Ce post fait suite à celui du 5 juin 2009 : "L'univers des transplantations en narration." Conflits d'intérêts, émulation entre chirurgiens du monde entier pour réaliser la première mondiale symbolique : greffe du coeur, greffe totale de la face ... Quel discours public, quelle information, quelle déontologie médicale pour une odyssée scientifique moderne, "pleine de bruit et de fureur", qui n'en finit pas de chercher l'acceptation sociétale mais qui ne la rencontre pas toujours ? Entre information et promotion, comment raconter cette odyssée moderne de la médecine de remplacement ? L'information 2.0, c'est le pouvoir ...
Avons-nous trouvé une forme narrative pour expliquer la crise financière mondiale ? Pas vraiment. Nous avons bien quelques scénarios catastrophe sur fond de mondialisation, mais qui donnera un dénouement à la crise ? Qui en inventera un ? Les grands récits sont-ils encore possibles ? Les sciences sociales ont longtemps mis un réel complexe dans des systèmes pénétrés de "grands récits" scientifiques (positivisme). Le récit du Progrès. Les transplantations d'organes ont tout naturellement trouvé leur place au sein de ce récit sur le Progrès. Tout naturellement ? Ces grands récits n'ont-ils pas écrasé les singularités ? N'ont-ils pas connu ce qu'on pourrait appeler un "échec historique" ? Faut-il préférer une véracité relative à une vérité universelle ? L'odyssée scientifique moderne de la greffe de la face s'annonce loin de ces grands récits scientifiques positivistes. Des singularités sont mises en avant : émulation entre chirurgiens du monde entier pour accomplir une première mondiale : celle de la greffe de la face dite "totale", et ainsi entrer dans l'Histoire. Voici que cette grande première, qui avait été revendiquée en mars 2010 en Espagne (Barcelone, hôpital Vall d’Hebron), est contestée. Les raisons de cette contestation ? Raisons techniques ? Raisons éthiques ? Voici qu'un chirurgien français, le Professeur Laurent Lantieri, revendique ce titre pour lui-même et son équipe, après une greffe effectuée en juin 2010 à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (lire). Entrer dans l'Histoire ?
"L'histoire humaine, c'est un récit raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien." (Shakespeare).
L'Odyssée moderne de la greffe de la face est une histoire scientifique et humaine shakespearienne. Est-ce au lecteur - supporter de décider de l'auteur de cette première mondiale plus symbolique encore que la coupe du monde de football ? L'Espagne l'emporterait encore sur les Bleus ? Va-t-on encore perdre la face ? Vite, un chirurgien bien de chez nous qui, à défaut de changer la face du monde, change celle des gens ! On se rappelle la bataille que se livrèrent des chirurgiens transplanteurs au temps d'une autre première mondiale tout aussi symbolique : la première greffe du coeur ... A qui revient d'entrer dans l'Histoire ? A Christiaan Neethling Barnard ou à Norman E. Shumway ?
"La première transplantation cardiaque eut lieu le 3 décembre 1967 pour une opération d'une durée totale de neuf heures et demie, nécessitant une équipe d'une trentaine de personnes. Le patient âgé de 55 ans, Louis Washkansky, souffrait de diabète et d'insuffisance cardiaque. Le greffon provenait d'une jeune femme, Denise Darvall, décédée lors d'un accident de la route. Washkansky survécut à l'opération et vécut encore 18 jours avant de succomber à une pneumonie massive bilatérale induite par le traitement immuno-suppresseur. Il existe une controverse autour de cette opération. Ainsi certains considérèrent Barnard comme un opportuniste ayant injustement volé la gloire et les honneurs à Norman E. Shumway, chirurgien cardiaque à Stanford. Sans les recherches effectuées par ce dernier, la transplantation n'aurait pas été possible. Barnard effectua son opération historique peu après avoir observé les travaux de recherches de Shumway à Stanford. Barnard, homme photogénique, prit rapidement goût à l'attention que lui portèrent les médias dans les suites de l'opération, ce qui contribua à en faire un personnage mondialement connu. Il continua à effectuer des greffes de cœur : le 2 janvier 1968 il opéra Philip Blaiberg qui survécut 19 mois. Dorothy Fisher, transplantée en 1969 survécut 24 ans et devint la greffée la plus âgée de l'histoire." (Wikipedia)
Histoire qui se répète, histoire qui bégaie ... Une controverse autour d'une première mondiale à forte portée symbolique (greffe du coeur, greffe du visage), on connaît la chanson. Mais séduit-elle le grand public ? A l'ère de l'open source, comment recueillir l'acceptation sociétale indispensable au développement de cette nouvelle activité ? S'agit-il d'ailleurs d'une nouvelle activité ? Un sociologue universitaire, Philippe Steiner (La Sorbonne) a publié en mars 2010 un ouvrage intitulé "La transplantation d'organes : un commerce nouveau entre les êtres humains". Cet ouvrage met en évidence un "marketing social du Don" ou discours public visant à promouvoir une activité économiquement rentable : celle de la greffe d'organes, avec dans le sillage de ce développement de la médecine de remplacement dans le monde entier "un odieux trafic d'organes" ("la traite des organes"). Mentionnons que cet ouvrage a été publié chez Gallimard, dans la prestigieuse collection nrf. Acceptation sociétale de la greffe ? La greffe, oui, mais à quel prix ? Cet ouvrage écrirait-il tout haut (chez Gallimard !) ce que beaucoup penseraient tout bas (sans oser l'écrire) ? Le "Marketing social du Don" à l'oeuvre dans notre société ("Le don s'installe") établit une censure : on ne parle pas de sacrifice, ce n'est pas politiquement correct. Saviez-vous que dès la fin des années 50, "don d'organes" et "sacrifice du donneur" se trouvaient cohabiter, parfois dans une même phrase, pour décrire un prélèvement d'organes vitaux "post-mortem" ? Lorsque, dans les années 80, les médicaments immunosuppresseurs permirent aux greffes de prendre leur essor, on ne parla plus de "sacrifice du donneur", mais de "don d'organes". Il devenait urgent que la médecine de remplacement rencontre l'acceptation sociétale. Où en est-on aujourd'hui, du point de vue de cette dernière ? Le discours public d'information sur les transplantations d'organes sait-il s'affranchir de la promotion du Don ? Que pensent les usagers de la santé de ces discours ou "campagnes d'information" orchestrés par des associations et parfois jugés "trop racoleurs" ? ("La chair à vif : De la leçon d'anatomie aux greffes d'organes", David Le Breton, oct. 2008). A l'ancien "Ce n'est qu'une histoire, donne-moi des faits" de la pensée logique se substituerait un "Ce ne sont que des faits, donne-moi des histoires". Oui, mais comment raconter l'univers des transplantations ? Encore un Nième discours de promotion du Don ? Ou, à l'inverse, comment rendre compte de ce réel complexe : celui des transplantations d'organes, avec une odyssée scientifique moderne, qui commence tout juste : celle de la greffe de la face.
Finis, les grands récits universels dogmatiques ? Serait-ce l'ère de la prolifération des récits singuliers, relatifs, multiples, interchangeables, tandis que les collectifs historiques et autres structures sociales seraient "remisés au magasin des curiosités" ? Facebook, ce réseau social à la e-page, pourrait-il remplacer France ADOT (lire) ?
Arrêtons-nous un instant sur cette "multiplicité des récits singuliers" : blogs, réseaux sociaux, autofictions, mise en scène de soi (de multiples soi), construction de communautés. Que recherchons-nous à l'ère de l'open source ? Ce retour au récit témoigne-t-il d'une véritable "culture du narcissisme", propre à nos sociétés ? D'une tentative de réappropriation par les individus eux-mêmes de leur propre histoire ? D'une nostalgie du grand récit partagée aussi par les scientifiques ?
En mars 2010, le professeur Bernard Devauchelle, pionnier de la greffe de la face (CHU d'Amiens, novembre 2005), annonçait la création de l'Institut Européen Faire Faces, au CHU d'Amiens, prévu pour 2012 - pour une "greffe éthique". Est-ce à dire que la première mondiale espagnole ne le fut pas, éthique ? Jusqu'ici onze greffes du visage auraient eu lieu dans le monde, en France, aux Etats-Unis, en Chine et en Espagne. La première mondiale a eu lieu en France en 2005 (source). C'est justement l'auteur de cette première mondiale de 2005 qui veut créer un label pour la greffe de la face : celui de "la greffe éthique". C'est encore l'auteur de cette première mondiale de 2005 qui lit entre les lignes de la toute récente et contestée "première mondiale" en Espagne. Ce qu'il y lit n'est pas très joli : le patient choisi pour bénéficier de cette greffe n'avait nul besoin d'une greffe "totale", lui greffer les paupières était un risque - inutile - à lui faire courir (voir). Que le patient ne puisse pas fermer les yeux des jours et des nuits durant (combien de temps au juste ?), voilà qui n'empêchera pas les chirurgiens espagnols de dormir sur leurs lauriers : ils ont leur première greffe "totale" de la face ! C'était sans compter sur ce projet de création d'un Institut européen Faire Faces. D'Eurêka ! à Caramba ! Dire que les Espagnols tenaient presque leur Oscar (1) de la meilleure greffe ! L'Odyssée moderne de la greffe de la face, "un récit raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien" ?
Arrêtons-nous un instant sur cette "multiplicité des récits singuliers" : blogs, réseaux sociaux, autofictions, mise en scène de soi (de multiples soi), construction de communautés. Que recherchons-nous à l'ère de l'open source ? Ce retour au récit témoigne-t-il d'une véritable "culture du narcissisme", propre à nos sociétés ? D'une tentative de réappropriation par les individus eux-mêmes de leur propre histoire ? D'une nostalgie du grand récit partagée aussi par les scientifiques ?
En mars 2010, le professeur Bernard Devauchelle, pionnier de la greffe de la face (CHU d'Amiens, novembre 2005), annonçait la création de l'Institut Européen Faire Faces, au CHU d'Amiens, prévu pour 2012 - pour une "greffe éthique". Est-ce à dire que la première mondiale espagnole ne le fut pas, éthique ? Jusqu'ici onze greffes du visage auraient eu lieu dans le monde, en France, aux Etats-Unis, en Chine et en Espagne. La première mondiale a eu lieu en France en 2005 (source). C'est justement l'auteur de cette première mondiale de 2005 qui veut créer un label pour la greffe de la face : celui de "la greffe éthique". C'est encore l'auteur de cette première mondiale de 2005 qui lit entre les lignes de la toute récente et contestée "première mondiale" en Espagne. Ce qu'il y lit n'est pas très joli : le patient choisi pour bénéficier de cette greffe n'avait nul besoin d'une greffe "totale", lui greffer les paupières était un risque - inutile - à lui faire courir (voir). Que le patient ne puisse pas fermer les yeux des jours et des nuits durant (combien de temps au juste ?), voilà qui n'empêchera pas les chirurgiens espagnols de dormir sur leurs lauriers : ils ont leur première greffe "totale" de la face ! C'était sans compter sur ce projet de création d'un Institut européen Faire Faces. D'Eurêka ! à Caramba ! Dire que les Espagnols tenaient presque leur Oscar (1) de la meilleure greffe ! L'Odyssée moderne de la greffe de la face, "un récit raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien" ?
Afin de rencontrer l'acceptation sociétale pour une activité nouvelle dans la médecine de remplacement, mais appelée à se développer - la greffe totale ou partielle de la face - la mise en place de l'Institut Européen Faire Faces au CHU d'Amiens et de son label "greffe éthique" nous semblent indispensables.
(1) Le patient qui a "bénéficié" de la première greffe totale de la face en mars 2010 en Espagne se prénomme Oscar.
==> VERSION AUDIO
(1) Le patient qui a "bénéficié" de la première greffe totale de la face en mars 2010 en Espagne se prénomme Oscar.
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