Pourquoi parle-t-on d'éthique dans les transplantations d'organes ? Le discours public sur le don d'organes parle d'un seul patient : celui en attente de greffe. C'est sur ce patient que le discours public focalise toute l'attention de la société. L'autre patient, le "donneur", sans qui la ou les greffes d'organes et de tissus ne seraient pas possible(s), n'est plus un patient au regard de la loi. Il a perdu les droits de la personne, son entourage a abandonné tout droit sur ce patient devenu donneur, à des fins de prélèvements d'organes dits "post-mortem". Ce donneur constitue le revers d'une médaille, celui dont il ne faut pas parler - pas plus que de la Camarde ou de la corde du pendu.
Pourtant, les réalités des transplantations "post-mortem" sont un peu plus complexes. Dans cette affaire des transplantations, il n'y a pas qu'un seul patient, le receveur ou greffé. Il y en a un second : le donneur, qui se trouve en état de "mort encéphalique". Cet état correspond à un "coma dépassé" et n'est donc pas rigoureusement identique à la mort. Au regard de la loi, et pour que les transplantations puissent se faire, on dit qu'un patient pour lequel la médecine ne peut plus rien mais qui n'est pas encore mort (s'il l'était ses organes ne seraient plus d'aucune utilité) est un patient mort. On a donc d'un côté un patient pour lequel la médecine ne peut plus rien et de l'autre un patient qui sans l'aide d'une transplantation va décéder ou bien passer sa vie en pénible et coûteuse dialyse (les 2/3 des 15.000 patients en attente de greffe en France attendent un rein). S'il peut être équitable de prendre les organes d'un patient pour lequel la médecine ne peut plus rien pour soigner (non pas guérir, mais améliorer le confort, "donner des années à la vie et de la vie aux années", Dr. Jean Leonetti) un autre patient pour lequel la médecine de remplacement peut encore quelque chose (une greffe), il n'en subsiste pas moins une question de déontologie médicale : comment traiter le patient donneur ? Certes il est mort aux yeux de la loi. Et s'il ne l'était pas ? Ne serait-ce pas ouvrir la porte à de nombreuses "euthanasies" dans le seul but de prélever des organes vitaux ?
L'éthique est liée à la déontologie médicale (code de déontologie) : tout médecin se doit de prendre en compte l'intérêt du patient en face de lui, et non de sacrifier cet intérêt, fut-ce pour le bien d'autrui sans que le médecin y trouve son intérêt. Comment traiter le "donneur" d'organes dans le cadre d'un prélèvement d'organes dit "post-mortem" ? Si on le traite en simple réservoir, en simple commodité, où est la déontologie médicale ? Dans le cas d'un prélèvement d'organes dit "post-mortem", le constat légal de décès du donneur anticipe son décès physiologique. Sans cette équation, impossible de se procurer des organes vitaux à des fins de greffe. Comment respecter au mieux la déontologie médicale dans une situation où peuvent survenir des conflits d'intérêts entre donneur et receveur ? D'abord ne pas nuire, dit le serment d'Hippocrate. Comment expliquer ces réalités et ces questions d'éthique aux usagers de la santé, comment débattre de la déontologie des transplantations entre spécialistes tout en restant compréhensible pour le grand public ? Sans tenir compte des réalités propres aux transplantations et des exigences en matière de déontologie, on risque de faire de la "règle du donneur mort" une voie sans issue. Transformer Hippocrate en hypocrite, faire du donneur un "cochon de payeur" dans le but d'optimiser le don d'organes par n'importe quel moyen, sous prétexte que la greffe de rein est rentable (elle économise à la Sécu entre 9 et 12 ans de dialyse par patient - source : Agence de la biomédecine) risque d'avoir des conséquences délétères pour les transplantations "post-mortem", qui avant tout doivent, faut-il le rappeler, rencontrer l'acceptation sociétale.
Y aurait-il donc non pas un, mais deux patients dont le personnel de santé devrait s'occuper dans toute transplantation d'organes dite "post-mortem" ? C'est la question qu'envisage dans sa présentation intitulée "On ne meurt qu'une fois, mais quand ?" le Docteur Guy Freys, des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, à l'occasion d'un colloque :
"Donner, recevoir un organe , Droit, dû, devoir" : ce colloque s'est déroulé dans le cadre des Deuxièmes Journées Internationales d'Ethique, du 29 au 31 mars 2007, au Palais Universitaire de Strasbourg. Il a été organisé par le Centre Européen d’Enseignement et de Recherche en Éthique.
En tant qu'auteure du blog Ethique et transplantation d'organes, j'aimerais remercier le Docteur Guy Freys pour sa réflexion, si riche et si habilement présentée, avec rigueur mais sans jamais se départir d'une pointe d'humour fort bien placée, pour tout ce que cette réflexion (lourde de vécu) a pu apporter aux proches confrontés à la question du don d'organes, aux acteurs des transplantations et autres personnels de santé, aux politiques (législateurs) et aux usagers de la santé que nous sommes tous et toutes.
==> "On ne meurt qu'une fois, mais quand ?" (Visionner la présentation).
2 commentaires:
lamentable
c'est l'intelligence en coma dépassé !
Vous voulez parler des prélèvements "à coeur arrêté", ou plus exactement "sur 'donneur' en arrêt cardio-respiratoire persistant", je présume ? Pourtant, il y a des cas où ces prélèvements se justifient. Dans d'autres, c'est plus sujet à controverse ...
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