Hier, l'Atelier e-santé a été faire un tour à la très riche Journée de la Télésanté 2012, organisée par le CATEL ... C'était (un des lieux possibles pour assister à cette Journée) au Ministère du travail et de la santé ... La télésanté, ce sont les systèmes d'information en santé, que ce soit au service des médecins et autres soignants (chirurgiens, infirmiers) - dans ce cas on parle de télémédecine - ou bien au service des patients (suivi à distance d'affections de longue durée et autres maladies chroniques, prévention) - et dans ce cas on parle d'e-santé ... Bref, il s'agit du numérique dans la santé, et le CATEL est le Club des Acteurs de la Télémédecine ... Ce sont des institutionnels qui regroupent des médecins et industriels de la santé. Des initiatives locales sont mises en avant afin de faire école ... Je résume ici beaucoup d'entretiens et de nombreuses présentations s'étant déroulés hier ... De fait, nous croulions sous les présentations d'initiatives régionales (le CATEL est d'origine bretonne, mais une bonne dizaine de régions françaises ainsi que Bamako (Mali), le Québec francophone du Canada, Cayenne, Papete étaient présents sur écrans ... Cette année, tout nouveau partenariat du CATEL avec la e-santé américaine ... Le CATEL fait en une journée ce que fait le Billautshow sur l'année ... Relayer des initiatives innovantes, en l’occurrence dans le domaine de l'e-santé et de la télémédecine, par interviews diffusés en direct sur des écrans dans des salles où sont réunis les participants et spectateurs de cette Journée, dans différentes régions de France et dans différents pays ... Le CATEL croit à la coopération entre pays ... Sur un écran géant, on voit les différentes salles dans les différents pays et régions participants, il suffit de coordonner l'intervention des divers participants et l'échange interview-questions-réponses peut se faire sans que cela soit la cacophonie ... Bien sûr nous n'avons pas le très haut débit internet en France, donc quelques problèmes de temps à autre, il fallait "rebooter" l'ensemble, mais disons que c'était tout à fait audible et regardable ... En Roumanie tout le pays est fibré (Internet à très haut débit) ...
Mais prenons les choses dans l'ordre de leur déroulement : je suis arrivée au Ministère du travail et de la santé dans le 7e arrondissement, lieu que j'avais choisi pour participer à cette journée en m'y inscrivant en ligne ... Je monte au 6ème étage, accompagnée par une consultante qui travaille pour l'ASIP Santé ... Elle me dit que le Dossier Médical Personnalisé (la dématérialisation ou numérisation du dossier patient) est un tonneau des Danaïdes : plein d'argent investi, résultat voisin de la catastrophe (le DMP entame sa 12ème année zéro) ... Arrivées au 6ème étage du Ministère, là où se tient la réunion, nous sommes accueillis par Jazz, le robot de téléprésence de la société française Gostaï (leurs concurrents sont essentiellement américains) ... Ce petit robot d'un mètre et quelques permet à des néphrologues débordés de pouvoir être "présents" auprès de patients dans les centres de dialyse rénale sur toute la France ... Les centres de dialyse sont donc un marché important pour Gostai (prononcer Gostaï) ... Qui est Jazz ? Réponse ici ... Jazz n'est d'ailleurs pas inconnu de l'auteur du Billautshow, qui en décembre 2011 a eu l'occasion de s'y glisser (voir) ... pour participer virtuellement à un congrès de Geeks : le Web 11 ... Lors de cette journée du CATEL, le représentant de Gostai explique le vrai plus apporté par le robot de téléprésence lors de séances de dialyse : les patients peuvent "voir" leur néphrologue, grâce à Jazz ... et cela change tout pour eux ... "Le Docteur est passé faire sa ronde, je l'ai vu", entend-on ... Au Ministère ce jour-là se trouve aussi le seul représentant France et DOM-TOM de Panasonic, pour la visioconférence ou vidéoconférence 3D ... Panasonic Visioconférence HD ... Je me fais remarquer en lançant : "Ooohhh ! On se croirait dans Avatar !", mais suis vite ramenée aux réalités de cette journée : "Plus concrètement, cela sert à des médecins pour ausculter leurs patients à distance", m'explique patiemment le représentant Panasonic France, Olivier Cauet ... Je tiens à le féliciter pour sa présentation du "produit", le montage de film en 3D était excellent et me laisse un souvenir durable (je travaille comme scénariste pour DreamWorks et Tim Burton et suis fan absolue d'Avatar en 3D) ... Sur ce nous sommes rejoints par Patrick Chardin, de chez Chardin Génération Média, un routier de la télémédecine en France (visioconférence, sécurité réseau), qui part s'installer à Londres prochainement ... Les déficits du budget santé y sont énormes, mais l'innovation et la volonté d'innovation sont plus marquées par la niaque qu'en France ... j'explique à Patrick et à Olivier que je faisais partie de la micro-équipe ayant implanté la chirurgie mini-invasive assistée par ordinateur en Europe (avec image en 3D HD) entre 2000 et 2004 ... et qu'à ce titre, ai bien malgré moi été au premier rang pour voir les blocages institutionnels en France pour l'innovation en santé ... rien n'a bougé depuis ou si peu ... cela m'a été confirmé par de nombreux interlocuteurs hier, y compris par l'Armée, qui prépare une opération expérimentale de téléchirurgie sur un navire en mer : un chirurgien non spécialiste y opérera un patient, il sera coaché à distance par un chirurgien neurologue qui lui servira de mentor et le guidera tout au long de la procédure chirurgicale ... Le compagnonnage à distance est appelé à se développer, m'explique mon interlocuteur qui travaille au Ministère de la Défense ... tandis que la téléchirurgie (opération d'un patient par un chirurgien se trouvant dans un autre pays que le patient qu'il opère à distance), elle, bien qu'ayant fait la une des médias, reste coûteuse et peu efficace ... en raison (entre autres) de retards et autres infimes délais dans la télétransmission des gestes opératoires (débit internet trop lent) ... Pas le temps de prendre un café (je suis pourtant debout depuis 5 heures du matin pour travailler sur un scénario avec ma co-scénariste de Tokyo, nous utilisons Skype quand nous ne nous trouvons pas dans le même pays), je rentre dans la salle où sont les écrans montrant les interviews d'acteurs innovants dans la télémédecine et e-santé ... Impossible de tout vous décrire ici ... Le CATEL mettra quelques extraits vidéo de cette Journée-fleuve en ligne d'ici peu ... On peut parler du suivi en cardiologie à distance, de téléconsultations en psychiatrie, de prise en charge de patients atteints d'un AVC (accident cardio-vasculaire nécessitant une prise en charge médicale ultra-urgente), de téléenseignement pour la pose d'électrodes par des personnes qui n'y connaissent rien mais se trouvent près du patient ayant besoin de soins urgents car ayant fait un malaise ou arrêt cardiaque ...
J'ai enregistré l'intervention de cette infirmière qui nous a parlé d'enseignement en visioconférence pour la cicatrisation des plaies : cela se faisait déjà au Canada ; cela se met lentement en place en France : une infirmière expérimentée explique (par visioconférence) comment soigner des plaies à des infirmières situées dans d'autres établissements de santé et qui ne sont pas formées pour s'occuper de plaies plus ou moins bourgeonnantes et/ou récalcitrantes (lésions cancéreuses et autres réjouissances, plus ou moins douloureuses pour les patients) ... Comment cette infirmière s'organise-t-elle ? Ses collègues peu expérimentées lui envoient les photos des plaies quelques jours avant la visioconférence (écouter la suite) ... Les infirmières libérales qui ont adhéré à ce réseau de téléconsultation sont rémunérées à hauteur de 14 EUR la consultation ... Or il faut savoir que l'infirmière cadre, elle, n'est pas payée pour son activité de téléenseignement ... On arrive là au cœur de ce qui a fait cette journée : l'usage du numérique dans la santé n'est ni défini par un business plan, ni tarifé ... Les libéraux n'en veulent pas (peur qu'un iPad leur pique leur boulot ??) ; les médecins hospitaliers font des téléconsultations s'ils peuvent être payés, parfois en tant que salariés ... Bref, nous avons assisté à une longue et frustrante liste de doléances de la part de ces acteurs de la télésanté qui ne savent pas définir leur action selon un modèle économique à l'échelle du pays ... Pour ce motif, l'Assurance Maladie (ou la CNAMTS, qui s'occupe de valider ou d'invalider les demandes de remboursement ou de financement de projets innovants auprès de la Sécu, et a le pouvoir de bloquer des dossiers) n'est donc que trop contente de bloquer le remboursement desdits dossiers ... très très très souvent, d'après ce qui a été dit par tous les intervenants (la Sécu n'était pas représentée à cette journée du CATEL, qu'on pouvait pourtant suivre au Ministère de la santé) ... J'ai eu envie de descendre quelques étages et voir si je pouvais ramener quelqu'un du CNAMTS par la peau des fesses ... Les financements ponctuels et sporadiques utilisent des montages financiers qui relèvent du bricolage du dimanche, selon l'humeur du moment : un peu de financement par les régions, un peu de budget de recherches de l'hôpital, un peu de bénévolat de la part du médecin, un peu de financement par une ou deux Agences Régionales de Santé (ARS) ... La recette du hasard et de l'éphémère, de l'aléatoire, bref tout le contraire d'un montage financier pérenne et reproductible à l'échelle nationale (industrialisable) ... Chacun fait ce qu'il veut et ce qu'il peut dans son coin et cela part dans tous les sens ... avec à chaque fois l'idée bien ancrée chez les soignants et patients que l’État doit payer pour tout et qu'il faut envisager la santé en termes de coûts (avec la menace omniprésente de récession économique par la dette de santé) et non en termes d'opportunités de croissance économique par le développement d'acteurs innovants français sur le marché du numérique dans la santé ... Le numérique dans la santé, c'est Tintin chez les Soviets ...
Voici donc les freins à l'utilisation du numérique dans la santé :
1) Pas de modèle économique
2) Pas d'industrialisation : chacun bricole dans son coin, plus ou moins bien, quitte à réinventer la roue. Cela part dans tous les sens ... Que fait l'ASIP Santé ? Pas grand-chose ... Là aussi j'ai eu envie de descendre quelques étages et de ... Le portail internet de l'ASIP est aussi ronflant que leur action est nulle ...
3) Fortes inégalités d'accès aux soins : la France du Nord a les malades ; la France du Sud a les médecins (c'est à peine caricaturé paraît-il) ... Le manque d'accès au soin de toute une partie de la population (pour raisons financières) tire la croissance de la santé vers le bas ... Comment compenser et rétablir un équilibre plus égalitaire ? Par la télésanté, pardi ...
4) Les professionnels de santé libéraux ne veulent pas utiliser ces nouvelles technologies, par peur de perdre leur travail ... D'un côté nous avons des Docteurs Tout-Seul ; de l'autre nous avons le "staff" hospitalier universitaire qui fait de la médecine collégiale et participative ... Devinez qui des deux a raison, dans le monde d'aujourd'hui ...
On utilise Skype sur son iPhone pour prendre rendez-vous avec des copains pour organiser un samedi soir festif ; pour des choses un brin moins frivoles comme la santé (maladies aiguës et chroniques) là cela coince ... Choquant ... à tel point que l'auteur du Billautshow a laissé une jambe dans la mauvaise organisation du système (il n'est pas content) ... Un des acteurs du CATEL était interviewé sur ce manque de modèle économique pérenne de toute la télésanté gauloise ... c'est ici ... Les acteurs de la télésanté pensent que les soignants vont se trouver débordés face aux usages : les patients vont utiliser leurs tablets et autres SmartPhones pour autre chose que pour organiser leur samedi soir entre copains ou amoureux ...
J'ai été très contente de pouvoir échanger avec Gérard Comyn, membre actif du CATEL et à mon avis très calé et peut-être un brin moins langue de bois que certains de ses collègues (avis qui n'engage que moi) ... Intervenir en faisant du lobbying à Bruxelles pour imposer une décision estampillée "Europe" sur la France a peu de chances de marcher. Gérard croit plus en la coopération de pays à pays ... Le Danemark pour l'organisation participative de l'ensemble du parcours de soin, qui marche très bien là-bas, et l'Allemagne, pour le modèle économique d'e-santé ... Ce sont de bonnes pistes. Gérard a travaillé pour des commissions européennes et en connaît rouages et blocages ; il a aussi vécu et travaillé en Allemagne ... Rejointe par un photographe "people" qui travaille aussi pour le CATEL, je parle d'un projet de film grand public pour montrer les blocages dans l'organisation de notre système de santé gaulois ... Le photographe y va de son histoire personnelle sur la désorganisation de notre système de santé (son neveu opéré à 10 ans pour rien et qui a failli se retrouver avec une poche, toujours à dix ans ..., je vous passe les détails, c'est une longue histoire qui s'étale sur plusieurs années, problèmes de maladie nosocomiale inclus ...) Ledit photographe me dit qu'il faudrait faire des "caméra cachées" ... Il ne croit pas à la fiction pour remplir cette mission d'information des masses, mais au documentaire, sauce "envoyé spécial" ... Il a raison ... Je passe le relai à d'autres : mon domaine c'est la fiction ... Je ne sais pas écrire des documentaires, et suis déjà sous l'eau avec mes projets actuels ... Ceci est bien un appel du pied à quelques journalistes-reporters courageux, je sais qu'il en existe en France ... Au passage une considération d'ordre personnel : j'ai beaucoup investi de mon temps pour l'innovation chirurgicale en France quand j'étais à Intuitive Surgical Europe ... Cela me désole de voir qu'aujourd'hui, près de 10 ans plus tard, les choses n'ont pas bougé, ou si peu ... Mes patrons chirurgiens, qui se sont spécialisés dans les techniques de chirurgie innovante, peu chères, comme la chirurgie endoluminale ou passant par les voies naturelles, ou très chère (la chirurgie robotique ou assistée par ordinateur) sont partis aux USA, las d'attendre en vain une prise en charge des nouvelles techniques chirurgicales par la Sécu (merci la CNAMTS, j'ai les noms) ... A l'heure du chômage et de la crise, les institutionnels, bien à l'abri dans leur poste, voient la santé en termes de coûts et non en termes d'opportunités de croissance pour la France ... Tous les intervenants d'hier l'ont dit : des administratifs et institutionnels énarques ou autres bloquent la croissance en santé et en e-santé ... La société est figée ... Au salon Documentation, CNIT Paris La Défense mars 2012, j'ai rencontré des patrons de petites entreprises souhaitant se lancer dans un projet santé en France, et désespérant d'y parvenir ... Aux appels d'offres sur le site internet du ministère de la santé, ceux qui raflent la mise sont souvent des filiales de grosse entreprise, Orange Healthcare pour ne pas donner un exemple ... A ces petites entreprises j'ai conseillé de contacter StarGen Consulting, consultants innovants en santé, s'appuyant sur des initiatives régionales pour développer l'e-santé ... Je leur ai surtout DÉCONSEILLÉ DE LAISSER LEUR DOSSIER A L'ASIP SANTE qui va leur faire des promesses pour garder leur dossier et ... l'enterrer ... J'appelle cela la stratégie du "baiser de la mort" ... A moins d'être une filiale d'Orange ... "Vous connaissez bien la France", m'a fait remarquer un consultant en e-santé qui écoutait mes propos hier ...
En redescendant à pied les 6 étages du Ministère, un silence de mort ... Pas de téléphone qui sonne, pas d'activité ... quelques secrétaires ou autres dames charmantes et bien élevées vous disant bonjour quand vous les croisez dans les couloirs ... le calme plat ... Cela roupille dans les couloirs des ministères en e-santé ... En arrivant dehors, je tombe sur une manif de l'hôpital public, devant le Ministère ... un syndicat ou deux, quelques grappes de gens hurlant des slogans dans un haut-parleur ... On les entend à peine à l'intérieur du Ministère, dont les murs sont bien épais ...
Contacts :
Patrick Chardin à Chardin Génération Média (Paris). E-mail : chardin@chardin.fr
Olivier Cauet, Panasonic France et DOM-TOM (Gennevilliers). E-mail : olivier.cauet@eu.panasonic.com