Dans l'article intitulé : "Vous avez dit : euthanasie ?", nous avons vu que le terme générique d'euthanasie englobait plusieurs situations radicalement différentes, et que de ce fait il prêtait à confusion. Ce terme signifie à la fois "action de faire mourir quelqu'un" et "bonne mort", au sens linguistique du terme. Pour ce qui est de la première acception du terme : le patient que l'on va faire mourir peut être conscient ou non, il peut donc avoir exprimé une volonté, ou bien être dans l'incapacité de le faire.
Les fins de vie (patient conscient ou non) et le suicide assisté (patient lucide, acteur de sa décision de mettre fin à ses jours) sont deux situations radicalement différentes. Les cas de figure envisagés par la loi Léonetti de 2005, "relative aux droits des malades et à la fin de vie", correspondent au premier sens du terme euthanasie (fin de vie). En revanche, les cas de suicide assisté, motivés par le désir lucide d'un patient d'en finir avec la vie, correspondent au sens de "bonne mort" que prend aussi le terme d'euthanasie (deuxième sens). La loi n'autorise pas le suicide assisté en France, contrairement à d'autres pays (USA, Pays-Bas,...) ayant légiféré sur cette question.
La Loi N° 2005-370 du 22 avril 2005, dite "loi Léonetti", se présente comme "relative aux droits des malades et à la fin de vie". Elle sert de support au processus de "décision collégiale" (famille du patient en fin de vie, équipe médicale et paramédicale) et au principe de "proportionnalité des soins" (jusqu'à quel point il peut être profitable de maintenir des soins actifs pour un patient donné) pour l'accompagnement des patients en fin de vie. Elle promeut le développement des unités de soin palliatif (accompagnement des mourants).
Pour ce qui est de l'euthanasie en France, il conviendrait donc de dire qu'il existe une législation (depuis avril 2005) concernant les situations de fin de vie, cette législation excluant néanmoins les formes de suicide assisté.
Les états de mort permettant le prélèvement des organes d'un patient "décédé" correspondent en fait à des états d'irréversibilité du processus de mort, cette irréversibilité ayant été établie d'un point de vue médical (mort encéphalique, ou encore : arrêt cardiaque et respiratoire persistant, permettant les prélèvements "à coeur arrêté"). Dire que ces patients candidats au prélèvement d'organes sont morts relève de la fiction, puisqu'ils sont en réalité des mourants faisant l'objet de soins (hydratation entre autres), maintenus dans un état de vie artificielle ou réanimés pour une courte période, le temps que les équipes chirurgicales puissent procéder au prélèvement de leurs organes. On peut se demander pourquoi la loi Léonetti de 2005 ne prend pas en compte le cas des patients "décédés" donneurs d'organes, puisque de tels cas correspondent en réalité à des situations de fin de vie, mais non de suicide assisté : le patient mourant dont on va prélever les organes ne subit pas cette opération pour son propre bénéfice, cette opération au cours de laquelle il va décéder ne va pas lui apporter la meilleure fin possible. Les patients en état de mort encéphalique, tout comme ceux en état d'arrêt cardiaque et respiratoire persistant décéderont au cours du prélèvement de leurs organes, sans pour autant se trouver en situation de suicide assisté. La prise en charge des patients en état de mort encéphalique et de ceux en état d'arrêt cardiaque et respiratoire persistant (ces deux états distincts permettant le prélèvement d'organes) devrait être prévue et encadrée par la Loi Léonetti de 2005, puisque ces patients sont en fin de vie et non morts, sans être candidats au suicide assisté. Or pour le moment, en France, on continue à dire que ces patients potentiels donneurs sont morts. Il ne saurait donc être question, dans le discours public, d'une réflexion du statut des potentiels donneurs d'organes dans l'optique d'une fin de vie, puisque ces donneurs mourants sont considérés comme de simples pourvoyeurs d'organes, et non plus comme des personnes (en fin de vie de surcroît). La loi Léonetti vise à améliorer le confort de fin de vie : le patient a désormais son mot à dire sur sa fin de vie, qui est reconnue comme un moment important.
"La loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie, complétée par les décrets du 6 février 2006, a recherché une solution éthique à l’encadrement juridique de la relation médicale entre le médecin et le malade en fin de vie. Cette loi apporte trois dispositions essentielles à la relation de soins et favorise l’expression de la volonté, discussion en collégialité :
1.) Interdiction de toute obstination déraisonnable ;
2.) Droits du patient renforcés ;
3.) Processus décisionnel en cas de patient inconscient ou arrêt des traitements reposant sur deux mots clés : Collégialité et transparence de la décision."
(source : http://www.infirmiers.com/doss/loi-leonetti.php)
Le cas d'un patient mourant dont on va prélever les organes ne peut relever de la loi Léonetti : cela équivaudrait à reconnaître à ce patient mourant des droits : le statut de personne en particulier, et non celui de simple réservoir d'organes. Ne plus reconnaître ce patient comme personne permet de pratiquer des soins qui vont à l'encontre de son intérêt, mais qui vont être bénéfiques aux patients en attente de greffe. Petite illustration de ce propos, qui va en choquer plus d'un, mais dont la pertinence ne fait aucun doute : "l'esclavage des nègres" a pu être pratiqué dès lors qu'on ne considérait plus les Noirs comme des êtres humains... Dans une époque lointaine, on disait que les femmes n'avaient pas d'âme...
En France, le fait de parler de donneurs légalement morts permet d'évacuer ce problème fort délicat : le prélèvement d'organes sur donneurs mourants n'est pas fait dans l'intérêt des donneurs ("Au mieux, on est au pire de l'acharnement thérapeutique", Dr. Andronikof). Parler de donneurs mourants présupposerait qu'on s'interroge sur le statut de ces donneurs, qu'on leur reconnaisse le droit à une fin de vie qui soit la meilleure possible pour eux (le but que poursuit la loi Léonetti). Ce droit est incompatible avec le statut de donneur d'organes mourant. Qui accepte de faire don de ses organes à sa mort doit en même temps renoncer à son statut de personne à sa mort, puisque les soins invasifs pratiqués sur le mourant donneur d'organes vont à l'encontre de l'intérêt de ce dernier.
Dans d'autres pays, il est désormais proposé de ne plus parler de donneurs légalement morts, quelles que soient les conséquences de cette volonté de s'affranchir d'une définition légale de la mort en vue de permettre le prélèvement des organes : on reconnaît l'échec de toutes les tentatives passées, visant à fournir une définition légale de la mort dans le but de recueillir l'acceptation sociétale pour le prélèvement des organes de donneurs "morts" :
==> Voir les articles :
"France : un retard à l'allumage ?" (lire)
"'Aussi mort que nécessaire, aussi vivant que possible' : Deuxième lettre ouverte aux usagers de la santé" (lire)
1 commentaire:
Je cite ici un article de presse datant de février 2005 (Zenit) :
"Prélèvement d'organes : le pape demande une définition de la mort" :
"Le pape Jean-Paul II a adressé une question délicate à un groupe d'étude de l'Académie Pontificale des Sciences sur 'les signes de la mort' à laquelle il lui demande de répondre et réfléchir : 'comment une personne peut-être vraiment considérée comme morte ?'. Environ 40 pour cent des membres qui constituent cette Académie un reçu un Prix Nobel.
Du point de vue de l'anthropologie chrétienne, le pape a expliqué que la mort consistait à la perte de l'unité du corps et de l'esprit. Ainsi définie, la mort ne peut être déterminée par aucune technique scientifique ou méthode empirique. Par conséquent, il a rappelé que les greffes d'organes nécessitent la 'certitude morale' de 'la mort clinique'. Pour Jean-Paul II, c'est 'aux médecins de donner une définition claire et précise de la mort et du moment de la mort d'un patient tombé dans un état d'inconscience'."
Source : Zenit 04/02/05
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