'originalité de cette approche pluridisciplinaire est de concilier les bases théoriques avec les analyses concrètes et en situation. Il convenait de présenter et d'argumenter dans la clarté et la transparence les enjeux parfois méconnus d'une concertation désormais urgente : elle concerne chacun d'entre nous." (Source)

Régis Quéré, infirmier, coordinateur de prélèvements d'organes et de tissus, groupe hospitalier Necker-Enfants malades, Département de recherche en éthique, université Paris-Sud 11, Réseau de recherche en éthique médicale, INSERM, a écrit un article publié dans cet ouvrage. Je remercie vivement M. Quéré pour son autorisation à reproduire son article ici, et pour l'entretien qu'il m'a accordé mercredi 26 mars 2008, à l'hôpital Necker-Enfants malades.

==> "Enjeux éthiques des prélèvements d'organes et de tissus : vers un utilitarisme de la mort ?", Régis Quéré, 11/2007 : lire (fichier TIF, 824 Ko)

Prélèvements d'organes sur donneurs "décédés" : le débat éthique dépasse le clivage science-religion

M. Régis Quéré, infirmier, coordinateur de prélèvements d'organes et de tissus, groupe hospitalier Necker-Enfants malades, Département de recherche en éthique, université Paris-Sud 11, est l'auteur d'un article intitulé : "Enjeux éthiques des prélèvements d'organes et de tissus : vers un utilitarisme de la mort ?" (11/2007). Je remercie vivement M. Quéré pour l'entretien qu'il m'a accordé le 26/03/2008, à l'hôpital Necker-Enfants malades.
Les coordinateurs des équipes de transplantation sont trop peu présents dans le discours public sur les greffes. Qui sont-ils ? Quelle est leur mission ? Ils sont chargés de repérer des donneurs potentiels, que ces donneurs se trouvent en état de mort encéphalique ou en état d'arrêt cardio-respiratoire persistant. La mort encéphalique est une forme de décès qui constitue actuellement en France 6 pour cent de toutes les formes de décès confondues, contre un pour cent auparavant, alors que les coordinateurs des transplantations étaient beaucoup moins nombreux. Formés à repérer un maximum de donneurs potentiels sur un territoire donné (regroupant plusieurs hôpitaux), les coordinateurs sont impliqués dans le constat de décès de ces patients, même si ce dernier implique aussi l'accord d'un ou de plusieurs médecins ou radiologues indépendants des équipes de transplantation.

Mais aussi et surtout, les coordinateurs constituent la plaque tournante, le maillon indispensable entre le donneur potentiel et les patients candidats à la greffe. Ce sont les coordinateurs qui sont chargés de recueillir le consentement ou le refus des proches quant à un éventuel don d'organes. Il leur incombe d'accompagner les familles confrontées au don d'organes, et ce dès avant le décès des potentiels donneurs, puisqu'ils tiennent les familles/proches informés de l'évolution de l'état du patient en état de mort encéphalique ou en arrêt cardio-respiratoire persistant, à moins qu'il ne s'agisse d'un patient dont on prévoit qu'il va se retrouver dans cet état à court terme. En cas d'accord des proches pour le prélèvement d'organes, les coordinateurs accompagnent le donneur au bloc, munis du certificat de décès. Ils sont les garants du respect de la décision des proches, cette décision étant censée apporter un témoignage sur la volonté du donneur d'organes. Quels sont les organes et tissus (éventuellement veines, valves, artères, cornées, os, peau, membres supérieurs, visage) dont les proches ont permis le prélèvement ? A eux de faire connaître cette décision aux équipes de chirurgiens préleveurs, et de la faire respecter. A eux aussi de coordonner l'intervention des équipes de chirurgiens préleveurs, qui doivent se déplacer pour prélever les organes qui seront ensuite greffés à des receveurs situé dans d'autres hôpitaux. Ce travail relève bien entendu de la prouesse en ce qui concerne l'organisation de la logistique...

Au service de pédiatrie de l'hôpital Necker-Enfants malades, le taux de refus des parents d'enfants potentiels donneurs, approchés dans l'éventualité d'un prélèvement d'organes, se situe autour de 50 pour cent. Le taux de refus national se situe entre 30 et 40 pour cent, ce taux est donc plus élevé en pédiatrie.

Les coordinateurs des transplantations se situent au carrefour des intérêts des uns et des autres : (non-)donneurs et receveurs. Ils sont en quelque sorte les agents de la circulation postés à ce carrefour, afin d'assurer la fluidité du trafic et de prévenir les accidents de la circulation. Entre les chirurgiens préleveurs dont l'intérêt est d'obtenir un maximum de greffons viables dans le but d'aider les très nombreux patients en attente de greffe, et les familles confrontées au deuil de leur proche et à la question du don des organes de ce proche, leur position relève de la prouesse d'équilibre, qu'il faut ajouter à celle de l'organisation logistique.

Intéressons-nous à cette prouesse d'équilibre. Tout d'abord, quelques chiffres : plus de 4.000 greffes sont réalisées chaque année en France, 7.000 personnes ne pourront être transplantées dans l'année, tandis que 400 d'entre elles mourront en attente de greffe. Le terme économique de "pénurie de greffons" renvoie au discours public : "Faute de greffe, X patients meurent chaque année". Le terme de "faute", culpabilisant, vise à camoufler des transgressions pourtant bien réelles dans la pratique des transplantations d'organes (prélèvement et greffe des organes) :
- transgression du principe de l'inviolabilité du corps
- transgression des "valeurs hippocratiques de non-malfaisance" lors du prélèvement sur donneur vivant, ou "lors de la mise en place récente des prélèvements sur personne décédée présentant un arrêt cardiaque persistant, (...) nécessitant des gestes invasifs avant même d'avoir pu s'assurer de la volonté du défunt" (R. Quéré). Les coordinateurs des transplantations sont conscients de ces transgressions, et sont donc réticents à véhiculer le terme de "faute", dont le discours public s'est pourtant emparé. A tout moment, lorsqu'il approche des familles confrontées au don d'organes, le coordinateur des transplantations est confronté à la difficulté de la tâche consistant à faire comprendre aux familles/proches "la réalité de cette mort [la mort encéphalique, l'arrêt cardio-respiratoire persistant", ndlr.]. Sans signe perceptible, il est (...) demandé aux proches de croire en un discours médical, au moment même où la mort de l'être aimé ne peut justement se concevoir" (R. Quéré). Rappelons qu'un mort encéphalique est un mort à coeur battant, dont la peau est chaude. Un patient en état d'arrêt cardio-respiratoire persistant est réanimé uniquement dans le but de conserver des organes tels que les reins ou/et le foie (mais pas le coeur dans cette situation) à des fins de prélèvement. M. Quéré fait également remarquer que les "récents protocoles permettant des prélèvements de la face ou des membres supérieurs ne sont pas exempts d'interrogations. Faut-il admettre ce qui est possible comme permis ? Qu'en est-il alors du souhaitable ?". Le coordinateur des transplantations est confronté en première ligne aux questions d'éthique. S'il se heurte à un refus des proches, à lui de ne pas leur renvoyer une image culpabilisante (le fameux "faute de greffe"...). Pourtant, qui peut garantir que le deuil de ces proches ne sera pas obéré par cette culpabilité ? Le coordinateur se situe au carrefour d'un dilemme, tout comme les familles confrontées au don d'organes. Faut-il accompagner le mourant ? Faut-il aider autrui ? Comment concilier les deux choix ? Sont-ils conciliables ? "Entre une responsabilité légale et morale, le coordinateur de prélèvement se doit donc bien souvent de faire face à des avis contradictoires émanant des différents interlocuteurs, compromettant parfois un éventuel prélèvement. Dans le souci d'une démarche éthique et d'accompagnement du deuil, ce consentement présumé [le consentement présumé est inscrit dans la loi, ndlr.] se voit donc contraint à ses limites. Peut-on concevoir en effet, au risque d'être perçu comme une injustice par les malades en attente, que ne rien dire consisterait forcément à dire oui ?" (R. Quéré). En effet, le consentement présumé repose sur l'adage : "qui ne dit mot consent". Et très peu de gens sont inscrits sur le Registre National des Refus, qui permet de faire connaître sa position contre le don de ses organes, tissus et os à sa mort. A cela s'ajoute la question de l'information. De quelle information l'usager de la santé dispose-t-il ? Son "consentement éclairé" au don de ses organes étant requis, l'importance de l'information est capitale. Or ce "consentement éclairé" supposerait "la connaissance des modalités de prélèvements, seule condition permettant une délibération et une véritable décision selon la conception aristotélicienne. Entre l'idée de 'nul n'est censé ignorer la loi' et une diversité de textes réglementaires faisant de cette activité médicale la plus légiférée, se pose alors la question de sa validité sur le plan moral." (R. Quéré). En effet, quels sont les usagers de la santé informés au sujet de la loi de 2006 sur les prélèvements "à coeur arrêté" ? Pourtant, cette loi permet qu'un état ou une situation d'"arrêt cardio-respiratoire persistant" puissent conduire au prélèvement d'organes. Or qui d'entre nous peut affirmer qu'il ne sera jamais victime d'un arrêt cardiaque ? Cette loi concerne donc l'ensemble des usagers de la santé, et non les seuls coordinateurs et autres acteurs médicaux des transplantations. M. Quéré en arrive à la conclusion suivante :
"Même si les coordinations hospitalières et les associations en faveur du
don d'organes s'efforcent d'informer le grand public sur la nécessité de
transmettre sa position et qu'une journée nationale annuelle de réflexion sur le
sujet fut décrétée, la sensibilisation reste encore bien trop limitée pour
concevoir une application réelle de cette loi en ces termes."

Faisons remarquer qu'une association en faveur du don d'organes n'informe pas : elle est pour le don d'organes, dont elle assure la promotion dans un discours public. Ajoutons que l'institution qui coordonne le discours public sur le don d'organes a pour misson la promotion du don. L'Agence de la biomédecine doit promouvoir le don d'organes, elle est issue d'une décision parlementaire qui a inscrit cette mission de promotion dans ses statuts.

M. Quéré parle de "l'assurance du soin apporté à la restauration tégumentaire et au respect du corps auxquels les coordinations hospitalières sont particulièrement vigilantes (...)" et affirme que "l'éthique appelle (...) à assumer la contradiction et non à la fuir". Où cette contradition se situe-t-elle ? Au niveau de la mutilation et du morcellement corporel post-mortem, ou bien au niveau du constat de décès sur le plan de l'éthique ?

Le premier niveau viserait à marginaliser, voire à stigmatiser la position du refus du don de ses organes à sa mort : refuser le morcellement serait imputable à des positions religieuses, selon lesquelles l'âme et le corps seraient inséparables, même lorsque l'on passe de vie à trépas. Or nous vivons au sein d'une société laïque, et le taux de refus (30 à 40 pour cent sur la France, et 50 pour cent en ce qui concerne la pédiatrie en France) n'est pas assimilable au taux de christianisation de la société. En Espagne, pays bien plus marqué confessionnellement que la France par le catholicisme, le taux de refus est moins élevé. Les parents d'enfants confrontés au don d'organes seraient-ils plus religieux que les proches d'autres donneurs potentiels plus âgés ? Le refus du don d'organes n'équivaut pas à un refus de nature religieuse.

Le second niveau pose la question du constat de décès : "on ne meurt qu'une fois, mais quand ?" (Dr. Guy Freys). Comment déterminer le moment exact de la mort ? Cette question est cruciale lorsqu'il s'agit de prélever des organes viables sur un mort. A quelle mort est-ce que je crois ? A celle qui est survenue avant la mise en oeuvre de tous les moyens modernes de réanimation, permettant la "technicisation de l'agonie" (Dr. Marc Andronikof), ou bien à celle qui survient après l'arrêt de tous les moyens de réanimation, une fois que le mort est devenu un cadavre refroidi (et rigide) ? Un mort à coeur battant est-il un cadavre ? Un mort dont la destruction du cerveau ne peut être vérifiée avant le prélèvement de ses organes est-il un cadavre ? Le terme de cadavre n'est pas ambigu. Un cadavre peut servir à des expériences scientifiques s'il a fait don de son corps à la science avant sa mort. Un mort dont on va prélèver les organes (organes "cadavériques") n'est pas un cadavre sur lequel les étudiants en médecine expérimentent. Il est entouré de soins, afin de conserver ses organes, dans un but thérapeutique (donner des années de vie supplémentaire, de 1 an à 15 ans, voire plus) à des patients en attente de greffe.

Un mort à coeur battant est un patient en état de mort encéphalique. Un mort dont la destruction du cerveau n'a pu être vérifiée avant d'initier le prélèvement de ses organes est un patient en état d'arrêt cardio-respiratoire persistant, ce dernier état permettant le prélèvement d'organes "à coeur arrêté" (reins, foie, mais pas le coeur dans cette situation).

Qu'y a-t-il de religieux dans la question : si on prélève mes organes à ma mort, vais-je souffrir ? A l'heure du débat sur la fin de vie (voir les pressions pour légiférer sur l'euthanasie en France, en complément à la loi Léonetti de 2005, dite loi sur la fin de vie), est-il possible d'avoir une réponse à cette question, autre que : "Le donneur est mort, c'est inscrit dans la loi, il ne reçoit donc pas d'anesthésie" ? Ceci est pourtant la réponse officielle. Or si on n'anesthésie pas un mort à coeur battant ou dont la destruction du cerveau n'est pas prouvée avant que ne débute le prélèvement des organes, où est la garantie de ne pas souffrir ? Confronté à cette question, la réponse de M Quéré a été de dire qu'il ne serait pas possible de prélever les organes d'un mourant. Ce serait inadmissible pour la société.

Qu'est-ce qui est le plus hypocrite ? Dire que le mourant est mort, afin de justifier la pratique des prélèvements, ce qui permet de mettre les refus sur le compte de prétextes religieux, afin de marginaliser et de stigmatiser les personnes s'opposant au don de leurs organes à leur mort (où est passée la charité chrétienne ?). Ou dire que la personne est mourante, on ne peut donc plus rien pour elle, mais on va l'anesthésier au préalable du prélèvement et ses organes pourront aider des patients en attente de greffe à vivre 1 an, 2 ans, 5 ans, 15 ans, voire 17 ou même 30 ans de plus ? Il me semble qu'à l'heure du débat sur la fin de vie, on devrait "sortir des dogmes avec lesquels on jongle pour justifier la pratique des transplantations" (Professeur Bernard Debré)... Est-il justifiable de hâter ou de retarder une fin de vie, afin d'aider des patients en attente de greffe ? Peut-être. Encore faudrait-il pouvoir rassurer les familles confrontées au don d'organes sur le confort de leur mourant. Cette question dépasse largement le cadre religieux, comme le documente l'enquête intitulée "Douleur et prélèvement d'organes" (lire). Dire que le patient est mort car c'est inscrit dans la loi ne répond pas à la question : vais-je souffrir si on me prélève mes organes à ma mort ? Dire que le patient n'est pas anesthésié parce qu'il est mort n'apportera pas non plus de réponse à la question : "douleur et prélèvement d'organes". Il est temps de "sortir des dogmes (...)", surtout face à la relativité du constat de décès en ce qui concerne le donneur d'organes "mort". Rappelons cette vérité première, qui sous-tend l'activité des transplantations et qui motive bien plus les refus qu'on ne veut bien le dire : la seule science médicale est impuissante à définir le début et la fin de la vie. La "pénurie-faute-de-greffons" repose sur un coupable manque de générosité. Ce manque de générosité est perfectible. On voudrait donc nous faire croire qu'il est possible de remédier à la pénurie de greffons. Or le débat sur l'éthique de la fin de vie des donneurs "morts" est le vrai débat, il dépasse le clivage science-religion, dont on voudrait pourtant nous faire croire qu'il s'agit du vrai débat. Ce débat sur l'éthique de la fin de vie des donneurs est un débat pérenne, du moins en l'état actuel des avancées de la science médicale. Il ne permet pas de résoudre le problème de pénurie de greffons. "Il est temps de sortir des dogmes (...)", et d'envisager une solution à la pénurie de greffons qui passera non pas par les transplantations, mais par la médecine régénératrice. S'il est impossible d'augmenter de 80 pour cent le nombre de greffes par an, il faut tout faire pour développer les recherches sur les cellules souches. Les gens ne deviendront pas à 80 pour cent plus généreux, et les problèmes d'éthique ne permettront pas de trouver 80 pour cent de donneurs en plus. Trouver 80 pour cent de donneurs "morts" supplémentaires par an reviendrait à résoudre le problème de pénurie de greffons tout en proclamant l'utilitarisme de la mort comme ultime valeur. Ce n'est pas le but vers lequel tendent les coordinateurs des services de transplantation : "Conscients des problématiques soulevées, confrontés à la douleur des uns et l'espoir des autres, ces professionnels témoignent de valeurs profondes au service de la vie." (R. Quéré).

Professeur Bernard Debré : quels problèmes de bioéthique ?

Le Professeur Bernard Debré, Chef du service d'Urologie de l'hôpital Cochin depuis 1990, a rejoint le 07/03/2008 le Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE). Le 10/03/2008, il réagissait aux questions traitées dans ce weblog d'information.
Catherine Coste : Le Professeur Henri Kreis, chef du service de néphrologie, transplantation rénale à l'hôpital Necker-Enfants Malades (AP-HP, Paris 15ème), propose de repenser le système de l'obtention des organes. Le concept de l'appropriation conditionnelle par la société permettrait, d'après lui, de résoudre la question de pénurie d'organes ou greffons à des fins de transplantation. La société s’approprierait les pièces du corps humain dans le contexte d’un véritable "contrat social", pour le bénéfice de tous ceux qui ont besoin d’(un) organe(s). Au décès de la personne, en l’absence d’un refus explicite, la société déciderait de l’usage des organes. Il s'agirait d’une "appropriation du corps par la société", qui est néanmoins conditionnée par l’acceptation ou le refus de la personne. A première vue, ce concept ressemble à celui du consentement présumé, qui est actuellement inscrit dans la loi en France. Mais il subsiste une différence fondamentale. Le prélèvement d’organes, et par conséquent, la greffe, ne dépendraient plus du don et de la bonne volonté. La nécessité du don des organes avant leur utilisation sera rendue caduque, le consentement des proches ne sera plus requis. Oubliée aussi "la présomption de la volonté d’autrui", "hypocrite et plutôt contraire à l’éthique" selon le Professeur Henri Kreis. Inutile, enfin, de venir bouleverser les proches en leur posant 'la pire des questions au pire moment'. (en savoir plus)

Professeur Bernard Debré : " Je ne suis pas d’accord pour qu’il y ait une appropriation conditionnelle du corps par la société, ce qui nous rapprocherait des doctrines qu’on a connues au début du siècle dernier ou au milieu du siècle dernier."

Catherine Coste : Ce weblog est né du constat suivant : dans un contexte d’ industrialisation des transplantations (prélèvement et greffe), il devient urgent de déverrouiller l’information grand public sur le don d’organes. Or cette urgence est loin d’être à l’ordre du jour. En effet, l’Agence de la biomédecine, issue d’une décision parlementaire, orchestre le discours public sur le don d’organes. En même temps, l’Agence a pour mission de promouvoir l’activité des greffes. Or promouvoir n’est pas informer. Comment garantir le consentement éclairé, pourtant inscrit dans la loi, si à aucun moment l’information grand public ne s’affranchit de la promotion du don d’organes ? J’ai donc engagé depuis 2005 une démarche de médiation éthique entre les politiques, les acteurs du monde médical et les usagers de la santé.

Professeur Bernard Debré : "Le système de l'appropriation conditionnelle du corps par la société supprimerait la nécessité d'informer les usagers de la santé. Je pense au contraire qu’il faut une véritable information des hommes et des femmes de France et d’ailleurs, cette information doit avoir lieu à travers des publications dans la presse, des forums, des émissions de télévision et des blogs."

Catherine Coste : Comme vous le savez, il est prévu de réviser la loi de bioéthique actuellement en vigueur à horizon 2010. Quels devraient être selon vous les nouveaux/ principaux axes à prendre en compte ? Seriez-vous d’accord pour tenir compte de la loi de la réciprocité ("Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse" ; "Mes droits sont tes droits"), que le Professeur Axel Kahn, généticien, directeur de recherche à l'INSERM, directeur de l'institut Cochin et membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), propose d’inscrire à la base de la nouvelle loi de bioéthique ? J’ai posé il y a quelques jours cette question au Professeur Henri Kreis, qui a répondu qu'il ne fallait pas tomber dans une démagogie irresponsable : "On pourrait peut-être aussi proposer 'œil pour œil, dent pour dent' tant que l'on est dans les formules à l'emporte pièce ?" (Professeur Henri Kreis).

Professeur Bernard Debré : "Je ne pense pas que la loi de la réciprocité soit une bonne loi. Elle est très démagogique et je suis d’accord avec le Professeur Henri Kreis qui pourrait dire 'œil pour œil, dent pour dent'. Oublions les aphorismes du Professeur Axel Kahn. En ce qui concerne les principaux axes à prendre en compte, Il est très difficile de répondre aussi rapidement à vos questions."

Catherine Coste : En tant qu’acteur de la santé, quel message souhaiteriez-vous transmettre au grand public afin de l’orienter dans sa réflexion sur les problèmes de bioéthique ? Est-il raisonnable de penser que la médecine régénératrice permettra un jour de supplanter les greffes d’organes ? Faut-il développer les recherches sur les cellules souches issues de l’embryon ? Faut-il encourager le développement des banques de sang de cordon ?

Professeur Bernard Debré : "Il est évidemment très intéressant de penser que la médecine régénératrice autrement dit, pour l’appeler par son nom, le clonage thérapeutique, remplacera les greffes d’organe. Il faut bien entendu encourager la recherche sur les cellules souches que ces cellules soient issues de l’embryon, du sang de cordon ombilical,ou qu’elles soient redevenues des cellules souches, grâce à un certain nombre de manipulations que nous savons faire maintenant. Je ne vois pas pourquoi nous n’encouragerions pas le développement des banques de sang de cordon. Se pose là un problème d’éthique d’ailleurs, c’est de savoir si ce sang de cordon appartient à celui qui l’a déposé, ou si il est mis à la disposition de tout le monde. Nous aurons à en discuter au Comité consultatif national d'éthique (lire)."

Catherine Coste : Quel est l’avenir de la chirurgie robotique (mini invasive) en France, notamment dans le traitement du cancer de la prostate, et dans l’opération de donneurs vivants - don de rein par exemple (lire) ?

Professeur Bernard Debré : "La chirurgie robotique mini-invasive est l’avenir d’un certain nombre d’actes chirurgicaux, elle est malheureusement très en retard en France faute de moyens. Elle est très utile dans le cancer de la prostate. Elle est également très utile dans les prélèvements de reins, c'est-à-dire lorsqu'un donneur vivant est opéré pour donner un rein à un proche (lire)."

Prélèvements "à coeur arrêté" : l'impossible discours public

Les prélèvements "à coeur arrêté" ont repris en France en 2006. Les patients potentiels donneurs sont répertoriés selon les critères de la classification de Maastricht (ces critères sont utilisés en Europe, mais aussi aux USA, au Canada). En France, l'Académie de Médecine a justifié la pratique des prélèvements "à coeur arrêté", en affirmant que cette pratique ne posait pas de problème d'éthique, tant qu'on n'utilisait pas de donneurs potentiels de la catégorie III de Maastricht. Les patients de cette catégorie sont des patients pour lesquels il y a eu décision d'arrêt des soins au préalable d'une intention de prélèvement d'organes. Or si cette catégorie fournit de nombreux donneurs aux USA, il est interdit d'en faire usage en France, où les potentiels donneurs d'organes sont en état d'"arrêt cardio-repiratoire persistant", et où l'intention de prélèvement d'organes intervient uniquement suite à un échec des tentatives de réanimation de ces patients, en aucun cas suite à une décision d'arrêt des soins.

En clair : il ne doit pas y avoir confusion entre décision d'arrêt des soins et intention de prélèvement d'organes. Or, selon l'Académie de Médecine, cette confusion existe pour la catégorie III de Maastricht.

Dès lors, comment l'Académie de Médecine justifie-t-elle la pratique du prélèvement d'organes "à coeur arrêté" en France ? Comment échapper à cette confusion, qui pose des problèmes sur le plan de l'éthique ? Voici l'argumentation de l'Académie de Médecine : le fait d'avoir tout tenté pour réanimer une personne semble indiquer clairement qu'il n'y a pas de confusion possible entre la décision d'arrêt des soins pour un patient en fin de vie et intention de prélèvement d'organes. Tout a été tenté pour réanimer une personne. Suite au constat de l'échec des tentatives de réanimation, et suite au constat de décès, un prélèvement d'organes est envisagé. Les trois étapes sont clairement séparées, il ne peut y avoir confusion ou ambiguité :
1.- échec des tentatives de réanimation (durée de 30 mn environ),
2.- arrêt des tentatives de réanimation, puis constat de décès, à l'issue de 5 mn d'attente (l'attente survient après arrêt des tentatives de réanimation),
3.- intention de prélèvement d'organes.

En France, la décision de ne pas recruter de donneurs d'organes dans la classe III de Maastricht s'appuie donc sur le constat selon lequel la confusion entre une décision d'arrêt des soins et une intention de prélèvement d'organes peut poser des problèmes d'éthique. Or l'expérience française, sur le terrain, montre qu'il est très difficile de distinguer entre un échec des tentatives de réanimation et une décision d'arrêt des soins. (lire). Une même personne est passée du statut de patient à réanimer à celui de donneur potentiel (suite à l'échec des tentatives de réanimation), puis à nouveau de patient à réanimer (lire) !

Et si les patients prélevés en France étaient aussi des patients de la classe III de Maastricht ? Les problèmes d'éthique semblent bien persister pour l'heure, d'autant que l'usager de la santé n'est pas informé, or son consentement éclairé, inscrit dans la loi, est requis au préalable du prélèvement de ses organes. Dans le contexte actuel, où il n'existe aucun discours public sur les prélèvements "à coeur arrêté", le consentement éclairé ne signifie pas grand-chose...

Quelle image le grand public aurait-il des prélèvements "à coeur arrêté" ? Ceux qui ont vu des épisodes de la série américaine "Urgences" ont tous en tête le Dr. Marc Green ou le Dr. John Carter poursuivant un massage cardiaque alors que le tracé à l'écran est plat et qu'on entend une sonnerie aiguë, signalant une activité cardiaque nulle. Au bout de quelques instants, des collègues font doucement remarquer que ces tentatives de réanimation sont inutiles.

Mais que signifient les fameuses 5 mn d'attente, lors du décès d'un patient "en arrêt cardio-respiratoire persistant", candidat au don d'organes ? Tandis que les tentatives de réanimation sont interrompues (au bout d'une demi-heure), le corps médical se croise les bras en attendant que la personne finisse de mourir ? Il existe des donneurs potentiels que l'on décrète morts, alors qu'ils ont "une activité cardiaque résiduelle", un "tracé agonique" (ce dernier pouvant durer des heures, mais le constat de décès se fait à l'issue des 5 mn après arrêt de la réanimation cardio-pulmonaire visant à sauver le patient).

Une personne est en train de se battre, entre la vie et la mort, et le corps médical attend que les 5 mn se passent ?? Cette image n'est pas acceptable. Elle n'est pas supportable. Elle se situe à l'opposé de celle des épisodes d'"Urgences", que beaucoup d'usagers de la santé ont à l'esprit. On est bel et bien dans la confusion entre décision d'arrêt des soins et intention de prélèvement d'organes. Il faut informer les usagers de la santé sur la réalité des faits en ce qui concerne la pratique des "prélèvements à coeur arrêté", afin que chacun puisse se prononcer pour ou contre cette forme de prélèvement d'organes. Ce n'est pas au seul corps médical d'en décider.

Il n'est pas non plus acceptable de se retrancher derrière des notions abstraites pour le grand public, telles que les catégories de Maastricht, ou "l'activité cardiaque résiduelle", "tracé agonique" (source). Ces deux dernières notions signifient que le patient est en train de se battre pour survivre, ou en train de mourir. En tout état de cause, ce patient a des droits, ne serait-ce que ceux du patient en fin de vie (loi Leonetti de 2005), il ne peut être considéré comme un simple réservoir d'organes, placé dans une catégorie, de Maastricht ou d'ailleurs. Est-il acceptable que le corps médical se croise les bras pendant 5 mn face à un patient en fin de vie, dans l'espoir de pouvoir récupérer ses reins afin d'aider d'innombrables patients en dialyse ?

Les transplantations d'organes : de la reproductibilité technique à l'impossible industrialisation.

Le début et la fin de vie échappent à la science médicale. Pour autant, le
clonage thérapeutique et les transplantations d'organes sont des techniques
maîtrisées et appliquées. Certains s'indignent de la manipulation de cellules
souches embryonnaires ; d'autres parlent des problèmes d'éthique posés par les
transplantations d'organes (donneurs morts / donneurs vivants).
Le Professeur Bernard Debré, Chef du service d'Urologie de l'hôpital Cochin depuis 1990, a rejoint le 07/03/2008 le Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE). Le 10/03/2008, il écrivait en réponse à mes questions :

Est-il raisonnable de penser que la médecine régénératrice permettra un jour de supplanter les greffes d’organes ? Faut-il développer les recherches sur les cellules souches issues de l’embryon ? Faut-il encourager le développement des banques de sang de cordon ?
Professeur Bernard Debré :

"Il est évidemment très intéressant de penser que la médecine régénératrice autrement dit pour l’appeler par son nom, le clonage thérapeutique, remplacera les greffes d’organes. Il faut bien entendu encourager la recherche sur les cellules souches qu’elles soient issues de l’embryon, du cordon, ou qu’elles soient redevenues des cellules souches grâce à certain nombre de manipulations que nous savons faire maintenant. Je ne vois pas pourquoi nous n’encouragerions pas le développement des banques de sang de cordon."
Le constat de décès du donneur "mort" pose des questions sur le plan de l'éthique (mort encéphalique, arrêt cardio-respiratoire persistant). Comme l'a souligné un philosophe italien, Alberto Acero, "ces définitions pragmatiques introduisent un écart considérable entre la mort humaine et celle de toute autre être vivant". Ces définitions sont dites pragmatiques, car elles permettent le prélèvement des organes, tissus et os de donneurs dont le constat de décès a ainsi pu être établi.

Le don d'un organe fait par un donneur vivant (lobe de foie, rein) pose également certains problèmes :
"Le chirurgien Jacques Belghiti, spécialiste de la greffe de foie à partir de donneurs vivants, vient d'annoncer qu'il renonçait à cette pratique après la mort d'un donneur. Le 15 mars 2007, un homme de 48 ans est décédé alors qu'il venait de donner un lobe hépatique à son frère. Ce donneur avait un cancer rare qui s'est révélé lors des prélèvements et qui a explosé avec les suites opératoires. Sans l'intervention, la pathologie aurait pu rester silencieuse."
==> article du 15/03/2008 (lire)

Les transplantations, un conflit mortel entre science et religion ? A-t-on ouvert la boîte de Pandore en transplantant des organes ? Ou l'a-t-on ouverte, cette boîte de Pandore, la première fois qu'on a parlé de pénurie d'organes ? Ce terme reflète le point de vue des chirurgiens greffeurs et non celui des chirurgiens préleveurs (ceux qui font ce qu'il est convenu d'appeler le sale boulot : les prélèvements d'organes sur donneurs "morts"). La "pénurie de greffons" vise à culpabiliser l'usager de la santé, et à faire croire que l'industrialisation du don d'organes serait possible. Le droit des patients en attente de greffe deviendrait alors un droit inaliénable et inopposable : le droit à un (des) organes de rechange. Peut-on vraiment (est-ce souhaitable ?) organiser un recyclage du corps humain, que la personne qui consent à donner un organe (des organes) soit morte ou vivante ? Que dire de cette femme croyante qui a refusé une greffe du coeur ? Et de ce père révolté par ce qu'il considère comme le "vol" des yeux de son fils (lire) ? Et de ce patient mort en donnant un lobe de son foie à son frère ? Simples grains de sable voués à être broyés dans les rouages de l'industrialisation du don d'organes ? Qu'a-t-on transgressé en parlant de "pénurie (de don) d'organes" ? Les organes, réifiés, sont devenus des greffons (des pièces de rechange) soumis à la loi de pénurie (contexte de déséquilibre entre la demande et l'offre sur un marché). N'est-ce pas là le "franchissement de la barrière des espèces" dont parlait le Professeur Bernard Debré dans son livre "La Revanche du serpent ou la fin de l'Homo Sapiens" ? (lire)

Est-ce l'organisation du recyclage du corps humain ou la médecine régénératrice qui résoudra les problèmes posés par ce terme transgressif de "pénurie de greffons" ? On voudrait croire que mieux vaut la régénération de ses organes qu'une quelconque circulation des pièces du corps humain sur le marché des organes et tissus de rechange. Qui dit marché dit droit du consommateur... Ne se dirige-t-on pas vers une impossible industrialisation du don d'organes ? Des échos de la libéralisation de ce marché nous parviennent des quatre coins du monde (valves cardiaques vendues comme des médicaments en Allemagne, tourisme médical, bébé mis en vente sur E-bay pour ses organes, reins mis en vente et achetés en ligne, prisonniers abattus pour leurs organes en Chine, etc.). Ces échos suivent la théorie de la pénurie de greffons comme une ombre. Cette théorie a du sang sur les mains.

Le Professeur Christian Cabrol, de l'association ADICARE, disait à propos du don d'organes : "Tout ce qui n'est pas donné est perdu". Ma mort aura perdu toute transcendance. Inutile d'y penser de mon vivant, à ma mort. Je serai un maillon de la chaîne alimentaire. Ma mort viendra simplement boucler la boucle : de consommer à consommé(e). Des résistants porteront des bracelets avec l'inscription "DNR" ("Do Not Ressuscitate" / "ne pas ressusciter"), ou récupéreront clandestinement le sang de cordon, que les cliniques persistent à traiter comme un déchet opératoire (lire)...

Lettre ouverte aux acteurs des transplantations

En tant qu’usager de la santé, j’ai initié en 2005 un weblog d’information sur l’éthique et les transplantations d’organes. En septembre 2007, le Centre d’Ethique Clinique de Cochin (Dr. Nicolas Foureur) a reconnu que je soulevais une "intéressante question d’éthique", en remarquant que l’Agence de la biomédecine, qui a pris en mai 2005 le relais de l'Etablissement Français des Greffes, qui est issue d'une décision parlementaire (Assemblée Nationale et Sénat) et qui orchestre l’information grand public sur le "don" d’organes, a en même temps une mission de promotion du "don" d’organes, cette mission étant inscrite dans ses statuts. Or promouvoir n’est pas informer. A l’heure actuelle, aucune information affranchie de la promotion du don d’organes n’est fournie aux usagers de la santé. Une telle information ne pourrait pas se permettre de faire l’impasse sur la relativité du constat de décès (disparité des critères de définition de la mort et des pratiques d’un pays à l’autre, comme l’explique le docteur Guy Freys, Département de Réanimation chirurgicale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, dans sa présentation de mars 2007 : "On ne meurt qu’une fois, mais quand ?"), et aborderait des questions comme : "si je consens au prélèvement de mes organes à mon décès, vais-je souffrir ?". En 2005, j’ai posé cette question à des acteurs des transplantations. Les réponses que j’ai obtenues ont été si surprenantes que j’ai décidé d’initier un weblog d’information sur le "don" d’organes, ayant pour point de départ la question du constat de décès sur le plan de l’éthique.

Sans information affranchie de la promotion, que signifie le "consentement éclairé" inscrit dans la loi ?

Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, comment ne pas porter préjudice aux familles confrontées au don d’organes : va-t-on fabriquer des deuils "pathologiques" à la chaîne ?

Enfin, comment débattre de l’importance de la transplantation pour la société ? Sans information affranchie de la promotion, il me semble que les usagers de la santé risquent de se retrouver exclus de tous ces questionnements d’éthique, actuellement confinés au sein du corps médical. En effet, quel est l’usager de la santé qui est informé des problèmes posés par les prélèvements "à cœur arrêté", où la frontière entre réanimation/décision d’arrêt de la réanimation, constat de décès et intention de prélèvement d’organes semble si ténue ? Je cite le Professeur Laurent Lantieri, en mars 2007 :

"Le prélèvement à coeur arrêté, c'est un patient qui fait un arrêt cardiaque, que l'on maintient en arrêt cardiaque et que l'on refroidit, dans l'éventualité de faire un prélèvement d'organes. Il y a une difficulté : il y a un conflit avec le fait qu'on pratique un massage cardiaque pour faire repartir le coeur du patient : on se retrouve parfois dans un conflit entre les deux [intention de soin et intention de prélèvement d'organes, ndlr.], et je ne suis pas sûr qu'on ait bien prévenu la population du fait que quand on pratique un massage cardiaque sur une personne au bord de la route et qu'un SAMU arrive, ça peut aussi bien être pour le réanimer que, en cas d'échec de la réanimation, pour prélever les organes. Cela me pose problème, alors que je suis tout à fait pour le prélèvement à coeur arrêté. Mais je pense qu'il faut prévenir la population de cette particularité. Sinon, on risque de se retrouver avec des patients qui porteront des bracelets, comme les Américains. 'Do Not Ressuscitate' : 'je ne veux pas qu'on me réanime'. Cela risque d'être, à mon avis, un vrai problème."

(Source).

Il n’est pas certain qu’une telle pratique remporte une acceptation sociétale telle qu’elle puisse résoudre le problème de pénurie de greffons.

Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, tous les chemins mènent au Don. Or ce "dogme avec lequel on jongle pour justifier les transplantations d’organes" (Professeur Bernard Debré) pourrait bien être un "cul-de-sac" (Professeur Henri Kreis). A y regarder de plus près, ce "cul-de-sac" est à haut risque pour les usagers de la santé (de plus en plus nombreux) confrontés au "don" d’organes, qui doivent témoigner de la volonté d’un défunt pas encore refroidi. En de tels instants, toute la pression, véhiculée par tout un chacun, prônant la générosité / solidarité afin de permettre de "sauver" des patients en attente de greffe, repose sur quelques proches confrontés à un dilemme inhumain : soit ils choisissent d’accompagner au mieux leur mourant, soit ils choisissent d’aider des patients en attente de greffe, quitte à risquer d’abandonner leur mourant au pire moment de sa "vie". Qu’atteint la personne confrontée au choix (pour elle-même ou pour un proche) : le comble de l’héroïsme ou le comble du désarroi ? Elevée dans la laïcité, ma famille m’a pourtant transmis le devoir de l’accompagnement d’un proche mourant – devoir primant sur toute autre considération – et le devoir de générosité.

Est-il possible de réfléchir sans pression idéologique, et d’oser faire remarquer que les deux choix sont incompatibles, sans risquer de se faire censurer, à plus forte raison si on est acteur du monde médical ? Mme Claire Boileau, auteur du livre : "Dans le dédale du don d’organes. Le chemin de l’ethnologue" (Editions des archives contemporaines, 2002), ne répond plus à aucune sollicitation. Son intérêt pour la question se sera sans doute tari.

Le consentement éclairé, un "mariage infernal entre Kant et Sade" (Alain Caillé, Professeur d'économie et de sociologie à l'université de Paris 10) ?

Est-il permis de dénoncer la nocivité du système actuel, reposant sur l’idéologie du Don ? La pression subie par le corps médical pour augmenter le nombre de greffes (et donc de prélèvements) est énorme, et ne peut que se répercuter sur l’usager de la santé. Encore une fois : celui-ci est-il informé du fait qu’une situation d’arrêt cardiaque peut conduire, suite à un échec de la réanimation, à des gestes techniques invasifs sur sa personne, en vue d’un prélèvement d’organes ? Là encore, les disparités dans les pratiques d’un pays à l’autre ne sont guère rassurantes pour l’usager de la santé : catégorie III de Maastricht retenue au Japon, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, aux USA, où cette catégorie représente la possibilité de prélèvement la plus importante ; catégorie III exclue en France, car il y aurait risque de confusion entre la décision d'arrêt des soins et l'intention de prélèvement d'organes, ce qui poserait des problèmes d'éthique.

Le don point d’interrogation, à remplacer par la mort point d’interrogation ?

Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, il devient urgent de déverrouiller d’information grand public sur le "don" d’organes. Or cette urgence est loin d’être à l’ordre du jour. D’où mon initiative de médiation éthique entre les politiques (le Sénat notamment), les acteurs des transplantations et les usagers de la santé, depuis 2005.

Veuillez agréer l’expression de mes salutations courtoises.

Catherine Coste

Don d'organes et religion

Les différentes religions sont en faveur du don d'organes. Pour justifier leur position, elles prônent les valeurs de charité, de solidarité, de don gratuit par amour du prochain. Elles ne posent pas la question du constat de décès sur le plan de l'éthique, dans le cas du donneur mort. Elles reconnaissent le rôle prépondérant joué par la médecine dans la définition de la mort. Néanmoins, récemment (en mai 2007), un prélat orthodoxe a exprimé publiquement son questionnement sur la définition du cadavre.


"Dans un texte publié sur le site Internet du diocèse de Batchka de l’Eglise orthodoxe serbe, Mgr Irénée (Bulovic), l’un des plus éminents théologiens serbes aborde la question de transplantation du point de vue orthodoxe. Nous vous proposons la traduction française de cette contribution."

Brièvement, au sujet de la transplantation :

"Les questions de bioéthique, notamment de l’éthique médicale, représentent une problématique relativement nouvelle, mais très importante dans la société contemporaine. Dans tout dialogue social et scientifique sur les défis de ce genre, il faut inévitablement écouter et prendre en compte les points de vue religieux – dans notre pays comme ailleurs en Europe, avant tout les points de vue chrétiens.

L’Église orthodoxe, l’Église catholique, ainsi que les Églises traditionnelles réformées partagent le point de vue sur la question de la transplantation des organes humains. La vision chrétienne est également partagée par le judaïsme et l’islam. Dans les considérations des thèmes comme la transplantation et autres revendications médicales connexes, pour tout croyant les points de départ sont la valeur irréprochable, la liberté et la dignité de la personne humaine et le caractère sacré de la vie comme du don inopposable de l’amour de Dieu. Cela signifie que la transplantation d’un organe d’un homme à un autre est non seulement admise, mais elle mérite toutes les louanges de point de vue de la morale chrétienne à conditions que :

- le donneur et le receveur agissent librement et volontairement ;
- le donneur soit inspiré exclusivement par amour de son prochain, pour qui le don d’organe représente l’aide sanitaire, et souvent même la survie ; par conséquence toute manipulation est inacceptable, tout comme la pression psychologique, le commerce des organes, exploitation de la misère humaine pour l’achat des organes des hommes sains, voire des enfants, clonage dans le but de produire et de stocker les organes de réserve (soit dit en passant : qu’est que c’est que ce container d’organes bruxellois), et toute action similaire ;
- la transplantation ne mette pas en danger la vie du donneur, ni son état de santé, de sorte que le donneur ne soit pas lésé au point de devenir une nouvelle victime à son tour, à la place de celui qu’il a souhaité aider ;
- la transplantation ne modifie, ne diminue, ni ne menace pas l’identité biologique et spirituelle du receveur, c'est-à-dire son identité liée à l’appartenance à l’espèce humaine et à sa personnalité.

Sur ce dernier point je citerai un grand ami, excellent médecin et croyant orthodoxe convaincu, qui demande : 'Est-il permis d’expérimenter en mettant en jeu la vie, tout en sachant que les modifications apportées peuvent échapper dans les générations futures'.

Il est possible aujourd’hui de transplanter le cœur. C’est, pour ainsi dire, le miracle de la science médicale qui sauve de nombreuses vies. Cependant, on ne peut pas accepter que 'ta mort soit ma vie', vice-versa. Un homme ne peut donner son cœur, donner sa vie, en l’ôtant à soi-même. C’est pourquoi on ne prélève le cœur – ainsi que les autres organes vitaux - que ex cadavere, que sur un homme mort (cadavre). C’est là que fréquemment apparaît le dilemme : quel est le moment de la mort définitive du corps ?

La définition traditionnelle de la mort corporelle annonçait que c’est un état d’arrêt total et irréversible du cœur et de la respiration (mort cardio-respiratoire). La médecine d’aujourd’hui est plutôt d’avis pour définir cet état d’inactivité complète du cerveau ou de sa dégénérescence irréversible (mort cérébrale). Il faut rappeler qu’alors il n’y plus de plénitude de la vie humaine, mais que l’on peut, dans une certaine mesure, enregistrer les traces d’activité biologique, les traces de la 'vie corporelle'.

Ici naît le dilemme éthique. Selon l’anthropologie chrétienne, biblique, la mort signifie la séparation de l’âme du corps. (cf. Ps. 145, 4 et Luc. 12,20). À en déduire que la vie, même suspendue à un fil, existe tant que l’organisme fonctionne. Mais, cela ne signifierait pas que l’assistance artificielle, mécanique, au fonctionnement de certains organes (le maintien en vie, ou plutôt la mort au ralenti assistée) représente une action particulièrement positive pour l’homme.

Une chose est certaine pour la conscience chrétienne : la mort définitive doit être constatée avant le prélèvement du cœur. Les théologiens orthodoxes et catholiques sont en principe unanimes sur ce point ; avec tout de même un nombre de théologiens catholiques qui estiment qu’il faut accepter l’opinion dominante médicale sur le moment de la mort, c'est-à-dire, qu’il faut adopter la thèse de la mort cérébrale comme mort définitive de l’organisme. Malgré tout, les théologiens orthodoxes et catholiques, dans l’immense majorité, exigent la plus grande prudence dans l’appréciation de la mort réelle.

L’homme, comme être biologique, dispose du droit à la vie digne de l’homme. Mais aussi il mérite la mort digne de l’homme – la fin de vie chrétienne, sans honte, calme, réconciliée avec Dieu, avec les autres et avec soi-même, et dans l’amour. C’est pourquoi on ne peut transplanter le cœur d’un défunt – s’il est réellement mort – si on ne dispose pas de preuve certaine de sa volonté. Si c’était réellement sa volonté, c’est une expression d’amour posthume, de la bonté posthume.

Je finirai par citer mon ami médecin croyant, déjà évoqué : 'La vie est sacrée, car outre le début de la vie terrestre, il y a sa fin, c'est-à-dire la fin biologique. Cette fin n’est pas une transformation vers le néant, car, si c’était le cas, alors ni la naissance, ni la vie même, n’auraient pas de valeur. La mort est aussi sacrée, car elle ne représente pas la fin, mais le début et la résurrection à la vraie vie. La vie a un sens profondément apophatique (1), et ce domaine n’appartient pas à la médecine'.

Alors - oui au prélèvement d’organes ex vivo et ex cadavere (sur l’homme vivant et sur les décédés), mais - un oui conditionnel à la transplantation du cœur (jamais ex vivo, uniquement ex cadavere)."

Source :
http://www.orthodoxie.com

(1) Théologie apophatique : "L’apophatisme, (...) est une démarche intellectuelle par laquelle l’idée qu'on se fait de la divinité ne peut s’exprimer par des propositions positives. Par exemple, l’affirmation : 'Dieu existe', ne peut se concevoir en théologie négative. Pas plus que : 'Dieu est miséricordieux'. L’expression de la transcendance s’exprime uniquement par des propositions négatives et par un recours à l’abstraction." (source)

"La vie a un sens profondément apophatique" signifie que la vie ne peut être définie que par rapport à la mort, qui est sa négation, et réciproquement : la mort ne peut être définie que comme : qui a cessé de vivre. Où placer le curseur ? Ce n'est pas à la seule médecine d'en décider.

Le Dr. Guy Freys, Département de Réanimation chirurgicale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, l'explique très bien :
Je cite le texte de sa présentation intitulée "On ne meurt qu’une fois, mais quand ?", lors de la Conférence : "Les Deuxièmes Journées Internationales d'Ethique : Donner, recevoir un organe, Droit, dû, devoir", Strasbourg, mars 2007 :

"Déterminer le moment précis de la mort, affirmer avec certitude l’état de mort a toujours été une préoccupation et une difficulté de l’homme, avec la peur pendant des siècles de l’inhumation prématurée. ‘Le jugement de l’homme est tellement incertain qu’il n’arrive pas même à définir la mort’, disait Pline l’Ancien déjà au début de l’ère chrétienne. Pourtant, si je vous montre ces quatre images de coucher du soleil [quatre étapes du coucher de soleil : sur la première image, le soleil commence à se coucher, pour avoir quasiment disparu sur la dernière, où il ne reste qu’une pâle lueur, ndlr.], je pense que personne ne mettrait en cause l’affirmation qu’il va faire bientôt nuit. Mais sur la dernière image, en bas, à droite, le soleil a disparu. Mais est-ce déjà la nuit ? Ou la lumière résiduelle permet-elle de dire que ce sont encore les derniers moments du jour ? La question de mon propos est très proche de cette interrogation. Quand reconnaît-on la disparition des derniers signes de la vie pour affirmer la mort ? Si je pose la question en ces termes, c’est que la définition de la mort, elle, est relativement universelle et univoque : prenez n’importe quel dictionnaire, vous verrez cette définition : ‘qui a cessé de vivre’. C’est donc bien l’absence d’éléments élémentaires vitaux qu’il faut rechercher pour affirmer la mort. La difficulté de déterminer le moment précis de la mort est d’autant plus grande que les derniers instants de la vie apparaissent de tout temps surdimensionnés, comme si l’homme se rendait enfin compte de l’importance de la vie et qu’elle devenait encore plus précieuse et sacrée aux derniers instants. D’ailleurs, peut-on parler d’un moment précis ? Ne s’agit-il pas le plus souvent d’un processus où la vie s’éteint au fur et à mesure, comme le coucher du soleil ? Si vous regardez les peintures qui représentent la mort, il y a une chose qui est très frappante : c’est que la personne apparaît toujours vivante. Elle est vivante et elle attend la mort. Cette difficulté se posait déjà quand la mort était uniquement définie comme l’arrêt circulatoire, avec déjà le problème sous-jacent de la certitude de l’irréversibilité de cet état et de l’angoisse qui l’a toujours accompagnée : la peur d'être enterré vivant. Je vous rappelle aussi que l’expertise médicale de la mort n’est apparue que pratiquement à la fin du XIXème siècle et que le certificat médical de décès n’est obligatoire que depuis 1937 pour permettre à l’officier d’Etat civil de délivrer le permis d’inhumer. Ce n’est qu’en 1948 que l’arrêt circulatoire est annoncé comme signe légalement reconnu de la mort par décret. Vous le voyez, c’était déjà difficile. Mais cette difficulté inhérente de définir et de préciser le moment et l’heure de la mort va se trouver accentuée par ou du fait des progrès de la réanimation à partir du milieu du XXème siècle, où la réanimation permet de suppléer des fonctions cardiaques et respiratoires qui représentaient jusqu’alors les critères scientifiques indiscutables de la mort. Ces avancées vont nécessiter de revoir la définition épistémologique de la mort.

J’aimerais souligner d’emblée que l’adoption d’une définition cérébrale de la mort comme fin d’un fonctionnement intégré et cohérent de l’organisme humain n’est pas en opposition avec la définition circulatoire, mais juste une mise à jour prenant en compte les avancées des connaissances médicales. Mais l’acceptation de cette évolution scientifique ne peut en aucun cas se dispenser de négliger les aspects religieux, philosophiques, culturels et sociaux. Un petit rappel historique s’impose. Ce nouveau concept de mort cérébrale se dessine à partir de 1959, à partir des descriptions de coma dépassé de Mollaret et Goulon. En 1965, le Professeur Goulon avait organisé un gros colloque à Marseille qu’il avait intitulé : ‘Les états frontière entre la vie et la mort’ et reconnaissait à l’époque l’absence de critères simples, indubitables, objectifs qui permettent de dire clairement s’il y a mort. Le terme de mort cérébrale apparaît pour la première fois dans un article qui relate une greffe à partir d’un organe prélevé sur un patient … ‘à cœur battant’ ! C’est donc le développement de la transplantation qui va nécessiter de toute urgence, de la part de la communauté médicale, une définition claire de cette mort cérébrale pour permettre le prélèvement d’organes et recueillir l’acceptation sociétale d’une telle procédure. En 1968 on valide le concept de mort cérébrale (5 août 1968, déclaration de Harvard aux USA et 25 avril 1968 : circulaire Jeanneney) mais on se garde bien d’en préciser les critères, les Américains disant qu’il faut les établir en fonction des connaissances et en France, la fameuse circulaire Jeanneney dit que l’élaboration des critères va être imminente et proposée par l’Académie de Médecine. Il faudra attendre 28 ans pour les voir apparaître. La France a donc eu quelques mois d’avance sur les Américains pour décréter que la mort cérébrale était un état de mort. Monsieur Cabrol, deux jours après la promulgation de cette circulaire, va faire la première greffe à partir d’un donneur considéré en mort cérébrale. Vous voyez donc que pour une fois, nous n’étions pas en retard. L’arrivée de ce concept a apporté avec lui une multitude d’interrogations éthiques et a engendré nombre de controverses et de confusions, beaucoup n’y voyant qu’un prétexte pour légaliser le prélèvement d’organes sur personne ‘décédée à cœur battant’. Ce concept est aussi initialement controversé même chez les professionnels de la santé puisque si vous regardez des études des années 80, vous vous rendrez compte que 40 pour cent des professionnels de santé sont très réticents à admettre cette mort cérébrale. Cette méconnaissance reste encore aujourd’hui à mon sens le frein le plus important pour l’acceptation du don et [la mort encéphalique] reste le parent pauvre de l’information au grand public, et principalement le principal responsable du refus des familles confrontées au don d’organes. Ce scepticisme est dû à l’aspect non conventionnel de la mort, puisque le cœur bat et la peau est chaude. Penser que ce corps est mort n’est pas aisé.

Pour ajouter à la difficulté de compréhension, deux concepts vont voir le jour : celui de la mort encéphalique : ’whole brain death’, adopté aux USA, en France et aujourd’hui par une majorité de pays, qui exige la destruction du cerveau et du tronc cérébral ; et la mort du tronc cérébral : ‘brainstem death’, concept adopté au Royaume-Uni et en Inde, qui reconnaît à cette seule destruction (celle du tronc cérébral) le statut de mort. Ce qui est sûr, c’est que ces deux états sont des états de non-retour à la vie - personne n’en est jamais réchappé -, et que la respiration est abolie. Il faut donc une suppléance de la fonction respiratoire. Ces états conduisent toujours à court terme à l’arrêt de toutes les fonctions de l’organisme, quels que soient les moyens de réanimation mis en œuvre. Les différents pays, qu’ils aient adopté la mort encéphalique ou la mort du tronc cérébral, ont rapidement ressenti la nécessité de légiférer sur la validité médico-légale de ces morts, mais aussi sur les critères de définition, la finalité de ces critères étant de constater l’état irréversible du constat de la mort. Ce qui frappe, ce qui dérange, ce qui va alimenter la confusion, c’est que les critères retenus varient d’un pays à l’autre. Or là on ne peut pas invoquer des différences culturelles. On demande des faits scientifiques, aussi ces variétés de définition ne facilitent-elles ni la compréhension et, surtout, ni l’adhésion du grand public. Ainsi, dans certaines législations, la seule observation clinique suffira à établir le diagnostic de la mort, dans d’autres pays, on exigera un test ou un examen de confirmation pour valider le caractère irréversible de cette mort cérébrale. Je vous ai représenté là l’article du Monde qui est paru juste avant le fameux décret du 22/12/1996 qui régit la définition de la mort encéphalique en France. Cet article souligne la difficulté de la rédaction du décret définissant la mort encéphalique, et témoigne des avis divergents, qui au sein même du corps médical se sont exprimés sur un thème aussi sensible et d’une grande portée symbolique. L’article souligne aussi que ces dispositions s’inscrivent dans un paysage fort contrasté, qui voit l’opinion publique avoir à la fois confiance dans l’efficacité des équipes médicales et redouter ‘la rapacité de ces mêmes équipes’. La conclusion de cet article met l’accent sur le travail pédagogique à accomplir pour faire en sorte que soient mieux perçus les objectifs, les difficultés et les nécessités pratiques du corps médical. On voit bien que dans tous ces textes, dans tous ces besoins de législation, les peurs ont changé, les peurs se sont déplacées : la peur de l’inhumation prématurée a fait place à la peur des morts qui n’en seraient peut-être pas. Il y avait donc urgence à vraiment donner des définitions claires et précises de cette mort encéphalique et de celle du tronc cérébral. En tout cas, comme le souligne un philosophe italien, Alberto Acero, ces définitions pragmatiques introduisent un écart considérable entre la mort humaine et celle de toute autre être vivant.

Alors la mort encéphalique, c’est quand ? On meurt quand de la mort encéphalique ? La mort encéphalique, par rapport à la mort qu’on connaissait, a finalement un moment très très précis de décret. Puisque c’est le moment où les critères seront rassemblés. Mais le patient, qui deviendra alors automatiquement médico-légalement un cadavre, finalement, ce cadavre en réalité, il était mort depuis un certain temps. Concrètement : suivant les critères retenus dans les différentes législations, vous serez reconnu comme mort à 17h00 en Espagne dès la réalisation du premier EEG puisqu’il s’agit là des critères adoptés en Espagne, par contre dans la même situation en France, on devra attendre quatre heures de plus et réaliser un deuxième EEG pour vous décréter mort. Aux Etats-Unis, où dans la moitié des hôpitaux, les critères d’observation du tableau clinique sont suffisants, suivant les Etats, il faudra attendre 6 à 24h00 avant de vous déclarer mort. L’hétérogénéité de ces critères, l’absence de consensus, les controverses, tout cela favorise naturellement l’apparition de nouveaux courants et je voudrais vous citer les deux principaux qui sont tout à fait opposés.

D’une part on entend de plus en plus de voix s’élever pour remettre en cause la mort cérébrale elle-même, tout en admettant le caractère irréversible du processus, c’est-à-dire la non possibilité de retrouver la conscience et la respiration, et le fait que ces états [la mort du tronc cérébral et la mort encéphalique, ndlr.] peuvent conduire au prélèvement d’organes. Mais ces mêmes voix insistent pour séparer cet état propice à faire un prélèvement d’organes et la mort. Il faut souligner qu'en Europe, le Danemark s'était longtemps distingué. La mort encéphalique y était vue comme un état permettant d'aller aux prélèvements d'organes, mais il était entendu que la mort ne survenait véritablement qu'avec l'arrêt du cœur pendant le prélèvement des organes. C'est lors d'un référendum que la population du Danemark va réagir : selon elle, cet état de fait n'est pas logique. Il faut que la mort soit l'instant où on fait le diagnostic de mort encéphalique pour que ce système de transplantations d'organes soit acceptable et compréhensible. C'est sa population qui a rangé le Danemark dans la mouvance de tous les autres pays d'Europe. A l’opposé de ces voix qui réclament de ne plus parler de mort cérébrale, il y a des voix qui demandent à aller encore plus loin, et réclament la reconnaissance de la mort néocorticale, c’est-à-dire le statut de mort à celui qui ne posséderait plus ses fonctions corticales supérieures, en arguant du fait que la mort de la personne prime sur celle de l’organisme, et que s’il n’y a plus de personne, il n’y a plus de vie. Ce concept de mort néocorticale est initié par un neurologue écossais (…) qui s’appuie sur l’étendue des lésions de la matière grise interdisant tout rapport conscient avec le monde extérieur. Mais dans ces cas-là, la respiration spontanée est le plus souvent préservée. La commission présidentielle américaine de 1981, qui avait adopté la mort encéphalique, avait rejeté ce concept et a interdit de considérer cette situation comme un état permettant le prélèvement d’organes, mais conclut quand même que le caractère irréversible de la perte de conscience ne pouvait être affirmé en l’état actuel des connaissances, mais laissait la porte ouverte au cas où un jour on pourrait définir exactement les zones qui seraient responsables de cet état-là. Si de prime abord on devait mettre un jour en évidence les contours exacts de la région du cerveau responsable de cette fonction et pouvoir démontrer le caractère irréversible de sa destruction, une nouvelle polémique s’engagerait inévitablement sur la définition et l’instant de la mort. L’exemple le plus médiatisé de cet état-là était celui de Mme Terri Schiavo, qui a fait un arrêt cardiaque le 25/02/1990 et sur sa tombe vous voyez :’Elle a quitté cette terre le 25/02/1990 et demain [31/03/2007, ndlr.] sera l’anniversaire de sa mort légale puisque son mari, après beaucoup de procédures juridiques, a pu faire arrêter la nutrition parentérale et elle est décédée après l’arrêt de la nutrition, c’est-à-dire quelques jours : il est évident que ça ne va pas aussi vite que quand on arrête un ventilateur, mais elle est morte parce qu’on lui a arrêté l’alimentation parentérale qu’elle avait depuis 15 ans.

Il est évident que je ne pouvais pas terminer cet exposé sans évoquer la reprise des prélèvements ‘à cœur arrêté’, là aussi pour répondre à la pénurie d’organes. Ces prélèvements soulèvent, sous une autre forme, la question de mon propos, à savoir : combien de temps faut-il attendre pour déclarer la mort après un arrêt circulatoire si un prélèvement d’organes est envisagé dans la continuité ? Ce point est régulièrement débattu et vous voyez que les délais changent régulièrement, puisque le but et le dilemme, en fait, de cette question, c’est d’une part de s’assurer de l’irréversibilité de l’arrêt circulatoire, donc de la mort, et d’autre part l’exigence médicale de prélever le plus rapidement possible afin de pouvoir utiliser les organes, à l’exception du cœur, naturellement, dans cette situation. Le Candide, là encore, peut être dérouté, voire effrayé, de constater ces différents délais :

Heure de la mort par arrêt cardiaque :
Caractère irréversible de l’arrêt cardio-circulatoire et de la perte de conscience
La commission présidentielle américaine recommande (en 1981) d’attendre 10 mn après l’arrêt circulatoire ; l’Institute of Medecine recommande d’attendre 5 mn (en 1997) ; la National Conference on Donation after Cardiac Death de 2006 recommande un temps d’attente compris entre 2 et 5 mn au maximum.

En fait, je pense qu’on pourrait facilement expliquer ces différents délais par la différence des situations qui permettent ces prélèvements ‘à cœur arrêté’. Pour simplifier, il y a deux situations principales : une qui est une situation d’échec de la réanimation cardio-circulatoire – c’est la seule situation retenue en France : dans cette situation, tous les efforts de réanimation se sont avérés inefficaces pour ‘ressusciter’ un patient. Si on n’a pas l’objectif de prélever un tel patient, dès qu’on arrête la réanimation, on avait l’habitude de considérer que c’était l’heure de son décès. Donc on comprendra que là on sera peut-être moins vigilant sur le délai. Par contre il faut savoir qu’il y a une deuxième situation, qui permet le prélèvement des organes ‘à cœur arrêté’ qui n’est pas autorisée en France, mais qui est la plus fréquente aux Etats-Unis, en Belgique, aux Pays-Bas, qui permet de prélever des gens à qui on va arrêter le traitement supplétif d’une défaillance vitale. Donc il y a un premier geste qui consiste à arrêter un traitement qui maintenait la vie. Donc vous voyez que là, je dirais que d’abord on n’a aucune idée du temps que va mettre l’apparition de l’arrêt cardiaque, après il y a l’interrogation suivante : combien de temps faudra-t-il attendre jusqu’à ce qu’on soit sûr que la même personne est en mort encéphalique ? Parce que c’est cette question-là qu’on se pose. [Dans les deux situations mentionnées ici, et permettant le prélèvement ‘à cœur arrêté’, la mort du cerveau n’est pas vérifiée, elle n’est pas requise, ndlr.]. Il est évident que dans la seconde situation, les législations ont demandé d’être plus vigilant. Je terminerai par cette citation d’un philosophe français, Gabriel Marcel:
‘La mort était un mystère, elle est désormais un problème’. N’est-ce pas la manière la plus simple et la plus juste de rendre compte de la mort actuelle, dans les hôpitaux en particulier ? ‘Partout où passe la science’, ajoute-t-il, ‘s’accroit le risque qu’un mystère soit réduit à l’état de problème. Le problème est du côté de l’avoir, du vérifiable ; le mystère est du côté de l’être, de l’invérifiable. Tant qu’on reste dans la sphère du mystère, un geste peut être justifié. Quand on descend au niveau du problème, le mal est fait, quoi qu’il advienne ensuite.’

Alors, et c’est là ma conclusion, sachons garder un peu de mystère car je pense que ceci permet au mieux de respecter la représentation que chacun peut avoir de la mort."

Le concept de "l'appropriation 'conditionnelle' par la société du corps" et l'éthique des transplantations

Ce Blog Post fait suite à celui intitulé : "Faut-il repenser le système d'obtention des organes ? Le concept de l'appropriation conditionnelle par la société." (lire).

Le 06/03/2008, le Professeur Henri Kreis, chef du service de néphrologie, transplantation rénale à l'hôpital Necker-Enfants Malades (AP-HP, Paris 15ème), répondait à mes questions au sujet de son concept de "l'appropriation 'conditionnelle' par la société du corps humain". Je souhaite le remercier vivement pour la qualité de ses réponses.

Catherine Coste (CC) : D'après vous, il serait souhaitable que le système de l'"appropriation 'conditionnelle' par la société du corps humain" vienne remplacer le système du "consentement présumé" qui est inscrit dans la loi de bioéthique actuellement en vigueur. Le système auquel vous avez réfléchi repose sur deux piliers, car il se fonde à la fois sur la société et sur l'individu. Décrivant votre projet, vous dites :

"La société s’approprie les pièces du corps humain dans le contexte d’un véritable 'contrat social', pour le bénéfice de tous ceux qui ont besoin d’(un) organe(s). (...) Ainsi, au décès de la personne, en l’absence d’un refus explicite, la société décidera de l’usage des organes. Il s’agit (...) d’une appropriation du corps par la société, qui est néanmoins conditionnée par l’acceptation ou le refus de la personne. A première vue, ce concept ressemble à celui du consentement présumé. A y regarder de plus près, il existe une différence fondamentale. Le prélèvement d’organes, et par conséquent, la greffe, ne dépendront plus du don et de la bonne volonté. La nécessité du don des organes avant leur utilisation sera rendue caduque, le consentement des proches ne sera plus requis. Oubliée aussi la présomption de la volonté d’autrui, hypocrite et plutôt contraire à l’éthique. Inutile, enfin, de venir bouleverser les proches en leur posant 'la pire des questions au pire moment'."

Il s'agirait donc de faire cohabiter la décision sociétale et l'autonomie individuelle. Quel poids accorderiez-vous à la société et à l'individu au sein de votre système ?

Professeur Henri Kreis : "La décision dépendra du poids accordé par la société à la liberté individuelle par rapport à la liberté collective. C'est un véritable choix de société."

CC : Le "consentement éclairé", pourtant inscrit dans la loi, est impossible, car l’Agence de biomédecine n’informe pas : sa mission de promotion du don d'organes est inscrite dans ses statuts. Or informer n'est pas promouvoir.

Professeur Henri Kreis : "Dans l'appropriation conditionnelle il n'est plus question de consentement puisque le corps (ou les organes) sont reconnus comme appartenant à la société (contrat social antre les individus et la société). Mais dans les sociétés démocratiques et respectueuses de la personne, le principe d'autonomie sera respecté en laissant le choix à la personne, tant qu'elle existe et à elle seule, de refuser ce contrat social."

CC : Il existe une pression inhumaine sur les proches confrontés au don d’organes, du fait de la relativité du constat de décès : dans le cas de la "mort encéphalique", le corps est encore chaud, il est sous respiration artificielle, admettre la mort de ce corps n'est pas aisé. D'autre part, que dire des disparités des pratiques d’un pays à l’autre, en ce qui concerne la définition des critères de la mort ? Le Dr. Guy Freys, dans sa présentation de mars 2007 intitulée "On ne meurt qu’une fois, mais quand ?", précise ces disparités. Elles ne sont guère rassurantes pour l'usager de la santé, et ne contribuent certainement pas à renforcer l'acceptation sociétale du prélèvement d'organes !

Professeur Henri Kreis : "Il ne faut pas tout mélanger ! Il ne peut y avoir, dans un pays donné de 'relativité du constat de décés'. La mort est reconnue selon des critères légaux, donc adoptés de façon démocratique. Cela ne veut pas dire que tout le monde accepte ces critères, mais ils ont ceux reconnus par la majorité de la société. On pourrait trouver des similitudes avec le paiement des impôts : il y a des gens qui sont contre, qui ne voudraient pas payer d'impôts, mais il les payent quand même ! Que les critères de la mort ne soient pas les mêmes dans tous les pays n'est pas surprenant. En effet, il n'existe pas de 'définition' universelle de la mort. Donc selon la façon dont une société envisage ce qu'est la mort, elle adopte les critères ad hoc pour la reconnaître. La question : "on ne meurt qu'une fois, mais quand ?" a bien sûr autant de réponses qu'il y a d'individus ! Chacun d'entre nous se représente la mort à sa manière. Mais lorsque l'on vit dans une société, on se doit d'accepter la définition acceptée par cette société. Dans le cas contraire on essaye de la faire changer, ou si l'on n'y arrive pas et que l'on ne peut accepter ce que la société a accepté, on change de société.

Dans l'appropriation conditionnelle par la société il n'y a plus aucune 'pression exercée sur les proches' car il n'y a plus de don d'organes. Les proches n'y sont donc plus confrontés."


CC : On constate de fortes disparités dans les proportions donneur mort - donneur vivant d’un pays à l’autre : l'Espagne pratique le prélèvement d'organes à partir de donneurs décédés, mais encourage très peu le don d'organes à partir de donneurs vivants. Dans les pays nordiques, une grande part des prélèvements d'organes (rein, lobe de foie) se fait à partir de donneurs vivants. Les USA pratiquent l'une et l'autre forme de prélèvement d'organes à peu près à part égale. La France, qui pratique essentiellement le prélèvement d'organes à partir de donneurs morts, cherche néanmoins à encourager le don d'organe de son vivant (don de rein à un parent, voir le cas de Richard Berry qui a donné un rein à sa soeur). Ces disparités nous interrogent sur le plan de l'éthique : ne peut-on pas dire que, pour les pays nordiques, l’appellation "donneur / organe cadavérique" pose problème ? En effet, pour le donneur d'organes dit "décédé", qui est anesthésié lors du prélèvement de ses organes, on est loin de ladite rigidité cadavérique...

Professeur Henri Kreis : "La disparité entre 'donneur' vivant et organes prélevés sur un corps après la mort de la personne est une autre question, qui n'a rien à voir avec l'appropriation conditionnelle. Je ne voit pas ce que cette disparité a vraiment à voir avec l'éthique ?"

CC : A l’heure actuelle, il n’existe pas d’information du public sur les prélèvements "à cœur arrêté", qui ont pourtant repris en France depuis 2006, or le "consentement éclairé" au don de ses organes est inscrit dans la loi. La carence d'information du public amène à se poser la question de l’acceptation sociétale de cette forme de prélèvement.

Professeur Henri Kreis : "La question des prélèvements 'à coeur arrêté' rejoint celle des critères reconnus pour dire qu'une personne est morte. Avant la loi dite 'Loi Caillavet', la mort était reconnue par l'arrêt cardiaque. On accepte maintenant qu'elle ne survient que quelques minutes (de 3 à 10) après l'arrêt cardiaque, parce que c'est seulement après ce laps de temps que le cerveau est détruit. Donc toutes les discussions portent sur le fait de savoir si on peut aujourd'hui considérer à nouveau l'arrêt cardiaque comme un critère de mort, et surtout après combien de temps d'arrêt cardiaque ! C'est sur ces quelques minutes que portent les débats, car lorsque le coeur est arrêté, on n'a pas le temps de mettre en oeuvre les techniques permettant de reconnaître la destruction cérébrale, les organes n'étant plus perfusés. C'est-à-dire que l'on ne peut plus recueillir les preuves légales de la mort. Mais si l'on considère qu'après X minutes d'arrêt cardiaque le cerveau est détruit dans 100 pour cent des cas, on est ramené à la définition légale de la mort en France, par destruction cérébrale, et il n'y a plus de différence, du point de vue de la reconnaissance de la mort."

CC : Ne risque-t-on pas de créer des "deuils pathologiques" à la chaîne dans le contexte de l’industrialisation du don d’organes ? De porter préjudice aux familles confrontées au don d'organes, et qui ne sont à aucun moment informées ? Les équipes médicales de transplantation/coordination des transplantations sont soumises à une forte "pression idéologique" (il faut développer l’activité des greffes) et peuvent potentiellement causer ce préjudice de "deuil pathologique" (risque d’accusation de dol/faute dolosive ?). On peut penser que, quelle que soit la décision des proches confrontés au don d’organes, cette décision exige le sacrifice de l’intérêt d’un des deux partis (donneur ou receveur), et de ce fait ne peut être considérée comme satisfaisante. C’est donc un choix inhumain qu’on impose aux proches confrontés au don d’organes. On peut alors se demander si les équipes hospitalières/médicales de coordination des transplantations d’organes, qui approchent les familles en vue du don d’organes, peuvent se sentir dédouanées de cette accusation de préjudice potentiel par le simple fait que la famille a refusé le don d’organes. Il y a forcément préjudice (= risque de créer des deuils pathologiques), puisque le simple fait de demander les organes aux proches d’un mourant impose un choix inhumain.

Professeur Henri Kreis : "Je pense comprendre à peu près ce que vous voulez dire (...) et la réponse, avec l'appropriation conditionnelle, est parfaite puisqu'il n'y a plus de choix. La famille sera simplement 'informée' du prélèvement chez son parent qui ne s'y était pas opposé de son vivant."

CC : N'est-il pas nécessaire de déléguer la mission d’information grand public à une structure 'plurielle', autre que la 'seule' Agence de la biomédecine ? Cette structure devra refléter la pluralité de la société, et intégrer des usagers de la santé, certains pouvant jouer un rôle de 'médiation éthique', car information et pression idéologique ne sont pas compatibles.

Professeur Henri Kreis : "Il n'y a pas de meilleure structure d'information que l'école. En attendant que l'école puisse être cette structure, c'est au parlement de décider comment l'information indispensable devra être faite. Je vous signale que l'Agence de la biomédecine est issue d'une décision parlementaire..."

CC : Dans la perspective de la révision de la loi de bioéthique, qui doit s'effectuer à horizon 2010 (le Sénat est déjà au travail depuis Novembre 2007) : seriez-vous d’accord pour tenir compte de la loi de la réciprocité ("ne fais pas à autrui..."), que le Professeur Axel Kahn propose d’inscrire à la base de la nouvelle loi de bioéthique ? Ce qui introduirait l’éthique du patient en attente de greffe... Dans un contexte de volonté d’industrialisation, mais aussi de pénurie du don d’organes, laisser croire au patient qui a besoin d’un organe qu’il est en droit d’obtenir cet organe peut s'avérer problématique. Cette loi de la réciprocité ne donnerait-elle pas un éclairage particulier à l’éthique de l’usager de la santé : je ne peux pas accepter de greffe si je ne suis pas donneur d’organes à mon décès ?

Professeur Henri Kreis : "Ne tombons pas dans une démagogie irresponsable. On pourrait peut-être aussi proposer 'oeil pour oeil, dent pour dent' tant que l'on est dans les formules à l'emporte pièce ?"

CC : On entend des voix s'élever pour dire que certes la "mort encéphalique" est un état qui permet de conduire au prélèvement d'organes, mais que cet état est distinct de l'état de mort. Or si on prélève les organes d’un "mourant" et non d’un "mort", cela est-il compatible avec la "loi de la réciprocité" ? Le mourant est une personne, et a les droits de la personne (loi Leonetti, dite de "fin de vie"). Or le donneur "décédé" n’a plus aucun droit. A la lumière de la "loi de la réciprocité", confondre donneur mourant et donneur mort serait plus qu'une simple faute de méthodologie...

Professeur Henri Kreis : "Aucun prélèvement d'organes n'a jamais, en France, été fait sur un mourant (ce qui serait un crime) mais toujours sur un mort ! La personne morte n'existe plus. Il n'y a pas de droit pour ce qui n'existe pas. Mais cela, d'un point de vue individuel, et non de celui de la société, dépend de la conception que l'on se fait de la relation entre le corps et la personne. Mais, j'insiste bien, d'un point de vue strictement individuel."

CC : Il serait souhaitable que le système de l'"appropriation 'conditionnelle'" du corps par la société permette à ces points de vue "strictement individuels" de s'exprimer. Comment concilier point de vue strictement individuel et choix de société ? On en revient à votre idée initiale, à savoir : "La décision dépendra du poids accordé par la société à la liberté individuelle par rapport à la liberté collective. C'est un véritable choix de société"...Il serait néamoins souhaitable, de mon point de vue, que la société ne s'engage pas, en lieu et place de l'Etat, dans une conscription ou nationalisation des corps.

CC : Les politiques et acteurs de la santé, dont vous faites partie, réfléchissent déjà au contenu de la nouvelle loi de bioéthique, prévue à horizon 2010-2011. Quels sont les messages que vous souhaiteriez faire passer aux usagers de la santé, dans l’optique d’une défense du système de l’ "appropriation ‘conditionnelle’ du corps par la société" ?

Professeur Henri Kreis : "Ce qui me paraît essentiel, et que chacun devrait avoir présent à l'esprit :

1) Notre société a déclaré la transplantation comme étant une "priorité Nationale" (Loi du 6 août 2004).
2) En France, après la mort, le corps est déclaré "extra-patrimonial". Il n'appartient donc à personne.
3) Tout individu a des devoirs envers la société dans laquelle il vit, et qui l'aide également à vivre.
4) La santé fait partie des droits de tout un chacun, mais cela implique une participation (la plus classique étant les cotisations de sécurité sociale).
5) Les thérapeutiques de substitution de certains organes défaillants par des moyens artificiels coûtent très cher à la société. La transplantation d'organes, thérapeutique nettement moins onéreuse, permet de diminuer le coût de la santé pour ces patients (donc pour la communauté) tout en améliorant leur qualité ainsi que leur espérance de vie. Laisser la société disposer de ses organes après sa mort pourrait faire partie du contrat social de chaque individu."


CC : En conclusion du document "Whose organs are they, anyway ?", vous écrivez : "Posons à notre société les bonnes questions et espérons que nous recevrons les bonnes réponses". Quelles seraient ces "bonnes questions", et quelles sont les "bonnes réponses" que vous attendez de la part des usagers de la santé ? L’une de ces "bonnes questions" ne serait-elle pas, comme vous l’indiquez d’ailleurs, "à quelle mort est-ce que je crois ?". Or force est de reconnaître que dans l’information grand public, le problème du constat de décès sur le plan de l’éthique (donneur "mort") est passé sous silence. Il me semble pourtant que la décision que vous réclamez de la part de la société (décider de l’utilité de la médecine des transplantations) nécessiterait une réflexion "officielle" de la société (et non des seuls acteurs médicaux et politiques) sur ce problème...

Professeur Henri Kreis : "La société a déjà répondu à la première question fondamentale : Voulons-nous avoir la transplantation d'organes dans nos moyens thérapeutiques ? La réponse a donc été donnée par la Loi de bioéthique d'août 2004.

La deuxième question pour la société est de savoir si elle aura le courage d'aborder la question de ce contrat social, sans lequel les transplantations risquent de ne jamais pouvoir répondre aux besoins. Quant à la question des critères de la mort, elle a déjà été discutée en dehors d'un cadre purement médical, et indépendamment de la question du besoin d'organes."