Un livre résultant de six années d'enquête de terrain (mars 2005-mars 2011)
La fin de vie du donneur d'organes a longtemps été un thème tabou en France. Elle l'est toujours dans certains cercles de chirurgiens transplanteurs et d'associations de collecte d'organes financées par les grands laboratoires pharmaceutiques fabricants de médicaments immunosuppresseurs (que doivent prendre les greffés à vie), type France ADOT. D'où un paradoxe qui interpelle : dans le discours public, le potentiel donneur d'organes est mort. Dans la vie réelle, là où se déroulent les faits, donc en milieu hospitalier, on est loin de ce joli conte : le potentiel donneur d'organes est en fin de vie, les traitements pour maintenir ses organes vitaux en bon état de conservation en vue d'une greffe modifient sa fin de vie. Le fait que le discours public sur le don d'organes est biaisé perturbe les soignants ...
Les mentalités changent ...
Le salon de la mort qui s'est tenu en avril 2011 au Carrousel du Louvre à Paris confirme ce fait : les gens sont prêts à réfléchir sur le thème de la fin de vie, ce thème concerne aussi le don d'organes. "Comment font-ils pour récupérer des organes en état de marche sur des morts ? Je me suis toujours posé la question" ... Voilà ce qu'on pouvait entendre ... Une question de bon sens, à laquelle le discours public sur le don d'organes se garde bien de répondre, et pour cause : le consentement au don de nos organes à notre mort est inscrit dans la loi en France ... un consentement obligatoire en quelque sorte, qui ne dit pas son nom : on parle de consentement présumé. Comme si on pouvait disposer de notre corps en fin de vie sans respecter nos volontés, pour prendre les organes ... Ce consentement obligatoire, ou extorqué à notre insu, choque le monde des juristes (médecins experts auprès des tribunaux y compris) en France ... ils se sont exprimés lors d'une conférence au Salon de la mort ! ... Je l'avoue, que le discours public sur le don d'organes soit financé en grande partie par les laboratoires pharmaceutiques fabricants de médicaments immunosuppresseurs et que notre consentement soit présumé me choque ... je ne suis pas la seule, c'est ce que j'ai découvert au cours de ces six années d'enquête de terrain : des proches confrontés à la question du don d'organes, des directeurs marketing de Dassault Santé, d'IBM Worldwide, de Microsoft, et même d'Apple (ce n'est pas parce que Steve Jobs a reçu une greffe du foie, bien au contraire, il faut d'autant plus rester vigilant sur l'éthique ...) le sont aussi ... Des médecins législateurs, comme le Dr. Jean Leonetti, auteur de la loi sur les droits des malades en fin de vie (avril 2005), très impliqué dans la révision toute récente des lois bioéthiques réglementant l'activité des transplantations d'organes, la sénatrice de Paris Marie-Thérèse Hermange, la pionnière de la greffe de sang de cordon, le Pr. Eliane Gluckman, le Pr. Robert Donald Truog, spécialiste de la mort encéphalique à la prestigieuse Harvard Medical School de Boston, USA, le sont aussi ... La liste est encore longue ... En mars 2010 paraissait un ouvrage dans la prestigieuse collection Nrf de Gallimard à ce sujet : le discours public sur le don d'organes est biaisé. Le sociologue de la Sorbonne Philippe Steiner parle de "marketing social du don" ...
Le discours public sur le don d'organes est biaisé, et alors ? C'est pour la bonne cause ...
Il commence à y avoir un malaise chez les soignants ... témoin l'enquête OPTIDO lancée en septembre 2010 auprès des soignants en général et des acteurs des transplantations en particulier afin de recueillir leur opinion sur l'activité des transplantations d'organes. A lire cette enquête, il est clair que la médecine de transplantation n'est pas une médecine comme une autre ... les problèmes d'éthique, de déontologie médicale, sont complexes, ce que bien sûr le grand public ignore ... Plus pour longtemps ... La pression pour trouver des organes à transplanter est maximale, elle est subie par l'ensemble des soignants (et non plus par les seuls médecins réanimateurs) au quotidien : les greffes sont économiquement rentables, 15.000 patients attendent ... Une telle pression, qui s'est installée sur des années, ne pouvait que conduire à biaiser le discours public, à ralentir la recherche d'alternatives à la greffe, qui existent pourtant : l'assistance circulatoire mécanique, sorte de micropompe pour assister un coeur défaillant, opérationnelle depuis 2004 mais encore trop peu utilisée, de l'aveu même des spécialistes et des revues scientifiques comme le New England Journal of Medicine - la transplantation cardiaque constitue la vitrine du Don, réclamer un coeur c'est plus sexy que réclamer un pancréas ; la recherche sur les cellules souches contenues dans le sang de cordon ombilical, à haut potentiel thérapeutique, or les banques de sang de cordon peinent à se développer en France, où en 30 ans rien n'a bougé, on commence tout juste à se réveiller ... Sans compter les alternatives à la greffe pour demain, déjà dans le tuyau : M. Jean-Michel Billaut, ancien conseiller auprès de Jacques Chirac sur les nouvelles technologies, m'écrivait hier : "Je viens d'apprendre que les Australiens mettent au point des imprimantes 3D bio pour fabriquer des organes humains (donc plus besoin de transplantations ...?)" ... Il s'agit de la société Organovo ... On pourrait aussi parler du coeur artificiel de chez Carmat ... résultat d'une coopération entre le Pr Carpentier (chirurgien cardiaque à l'Hôpital Européen Georges Pompidou) et la société Matra ... déjà une cotation en bourse depuis l'été 2010 pour Carmat, qui a brillamment réussi son entrée en bourse ... C'est que le marché mondial de l'insuffisance cardiaque (sévère) est immense ... Dans un contexte où les alternatives à la transplantation d'organes ne sont plus des blagues de science-fiction mais se profilent déjà comme réalités - tangibles - il est permis de s'interroger sur tous les témoignages recueillis sur six ans et émanant de proches confrontés à la question du don d'organes : beaucoup ont l'impression qu'on leur a forcé la main, qu'ils ont dû faire un sacrifice ... lourd ... et méconnu de la société ... largement sous-estimé ... Le discours public sur le don d'organes vise à instaurer une transgression en norme ... il est donc normal de sous-estimer le sacrifice que représente le don des organes vitaux d'un proche se trouvant dans un état jugé irréversible ... Demain et après-demain, quand les alternatives à la transplantations d'organes seront mises en place, comment jugera-t-on le discours public sur le don d'organes d'hier et d'aujourd'hui ? ... Cette question, j'ai souhaité la poser dès aujourd'hui ... avec déjà quelques éléments de réponse ...
Greffer des organes, c'est bien ; greffer un visage, c'est mal
Il est des clichés qui ont la peau dure ... Le calcul est simple : la greffe rénale est économiquement rentable, elle économise à notre Sécu et à son célébrissime trou entre 9 et 12 ans de dialyse par patient greffé (moyenne nationale, source : Agence de la biomédecine). Or les deux tiers des quelque 15.000 patients en attente de greffe en France attendent ... un rein. Il faut donc industrialiser la greffe rénale ... quitte à décrier les autres types de greffe, de peur que l'opinion publique n'accepte pas bien la transplantation faciale et que ce rejet vienne "éclabousser" la greffe rénale ... Surtout ne pas décourager les bonnes volontés ... Alors tant pis pour la transplantation faciale, qui, pourtant, ne deviendra jamais une industrie en France (où nous n'avons pas eu la guerre d'Irak) ... Peut-on vivre quand on n'a plus de visage ? "Ce que nous avons de plus profond, c'est la peau", écrivait Paul Valéry ... La peau, les organes, quelle différence quand on a perdu la face ? La dialyse en attendant un nouveau rein, ce n'est pas une partie de plaisir, mais la défiguration qui interdit toute vie sociale non plus. Et si la transplantation faciale dérangeait, car elle nous rappelle le vrai visage de la médecine des transplantations : une médecine de la transgression, que l'on travaille depuis les années 80 (donc depuis que les médicaments immunosuppresseurs fonctionnent, certes avec de redoutables effets secondaires) ... à faire passer pour la Norme. Le Don c'est la Norme. Sauf que ... Regardons ce que disent les religions. Vous allez être surpris ...
Don d'organes et religions : une sacrée question ...
France ADOT répète que les grandes religions monothéistes sont toutes en faveur du don d'organes. Malaise ... Le Pr. Bernard Debré, médecin député UMP, a été personnellement confronté à la question du don d'organes et sait que les choses ne sont pas si simples. Voyez plutôt : à Monaco, la religion catholique est inscrite dans la constitution ... elle interdit le morcellement du corps, donc aucun prélèvement d'organes dit "post-mortem" n'a lieu sur la Principauté ... mais à Nice, ville voisine, on compte quatre centres hospitaliers autorisés par l'Agence de la biomédecine à effectuer de tels prélèvements ... Pour les Musulmans, on doit être enterré entier ... Pour les bouddhistes (Chine, Inde, Tibet, Malaisie, etc.), les prélèvements d'organes peuvent nuire à une bonne réincarnation ... Bref, pour toutes ces religions, le don d'organes, c'est généreux, mais ... (transgression) ...
De la pénurie au trafic d'organes : un jeu de massacre ...
10.000 transplantations effectuées chaque année en Chine alors que le système de don peine à se mettre en place (et pour cause) ... des organes qui proviennent de condamnés à mort ... La Chine, pays des 10.000 violeurs par an ? ... Le Kosovo, l'Inde, l'Europe de l'Est, la Suisse, les USA ... partout le biomarché est en place ... Là où il y a un besoin, il y a une offre ... La traite des humains pour leurs organes est une réalité, et bien sûr un danger pour la société. Pour toutes les sociétés.
Don d'organes : état des lieux
La réflexion sur la fin de vie doit inclure le don d'organes. La mort encéphalique, permettant le don d'organes dit "post-mortem", correspond à un état de coma dépassé et n'équivaut pas strictement à la mort. Il s'agit d'un constat de décès anticipé sur le plan légal, pour permettre la transplantation d'organes vitaux. Il convient d'informer le grand public à ce sujet. Le consentement présumé ne repose sur aucun fondement éthique, il faut le retirer de la loi. Le discours public est biaisé. Le don d'organes, cela sauve des vies, mais il faut laisser la place aux alternatives, ce que les grands labos pharmaceutiques suisses fabricants d'immunosuppresseurs peinent à faire depuis le début des années 90 ... Ne jamais sous-estimer la difficulté du don d'organes, qui est un sacrifice. France ADOT, "association reconnue d'utilité publique" ? Ce n'est pas aux laboratoires pharmaceutiques suisses leaders sur le marché du médicament immunosuppresseur d'en décider, mais au grand public ...
Il était temps, en dressant un état des lieux du discours public sur le don d'organes en France, de pointer vers un discours qui ne s'affranchit jamais de la promotion du Don, tout en se faisant passer pour de l'information. Il était temps de partager l'information, pour l'heure confisquée par un mandarinat (et une organisation du système de santé) 1.0 et par des intérêts économiques ... tout cela - un système gaulois 1.0 de l'information (du type "l'info c'est le pouvoir"), à l'heure de la mondialisation sauce 2.0, ne tient plus debout ...
==> "Les effets du don d'organes. Recueil de témoignages, enquête de terrain, mars 2005-mars 2011", à paraître aux Editions du Cherche-Midi. Auteure : Catherine Coste.
Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)
Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).
To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!
Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.
I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.
Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).
I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...
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Concernant les fichiers son ou audio (audio files) sur ce blog : ce sont des fichiers Windows ; pour les lire sur Mac, il faut les ouvrir avec VLC (http://www.videolan.org).
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5 commentaires:
Droits image :
http://www.techniquesmanipulation.com/manipulation/la-manipulation-17
Les laboratoires pharmaceutiques ne vont plus être seuls sur ce marche de la transplantation d'organes ... Eh oui le "don d'organes" est un business - c'est ce que disent les personnels de santé en hôpital ... Entrent maintenant en compétition ... Les vendeurs de logiciels ... qui ne vont pas être les derniers a dénoncer les abus des laboratoires pharmaceutiques car c'est dans leur intérêt ... D'autre part question abus de certains laboratoires pharmaceutiques le grand public connait déjà l'affaire du Mediator ... Grace au Dr Irène Frachon ... Il y a aussi ce rapport sur le refonte du système du médicament remis au gouvernement français fin mars 2011 par les Professeurs Philippe Even et Bernard Debre ... eux-mêmes auteurs de longue date au Cherche-Midi ...
La version anglo-saxonne de ce livre sera disponible sur l'Appstore, donc pas d'éditeur 1.0, mais une mise en vente et un format du livre 2.0 ... En toute logique, puisque M. Jean-Michel Billaut et moi-même sommes les fondateurs d'un atelier numérique version santé tout en 2.0 ...
Bonjour, je ne trouve pas votre livre sur le site internet du cherche midi. Quand sera-t-il publié ?
Bonjour et merci pour votre message. Je vous tiendrai informé(e) ...
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