"Instrumentalisation de la détresse des malades d’abord, puisque l’on cache une revendication qui a pour objet essentiel de créer un droit à la mort derrière une soit disant solution au problème de la souffrance. Cette forme d’instrumentalisation a été portée jusqu’à la caricature par la 'manipulation' dont Vincent Humbert et sa mère ont été les victimes. Comment ne pas tenir compte du témoignage de la mère de Vincent, publié par Le Parisien du 6 mars 2007, qui affirme que Jean Cohen, ancien président de l’ADMD, lui a donnée des 'conseils' lorsqu’elle était à Berck-sur-mer ? Médicalement, on s’interroge. Comment ce jeune homme, victime d’un traumatisme crânien sévère et ayant fait plusieurs mois de coma, porteur de séquelles qui telles que décrites dans son livre ressemblent à un atteinte motrice sévère et bilatérale d’origine centrale associé à une cécité corticale, a-t-il pu écrire un livre qui reprend tout des thèses de l’ADMD ?"Cette instrumentalisation est facilitée par le fait que la mort serait taboue dans la société :
"Il ne fait plus bon mourir dans notre société. Mourir est devenu indécent. Mourir doit se passer dans un milieu confiné, à l’hôpital, dissimulé au regard de l’autre, comme si la mort devait être niée. La grande majorité des jeunes n’ont jamais vu un mort. La plupart des jeunes n’ont jamais accompagné un mourant. Les malades meurent souvent seuls dans l’anonymat de l’hôpital. Comment nos concitoyens peuvent-ils encore appréhender ce sujet difficile en de telles conditions ? Dans ce contexte, la proposition qu’il leur est fait de 'zapper' cet épisode douloureux au plus vite leur apparaît sans doute comme une alternative crédible. Est-ce là vraiment un chemin de vie ?"D’autres témoignages attestent cette impression de solitude que les médecins hospitaliers des urgences ou d’un service de réanimation ressentent, face à ces patients esseulés qui viennent mourir à l’hôpital (aux urgences notamment) :
Du 12 au 16/02/07 sur France 5, la rubrique "7 minutes pour une vie" (magazine de la santé) était consacrée au service des urgences de l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. Ces mini-documentaires, pris sur le vif, montraient l'urgence d'une réflexion de la part de l’usager de la santé sur les structures hospitalières et sur la mort pour aujourd’hui et demain. Pour les spectateurs de ces mini-documentaires, il est flagrant qu’infirmières et médecins aux urgences tentent (seuls !) d’organiser la désorganisation, et qu’au bout du compte, il reste comme un arrière-goût d’insatisfaction et de souffrance. Réaction du Dr. Marc Andronikof, qui dirige ce service des urgences, face à ces propos :
"Hélas, c'est aussi l'impression que nous avons. Etre très seuls face à la désorganisation générale. Et encore toute mon équipe qui a regardé l'émission a trouvé que les images étaient étonnamment calmes et ne reflétaient pas le bazar que nous vivons (mais que l'on essaye d'organiser, finalement on y arrive un peu)."Zapper la mort, c'est être socialement correct vis-à-vis de ses collègues et de ses supérieurs au bureau. Mieux vaut parler investissements et voyages au soleil que deuil et accompagnement d'un mourant, surtout si on est en quête de promotion sociale et professionnelle. Or cet état de fait empêche l’usager de la santé de réaliser la complexité des questions soulevées par le mourir. L'euthanasie, les transplantations d'organes, la médecine régénérative de demain : en quoi ces thèmes très différents seraient-ils liés ? Réfléchir à la mort en relation avec ces trois thèmes ? Vaste programme que celui de réfléchir, par exemple, à la relation entre les transplantations d’organes d'une part et la régénération des tissus et la restauration des organes à partir des cellules souches d'autre part... Or ces sujets ne permettent pas de faire l’économie d’une réflexion sur la mort, si on veut en comprendre les enjeux.
Qui, parmi les usagers de la santé, a l’idée de faire le lien entre ces trois sujets, qui n’ont à-priori rien à voir : Les transplantations, l’euthanasie, les cellules souches, tout cela serait lié ? Comment ??
Le Docteur Martin Winckler, dans son article intitulé "Le paternalisme médical français interdit tout débat sur l’euthanasie" (mis en ligne le 13 mars 2007), écrit :
"Don et prélèvements d’organes sont présentés par les services de
transplantation comme étant louables et susceptibles de sauver des vies, mais
ils taisent (ou feignent d’ignorer) que le médecin va choisir de maintenir en
vie un patient 'en état de mort cérébrale' afin de prélever ses organes.
Maintenir un patient en vie artificielle pour lui retirer le coeur, les poumons,
le foie ou les deux reins est une procédure qui n’est pas dénuée de sens
symbolique, même si c’est pour tenter de prolonger la vie d’un autre
patient."
Le suicide assisté, qui est une forme d’euthanasie, est présenté sous un jour négatif en France (où cette forme d’euthanasie est interdite par la loi), tandis que les prélèvements d’organes sur donneurs mourants sont présentés sous un jour extrêmement favorable (le don d’organes sauve des vies). Le Dr. Winckler met en regard l'euthanasie et les prélèvements d'organes, et dénonce une incohérence, une hypocrisie :
"On ne comprend pas bien pourquoi le maintien artificiel d’une vie pour
les prélèvements d’organe serait justifié parce que le patient l’a autorisé,
tandis que la mort accompagnée d’un patient lucidement fatigué de vivre et qui
en émet le désir serait, en revanche, inacceptable."
"La volonté de mourir à une heure choisie par le médecin (en fonction
des nécessités du prélèvement) ne serait-elle recevable que pour les donneurs
d’organes en mort cérébrale ? La mise à disposition du corps ne serait-elle
justifiable que par l’existence d’un 'bien supérieur' ? On retrouve ici
l’aversion séculaire des pays catholiques (même lorsqu’ils se déclarent laïcs)
envers toute forme de mort volontaire. Aux yeux du corps médical, la décision
d’un patient sain qui choisit de faire un don d’organes a beaucoup plus de
valeur que celle d’un patient gravement atteint qui désire ne pas continuer à
vivre.
Aux yeux de l’Eglise catholique, les greffes d’organes sont
acceptables ; la mort volontaire ne l’est pas."
Les dures réalités des prélèvements d’organes sur donneurs "décédés" (plus exactement : engagés dans un processus de mort dont l'irréversibilité a été médicalement diagnostiquée) ne peuvent se résumer aux dogmes de la générosité et de la beauté du don. Il existe un malentendu voulu et entretenu par le discours public sur le don d’organes : les transplantations (prélèvements et greffes) sont dites éthiques car elles "sauvent" des vies. Le problème, c’est que le "don" n'est jamais présenté comme un produit de la médecine transgressive, dont il est pourtant issu. En effet, les prélèvements d'organes sur donneurs "décédés", de même que les avortements, reposent sur une transgression : dans les deux cas, on euthanasie une vie : un début de vie dans le cas d'un fœtus ; une fin de vie dans le cas du donneur "décédé". Ces transgressions sont permises et réalisées dans le but de poursuivre une finalité jugée comme préférable : dans le cas de l'avortement, il s'agit d'éviter le décès de nombreuses jeunes femmes qui avorteraient clandestinement, dans de mauvaises conditions. Dans le cas du don d'organes, on considère que le décès d'un patient va être bénéfique à quelques autres, en attente de greffe. Plutôt que de don, devrait-on parler de sacrifice, d'euthanasie pour le bénéfice d'autrui ? La notion de don telle qu'elle est véhiculée par le discours public évacue la violence pourtant bien présente dans la question posée aux familles confrontées au don d'organes. Cette violence contenue dans la question du don est remplacée par la notion de générosité.
L'avantage de cette approche est qu'en abordant le don d'organes dans la perspective d'un sacrifice ("approche sacrificielle", Marc Grassin), on sort du dogme du don (vision simpliste, moralisante et naïve), qui met au même niveau refus de prélèvement et négation de la générosité. Dans cette perspective dogmatique, le refus du don équivaut à une "négation morale". Or "refuser est aussi une manière de vivre ou plus exactement de sur-vivre à la proposition d’un sacrifice impossible. Refuser est aussi une manière de se sauver du chaos engendré par le conflit." (Marc Grassin, "Le don d’organe : paradoxe sacrificiel dans une culture de l’échange libéral", 2006).
Une réflexion sur la mort dans le contexte des prélèvements et du don d’organes permet d’identifier une déontologie médicale particulière, avec laquelle le grand public est très peu familiarisé : dans le cas du prélèvement des organes d’un patient "décédé" (plus exactement, dont on prévoit le décès), il s'agit pour le médecin de sacrifier l'intérêt du patient donneur, au profit de patients receveurs d'organes. Il s'agit là d'une forme de "déontologie" bien particulière et sujette à caution dans le corps médical. On voit mal comment l'entourage d'un patient qui va être "euthanasié", non dans son propre intérêt, mais dans l'intérêt de patients qui attendent de récupérer ses organes, pourrait bénéficier d'une information "neutre" : la "déontologie" particulière qui est à la base du don d'organes ne permet pas la neutralité de l'information. Le don d’organes (donneurs "décédés") constitue une transgression qui ne dit pas son nom, et se traduit par une euthanasie qui, elle non plus, ne dit pas son nom.
Une réflexion sur le constat du décès sur le plan de l’éthique dans le cadre des prélèvements d’organes permet donc de faire le lien entre la question de l’euthanasie et celle des prélèvements d’organes sur donneurs "morts". Surtout, elle permet de replacer les transplantations dans le contexte d’une médecine transgressive (évoquant les premières dissections de cadavres, ou encore la pratique de l’avortement). En rendant cohérentes l’une par rapport à l’autre la présentation de l’avortement et celle du don d’organes, il conviendrait de dire que dans les deux cas, il y a euthanasie d’une vie au bénéfice d’autrui – un début de vie dans le cas de l’avortement ; une fin de vie dans celui des transplantations.
Une autre réflexion sur ce même thème (le constat du décès sur le plan de l’éthique dans le cadre des prélèvements d’organes) permet de mettre en regard le don d’organes et la médecine régénérative (régénération des tissus et de la restauration des organes à partir des cellules souches) :
Fonder le discours public sur la notion de don d’organes plutôt que sur celle du prélèvement d’organes (sur donneur "décédé") permet de "zapper" la question de la mort. Cette stratégie, pour être socialement correcte, n’est en rien anodine : la volonté de promouvoir, donc d’avantager financièrement, le domaine des transplantations d’organes, par rapport à celui de la thérapie cellulaire, génétique (régénération des organes), transparaît clairement. Les deux formes de médecine travaillent pourtant à la même finalité : remplacer des organes malades. Pour le Professeur Bernard Debré, il est temps de sortir des "dogmes" (voir son livre paru en 2005 : "La Revanche du serpent ou la fin de l'Homo Sapiens") : les dogmes et principes avec lesquels on jongle pour justifier les transplantations d'organes (la générosité du don est l'un de ces dogmes ou principes) et affirmer la supériorité des transplantations, sur le plan de l'éthique, en comparaison avec les thérapies cellulaires et le clonage thérapeutique, seraient à revoir :
"On se demande encore si on peut se servir d'embryons humains congelés pour faire progresser les recherches de génétique thérapeutique, alors qu'on affirme qu'il est bien plus éthique de laisser attendre des milliers de malades... attendre qu'ils aient la chance de profiter de la malchance d'un autre, cet autre dont le corps n'aurait plus d'avenir sur cette terre, hors celui de sauver la vie d'un inconnu."Une stratégie de la promotion des transplantations d'organes à tout prix et pour tout prix risque d'engendrer de graves retards dans le développement de la thérapie cellulaire... Selon le Professeur Debré, affirmer la supériorité éthique des transplantations d'organes sur les thérapies cellulaires (cellules souches) et le clonage thérapeutique est hypocrite.
On ne pourra sortir des transgressions imposées par les transplantations (dépecer un mourant pour récupérer ses organes) que lorsque la médecine régénérative sera opérationnelle pour le remplacement des organes. A condition que cela marche... Encore faudrait-il que l’usager de la santé prenne conscience de ces enjeux, et que les sommes investies dans les campagnes promotionnelles sur le don d’organes trouvent un autre emploi : le financement des recherches en thérapie génétique, qui rime bien plus avec éthique qu’on ne veut bien le faire croire au grand public : est-il plus scandaleux de se jeter sur un mourant (qui ne souffre pas ? En est-on si sûrs ?) pour le dépecer afin de récupérer tout ce qui peut encore l'être (coeur, poumons, pancréas, foie, reins, tissus, veines, vaisseaux, cornée, os, intestin grêle), ou de faire des recherches sur des embryons et des amas de cellules ? Aujourd’hui, on est loin de pouvoir affirmer avec certitude qu’il est plus éthique de prélever un donneur mourant que de promouvoir financièrement les recherches visant à rendre la médecine régénérative opérationnelle. Le discours public sur le don d'organes vise à préserver les intérêts financiers en jeu : n'oublions pas que les patients greffés sont des patients très rentables pour un hôpital et pour un laboratoire pharmaceutique (beaucoup moins pour la Sécu !).
Les dogmes du don et de la générosité sont dangereux car ils font croire au public que le don d’organes est parfaitement éthique. Or la notion de don repose sur une tromperie majeure : en dernière analyse, une euthanasie au bénéfice d’autrui reste un sacrifice, et non un don anonyme, gratuit et généreux. D'autre part, les patients en attente de greffe sont pris en otage par ce système qui les condamne à attendre d'avoir la chance (l'hypothétique chance) de profiter de la mort d'autrui, en espérant qu'après la greffe ils supporteront le traitement anti-rejet etc.
Seule une réflexion sur la mort permet de comprendre à quel point les questions posées par l’euthanasie, les transplantations d’organes et la médecine régénérative de demain sont liées.
Pour pallier à ce "degré certain de déni de la mort" ambiant, Le Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement, qui vient de remettre son rapport annuel à la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, propose de s’acheminer vers un congé d’accompagnement à la fin de vie :
==> "Le Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement vient de remettre son rapport annuel à la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot" (lire).
4 commentaires:
Je cite un extrait du livre intitulé "Les éléments du corps humain, la personne et la médecine", aux Editions de l'Harmattan, 2005. Auteurs : Emmanuelle Grand, Christian Hervé, Grégoire Moutel :
"La nouvelle définition de la mort cérébrale est née en 1968 à la suite du progrès des techniques de réanimation (ventilation artificielle et réanimation cardio-pulmonaire) et du développement des pratiques de transplantation. 'Ce changement de législation a permis de résoudre le double problème que posait, d'une part la surcharge des lits occupés par des patients qui ne retrouveraient plus la conscience et, d'autre part, la demande croissante d'organes pour la transplantation. La définition de mort cérébrale permet d'annuler les obstacles auparavant légaux de deux pratiques désormais très courantes en fin de vie : la greffe d'organes et l'arrêt des soins', écrit David Rodriguez-Arias."
La loi Léonetti de 2005 (La Loi N° 2005-370 du 22 avril 2005, dite "loi Léonetti", "relative aux droits des malades et à la fin de vie") prévoit l'arrêt des soins. Mais elle n'inclut pas la pratique des prélèvements d'organes sur donneurs "décédés" dans les pratiques médicales de fin de vie qu'elle mentionne.
Un ouvrage de la collection "Regard éthique", coordonné par Sir Peter Morris et publié en mars 2003 aux Editions du Conseil de l'Europe et intitulé "Les transplantations", indique, au sujet des cellules souches embryonnaires et des cellules souches adultes [p.221]: "Il est urgent de développer les recherches sur toutes les cellules souches embryonnaires, sur embryons surnuméraires ou non, sur les cellules souches adultes, sur le sang prélevé dans le cordon ombilical et sur la moelle osseuse. Nous avons devant nous un immense espoir et de réelles avancées de la connaissance."
Vous évoquez la question des définitions de la vie et de la mort, sur lesquelles un combat sans merci se poursuit sous la pression des ultra conservateurs.
Le débat doit intégrer les dimensions éthiques sans tomber sous le joug de l’intégrisme religieux - cf récents propos de Benoit XVI sur la non pertinence des lois civiles dans le domaine des "lois naturelles":
http://blogules.blogspot.com/2007/10/le-coming-out-de-benoit-xvi.html
Les questions religieuses et philosophiques ne peuvent certes pas être évacuées, mais ce débat sur la définition de la mort est essentiellement un débat sur la définition des critères de la mort d’un point de vue scientifique. Le Docteur Guy FREYS, Département de Réanimation chirurgicale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, a fait une présentation lors d’un congrès sur les transplantations en mars 2007. Cette présentation était intitulée: "On ne meurt qu’une fois, mais quand ?" Il mentionne les questions que soulèvent ces dissentions au sein de la communauté médicale scientifique, quant à la définition des critères de la mort:
"Ce qui frappe, ce qui dérange, ce qui va alimenter la confusion, c’est que les critères retenus varient d’un pays à l’autre. Or là on ne peut pas invoquer des différences culturelles. On demande des faits scientifiques, aussi ces variétés de définition ne facilitent-elles ni la compréhension et, surtout, ni l’adhésion du grand public. Ainsi, dans certaines législations, la seule observation clinique suffira à établir le diagnostic de la mort, dans d’autres pays, on exigera un test ou un examen de confirmation pour valider le caractère irréversible de cette mort cérébrale."
Le Docteur FREYS souligne l’hétérogénéité des critères définissant la mort cérébrale, l’absence de consensus, les controverses:
"Concrètement: suivant les critères retenus dans les différentes législations, vous serez reconnu comme mort à 17h00 en Espagne dès la réalisation du premier EEG puisqu’il s’agit là des critères adoptés en Espagne, par contre dans la même situation en France, on devra attendre quatre heures de plus et réaliser un deuxième EEG pour vous décréter mort. Aux Etats-Unis, où dans la moitié des hôpitaux, les critères d’observation du tableau clinique sont suffisants, suivant les Etats, il faudra attendre 6 à 24h00 avant de vous déclarer mort." Vous voyez que la voix de la science parvient à l’usager de la santé sous la forme d’une extraordinaire cacophonie.
Pour ce qui est de la question de la religion, celle-ci défend effectivement le dogme du don. Or d’après le professeur Bernard Debré, il serait temps de "sortir des dogmes avec lesquels on jongle pour justifier les transplantations". Le don, la générosité, font partie de ces dogmes.
Le Professeur David Khayat, dans son livre "Le Coffre aux âmes"(XO Editions, 2002), parle d’un "conflit mortel entre science et religion": entre un médecin qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation (son âme, donc celle des autres) pour vous guérir, et un autre qui accompagne, soulage et guérit sans outrepasser les limites du progrès technique, médical et humain contemporain, ne seriez-vous pas un tout petit peu tenté(e) de choisir le premier ? Si c’est le cas, ouvrez donc la boîte de Pandore, celle du "Coffre aux âmes". Les "progrès" de la médecine se sont appuyés sur des transgressions: qu’on pense aux avortements, ou aux premières dissections, qui ont eu lieu dans la plus grande réticence, ou encore aux transplantations (un "mort" à coeur battant dont on prélève les organes ? ?). La médecine des transplantations, comme la pratique de l’avortement, doivent être replacées dans leur contexte: celui d’une pratique transgressive de la médecine. En rendant cohérentes l’une par rapport à l’autre la présentation de l’avortement et celle du don d’organes, l’avortement et le prélèvement d’organes étant deux pratiques issues d’une médecine transgressive, il conviendrait de dire que dans les deux cas, il y a euthanasie d’une vie au bénéfice d’autrui - un début de vie dans le cas de l’avortement ; une fin de vie dans celui des transplantations.
Quel est donc ce conflit mortel entre science et religion ? un médecin chrétien (orthodoxe) fournit un éclairage tout à fait original sur la question des transplantations et de la religion. Ce médecin a été confronté aux prélèvements d’organes sur donneurs "décédés". Il est l’auteur d’une thèse publiée en 1994 et intitulée: "Transplantation d’organes et éthique chrétienne" (Collection l’Arbre de Jessé, Les Editions de l’Ancre. Distribué par les Editions du Cerf): Docteur Marc ANDRONIKOF, chef du service des urgences à l’hôpital Antoine-Béclère, Clamart (propos recueillis entre mars 2005 et juin 2007):
"Pour ma part, si vous n’êtes pas lasse, je veux réaffirmer que depuis le début je dénonce (à mon niveau) l’hypocrisie de la mort encéphalique et le mensonge éhonté qui consiste à dire que les personnes dans cet état sont ’mortes’. Depuis le début je propose que les choses soient claires, comme celles vers quoi les Canadiens se dirigent: proposer aux familles un prélèvement ’lorsqu’il n’y a plus rien à faire’. Là c’est clair et cela correspond à la réalité. Il ya ceux qui accepteront et ceux qui ne le feront pas (les familles ne voulant pas ’transgresser’). Je pense que si les familles (la société) peuvent l’accepter, cela dénote que nous sommes dans une période de très profonde barbarie (cf. le film ’les invasions barbares’). Car la civilisation, la nôtre comme toutes les autres, passées ou présentes, se fondent sur le soin au mort. Se jeter sur un mourant pour le dépecer, oui, c’est le comble de la barbarie. On pourrait évoquer ici les dissections. La parenté est claire et celles-ci ne se sont pas faites sans grandes réticences. Mais la grande différence c’est que les gens sont morts et bien morts depuis plusieurs jours. (...) Le problème c’est que le prélèvement (...) vole la mort aux familles, vole la mort à l’agonisant lui même. La mort c’est ce qui structure la société, la civilisation, la culture, les familles, la réflexion philosophique et religieuse. Depuis toujours.
Ce qui se passe depuis la fin du XXe siècle n’est possible que parce que notre civilisation se désagrège, se déstructure. Et participer à la transformation du rapport à la mort accélère cette désagrégation. C’est un cercle vicieux qui s’est enclenché.
Alors quoi, les familles veulent croire, ou on veut leur faire croire, à une sorte de métempsychose habillée de modernité ? (...) [Le donneur ’mort’] va revivre en quelque sorte dans toutes les différentes personnes dans lesquelles ses organes auront été placés ? ? (...) Je voudrais que la pratique cesse. Que les malades arrêtent d’accepter l’illusion de l’immortalité au prix de la mort du voisin, que les familles arrêtent de se laisser faire et que les médecins arrêtent leurs pratiques barbares (et il n’y a pas que celle-là). Mais je crois plus aux familles qu’aux médecins.
En ce qui concerne la mort encéphalique (définition scientifique): l’argumentation visant à promouvoir la mort encéphalique repose sur le fait que sans coeur mais avec des machines, le reste de l’organisme continue à fonctionner, donc on dit que la personne vit. Quelle est la raison scientifique pour ne pas appliquer exactement le même raisonnement au cerveau ? Or, avec un cerveau détruit mais grâce à des machine, l’organisme continue de fonctionner. Mais on dit que la personne est morte. Pourquoi ? Mais pour permettre aux prélèvements de se faire ! Ce sont les mêmes qui définissent les règles, les appliquent et en profitent... (Savoir si les malades greffés en profitent est une autre question).
Donc des scientifiques au nom de l’avancée de la médecine ont défini un principe philosophique et théologique (l’essence de la personne est logée dans les cellules cérébrales) et on les croit parce qu’ils sont scientifiques. Si le procédé et le résultat ne sont pas une supercherie, qu’est-ce d’autre ? Contrairement aux promoteurs des transplantations qui veulent croire (et faire croire) qu’ils oeuvrent pour le bien (de l’humanité) et que seuls de dangereux monstres obscurantistes pourraient penser autre chose, je place cette affaire à la croisée de choix de civilisation, de culture, de détermination personnelle au regard de sa conception du monde (visible et invisible). Je redis ici qu’un médecin chrétien a pour mission le bien de la personne qu’il a devant lui et pas celui de l’humanité. Quand c’est un mourant, qu’il meure le plus paisiblement possible. Quand c’est un malade qu’il ait les meilleurs traitements. Et c’est là bien sûr que l’opposition se fait jour. On ne peut en sortir que si:
1) le malade ne réclame pas de guérison à tout prix, pour tout prix (et je rappelle ici (...) que même celui qui va être greffé mourra un jour, souvent pas si lointain). C’est la position qu’à mon avis devrait avoir tout malade qui se dit chrétien (au moins): poser une limite et savoir pourquoi on la pose. Ainsi ne pas accepter que la prolongation de sa maladie (car il ne s’agit que de cela) passe par le dépeçage d’un autre homme. Cela revient, en-deçà de la religion, à sa détermination philosophique devant la maladie et la mort. Notre civilisation est en train de claquer la porte à 2500 ans de philosophie après l’avoir fait de 2000 ans de christianisme.
2) d’autres thérapeutiques se développent (cellules souches ?, xénogreffes humanisées ?) qui rendent caduques les prélèvements.
Car pour le reste, il ne faut pas y compter (comme de comprendre qu’un véritable lavage de cerveau planétaire est organisé depuis 40 ans).
Dans quelques temps on nous dira en France qu’acheter et vendre ses organes c’est très bien car cela permet de contrôler le marché, le rendant ainsi éthique. Alors que jusqu’à présent c’est non seulement interdit mais considéré comme hautement amoral. Cela passera (cf article du ’Lancet’ d’il y a quelques semaines, appelant au commerce d’organes ) comme passe tout le reste. Il suffit de mettre les moyens de communication suffisants, pendant suffisamment de temps.
Ce qui était impensable car ’mal’ hier devient la norme donc ’bien’ le lendemain. Ce qui revient à ce qu’aujourd’hui méprise la veille. Et attende les lendemains encore meilleurs (perspective hegelienne et marxiste dont nous ne sommes pas sortis) donc accueille avec foi tout ce qui vient car s’inscrivant dans le progrès historique..."
Comment sortir de ce conflit mortel entre science et religion ? Dans son livre intitulé "La Revanche du serpent ou la fin de l’Homo Sapiens" et paru en 2005 aux Editions du Cherche-Midi, le Professeur Bernard Debré explique pourquoi "le franchissement de la barrière des espèces" est au centre de l’histoire de l’humanité: des guerres napoléoniennes à la grippe aviaire, en passant par la "tremblante du mouton", la "porosité génétique" s’est installée. Les transplantations d’organes et les expérimentations sur les embryons s’inscrivent dans la lignée de ce "franchissement de la barrière des espèces". Interdire ou chercher à interdire les manipulations génétiques visant à développer la médecine régénérative de demain, celle qui supplantera les transplantations d’organes, serait insensé. Dans son livre intitulé "Nous t’avons tant aimé: l’euthanasie, l’impossible loi" publié en 2004 aux éditions du Cherche-Midi (Document), le Professeur Bernard Debré revient sur les conséquences gravissimes d’un malentendu qui n’en finit pas de se développer, à l’égard du clonage: greffer, c’est bien ; cloner, c’est mal. C’est en gros ce que nous dit l’Eglise, et avec elle Benoît XVI. Or selon Bernard Debré, seul le clonage thérapeutique peut parvenir à régler la question des greffes d’organes. Demander à ce que les greffes soient déclarées grande cause nationale, c’est oublier un peu vite que les greffes représentent un problème complexe et douloureux: "les greffes d’organes, matière à la fois compliquée, à cause des rejets, et douloureuse, en raison du manque chronique... d’organes à greffer !" (ouvrage cité, p. 107). Faut-il déclarer le clonage thérapeutique grande cause nationale ? Cette question, ce débat devrait, comme vous dites, "intégrer les dimensions éthiques sans tomber sous le joug de l’intégrisme religieux"...
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