Je souhaite m'adresser à vous qui avez été, il y a longtemps ou plus récemment, confronté(e)s à la douloureuse question du don des organes et/ou tissus d’un proche se trouvant en état de "mort encéphalique" ou d’"arrêt cardio-respiratoire persistant" (prélèvement de reins "à cœur arrêté").
Vous n’ignorez pas que vous êtes le parent pauvre de la communication grand public sur le don d’organes. "Le don d’organes c’est comme une naissance", me disait hier un professeur de médecine. Or pour une naissance, il faut espérer que la mère et l’enfant se portent bien après l’accouchement, du moins et fort heureusement, c’est ce qui se produit le plus souvent ! Le don d’organes, lui, passe par la mort. "Le prélèvement d’organes est une cérémonie (…)", disait en mai 2009 le pionnier de la greffe de la face, le professeur Bernard Devauchelle, du CHU d’Amiens. Voici donc deux approches du don d’organes : la première nous parle du Don de Vie. La seconde rappelle que ce don de vie passe par la mort, d’où l’importance de cette cérémonie au sens religieux du terme que constitue le prélèvement d’organes sur un "mort" disposant encore d’organes vitaux en bon état. Rites funéraires (religieux ou laïcs) ; mise au monde d’un bébé - à l’issue de l’accouchement la mère et l’enfant se portent bien … Deux approches qui peuvent certes se compléter, mais qui procèdent de deux angles d'approche différents.
C’est cette perspective (cet angle d'approche) qui m’intéresse. Plus précisément : votre perspective m’intéresse. Sans elle, je ne comprends rien au don d’organes. Ou si peu … Sans votre témoignage porté à la connaissance du grand public (or n’oublions pas le "devoir de réserve" des médecins, infirmiers, chirurgiens, bref, de tout le personnel de santé), nous n’avons aucune chance de donner du sens à ce que les médias nous assènent quasi-quotidiennement : "faute de donneurs, XXX patients sont morts" (quelque 222 en 2009, selon une estimation de l’Agence de la biomédecine). Vous seuls êtes à même d'apprécier ces propos et éventuellement de les reformuler. Comment parler vrai ? Un discours culpabilisateur procède-t-il du franc parler ou est-il le fruit (amer ?) d'un certain "marketing social du don" (Philippe Steiner, sociologue) ? Serait-ce le serpent qui se mord la queue ? Aurait-on raté une occasion de voir le monde autrement ? Si oui, comment – et pourquoi ? Il me semble que vous devriez être prioritaires lorsqu’il s’agit de répondre à toutes ces questions.
Vous avez accepté le "don" ; vous avez refusé le "don". Vous a-t-on culpabilisé ou encensé ? "Banalisé avant le prélèvement des organes ‘post-mortem’, le don est sublimé après le prélèvement." (Philippe Steiner, sociologue). Quelle est votre expérience ?
D’après des sociologues spécialistes du don d’organes, il est très difficile de recueillir des témoignages de familles confrontées à la question du don d’organes. Pourquoi ? A qui la faute ? On parle de la faute dans le contexte suivant : "faute de don, XXX personnes sont décédées". Je souhaiterais parler ici d’un échec retentissant du corps médical en général et de celui composé par les acteurs des transplantations en particulier : porter à la connaissance du grand public les témoignages de proches confrontés à la question du don d’organes dit "post-mortem" dans toute leur diversité. Sans doute estiment-ils que là n’est pas leur rôle, que ce rôle se "borne" à soigner le plus possible de patients en attente de greffe. Le côté humain de la médecine s’efface progressivement, au profit des aspects techniques. Certes, ce n’est pas nouveau et je n’ai nulle prétention à résoudre ce débat éculé. En tant que modeste intermédiaire, je me refuse à croire qu’il y ait une seule catégorie de témoignages : ceux qui ont tout donné sans hésiter et qui sont si contents d’avoir fait ce choix du don de vie. Vous savez, ce genre de témoignages que l’on ressasse à l’occasion de la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes, ou encore, ceux que l’on trouve sur les sites des associations financées pour faire la promotion du don d’organes. Hem. Ceci juste pour vous prouver, si besoin était, qu’en vous écoutant jusqu’au bout, j’endosse l’habit du mauvais élève du Don.
Le "devoir de réserve" des coordinateurs des transplantations, des chirurgiens transplanteurs … 30 pour cent de refus de la part des familles confrontées à la question du don d’organes. Point final.
A mon sens, c’est un peu léger. Je voudrais bien y croire, mais mon instinct littéraire s’y refuse (pourquoi ? "Parce qu’il y a des choses que votre mère a refusé de vous donner quand vous étiez bébé ou enfant", selon un psy. Doux Jésus restons polis …)
Depuis mars 2005, j’essaie d’être à votre écoute. Relayer vos témoignages. Je les porte en silence, lorsque vous les avez voulus confidentiels car vous les jugez d’une douleur surhumaine, cette même raison vous poussant parfois à me mettre la pression, comme on dit, pour aller les clamer partout, ce qui m’a valu de saignants conflits avec certains personnels de santé.
Pourquoi un tel investissement émotionnel à votre écoute, moi qui n’ai été ni de près ni de loin confrontée à la question du don d’organes ? Très sincèrement, je pense que vous n’avez aucune place dans le discours public. A moins de vous surinvestir dans la cause du Don d’organes. Ce que certains d’entre vous font d’ailleurs. (Auraient-ils une mère qui a refusé de leur donner des choses quand ils étaient petits ? Hem, bon, je ne vais pas vous la refaire).
Le discours public, mis en place depuis les débuts de l’activité des greffes, consiste à justifier le "consentement présumé" au don de ses organes, tel qu’il est inscrit dans la loi en France : tout le monde est présumé consentir au don de ses organes à sa mort. Pourquoi ? Parce que nous aurions bien plus de chances de recevoir un organe que d’être donneur. La "mort encéphalique", qui permet le don d’organes, est une mort rare (à peine un pour cent du total des décès annuels, sauf en Espagne où "grâce" à la corrida le nombre de cas de "mort encéphalique" est bien plus élevé). Ces statistiques vous indiffèrent au plus haut point : si un pour cent de vos fils ou filles avait une "chance" de mourir d’une morsure de serpent, vous n’avez pas cent filles ou fils, et si vous en avez un ou une et qu’il ou elle se retrouve dans ce funeste cas de figure, que vous importent ces fichues statistiques ? D’autre part, comme l’a souligné le professeur Jean-Michel Boles (CHU de Brest) en été 2009, on assiste à un changement qualitatif de la greffe, induit par la quantité : 15.000 patients en attente de greffe en 2010 ! Plus de 4.000 greffes réalisées chaque année, avec une moyenne de 12 greffes réalisées chaque jour en France. Pour cela, il faut trouver trois à quatre donneurs – des "morts" avec des organes vitaux fonctionnant encore – chaque jour ! Mais il faudrait trois fois plus de greffes pour faire face à la tragique pénurie d'organes à greffer. Saviez-vous que depuis 2007, une situation d’arrêt cardiaque peut faire de chacun de nous un potentiel donneur d’organes (de reins) ? Un arrêt cardiaque cela ne concerne pas un pour cent des décès annuels, mais bien plus. L’éthique médicale et la loi sont là pour élargir le pool des potentiels donneurs, afin de répondre tant bien que mal à la pénurie de "greffons".
"Greffons" …
Sans votre témoignage, c’est tout un discours de marketing social qui risque de se mettre en place, à la gloire du Don. Rappelez-vous vos doutes, vos questions, l’incroyable pression pour prendre une décision. Vous n’aurez jamais l’audace de me faire croire que cela a été facile. Ou alors, je refais venir le "psy", celui qui va vous parler de votre mère qui, quand vous étiez petit ou petite, etc.
Le discours public visant à dire qu’il y a bien plus de probabilités d’avoir besoin d’un organe (et de le recevoir) que de devenir donneur me laisse dubitative. "Nous assistons à un changement qualitatif induit par la quantité" …
Je souhaiterais recueillir vos témoignages afin de les publier chez un éditeur français spécialisé dans les problèmes de société. Si ce projet vous intéresse, n’hésitez pas à me contacter !
Avec mes très cordiales salutations.
Catherine Costecath.coste@laposte.net
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