Nouveau musée Cocteau à Menton : l'art brouillon

Je suis scénariste et travaille pour un cinéaste américain très très très connu ... et je déclare solennellement ici qu'après ma mort JE NE VEUX PAS QUE L'ON PUBLIE MES BROUILLONS, OU QU'ON LES EXPOSE DANS UN MAUSOLÉE SAUCE PARISIANISME.

Cher Jean-Cocteau,

Je te connais bien, j'ai lu tous tes livres, vu tes dessins, tes peintures se cachant jusque dans des armoires de villas situées sur la Côte d'Azur ... pendant qu'à 20 ans je séchais des cours de fac ennuyeux ... J'ai même fait mes propres mélanges : "Les Enfants terribles" et "La Machine infernale" avec le "Cimetière Marin" de Paul Valéry, le tout sur un matelas pneumatique dans la grande bleue Mentonnaise, tandis que je barbotais aux côtés dudit matelas ... J'en ai passé des heures dans ce fort Mentonnais - à deux pas du nouveau musée Cocteau (celui que j'appelle le Mausolée) - où tes dessins (série "Le Pêcheur et la Mentonnaise" que j'aime tant) et autres tableaux, tapisseries et sculptures étaient entassés ... sous la garde de quelques harpies : "Il est midi moins le quart ! Le musée va fermer ! Revenez cet après-midi et rachetez un ticket d'entrée, celui de ce matin n'est plus valable ! Vous voulez acheter quelque chose dans la boutique du musée ? Il faut que vous achetiez un ticket d'entrée pour le musée d'abord !" ... Avoue que ces harpies te font marrer ...

Dimanche 4 mars 2012. Jour de visite gratuit pour "Lenouveaumuséecocteau" (photo) ... Mon mari et moi allons voir, parmi une foule de retraités ... Il n'y a que des brouillons de Cocteau, des confidences écrites et semi-raturées sur brouillon ... Dans ce superbe mausolée, baigné de lumière, tout est en noir et blanc. En noir surtout ... Dans ce mausolée il fait un jour triste comme une cure de désintoxication, de celles que tu as traversé pour avoir usé et abusé de l'opium ... On dit que les artistes sont des êtres sensibles. Sensible ne veut pas dire fragile ... Aucun tableau de Cocteau dans ce mausolée du dernier chic ... Les Américains les ont tous achetés ; si vous voulez les voir, allez au musée à Philadelphie, par exemple ... Cocteau n'est pas là, il a déserté son nouveau mausolée, et je comprends pourquoi. Il est indigné. Cela me fait penser à cet éditeur allemand qui se gobergeait, il y a quelques années, de publier les brouillons de l'écrivain Franz Kafka et de vendre ces volumes fort cher ... Pourtant autour de moi tout le monde s'extasie ... Oh ! ... Ah ! ... Mon mari, lui, n'est pas dupe. "La seule chose que les gens vous prêtent sans y réfléchir à deux fois, ce sont les mœurs légères", écrivait Cocteau ... Il aurait tout aussi bien pu écrire : "En y réfléchissant à deux fois, vous finirez par prêter au Marketing du brouillon, ce Tartuffe de la culture, des mœurs bien légères " ...

Cela me fait curieux, de voir ces retraités se pencher d'un air gourmand sur ce grand déballage ... Sensation peu agréable, je me réfugie au Fort ... Là, plus d'entassement comme avant ... certains objets d'art - dessins et autres tapisseries - ont filé au Mausolée ... Ne reste que la série "Le Pêcheur et la Mentonnaise" ... On y respire mieux ...

Jean, tu es là, tu regardes le film tourné après avoir peint - décoré - tagué la Villa Santo Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferat ... ou plutôt, tu jettes un œil amusé sur la projection, de temps à autre ... Tu t'y es bien amusé, dans ce film ... "A mon âge, on n'a plus le temps de prendre des vacances. Les vacances, c'est le travail. Quand je dessine, je dessine. Quand je peins, je peins ..." Tu nous expliques tout cela en effaçant tes dessins, en jouant à la pétanque à rebours, tu affirmes que ton cheval et ton lion "s'entendent à merveille" - des figurines que tu chevauches en leur faisant manger un sucre, tout en nous expliquant que malgré ton travail tu trouves le temps de monter à Lyon ... A la sortie de la projection, je retrouve mon mari. Lui explique que je t'ai vu. Mais je n'ai pas vu que mon mari avait assisté à cette projection ... ni que pendant une demi-heure, il était assis à deux places de la mienne ...

Pour ce petit tour de passe-passe, Jean, permets-moi de t'offrir ce e-sucre ...