Léo Apotheker, ancien directeur général de Hewlett-Packard et de la société SAP (allemande) était interviewé ce 04/05/2012 dans l'émission du 12-15 chez Hedwige Chevrillon, sur BFM, la radio de l'économie.
=> Écouter l'interview (fichier son). Source : BFM.
Le sujet de cette interview est l'innovation. Pourquoi les Facebook, Microsoft et autres Apple, Google réussissent à voir le jour et à prospérer (au-delà de toute espérance) aux USA, mais pas en France ? Pis : les talents français sont embauchés en Californie, ou en Chine, voire en Inde (je pense aux ingénieurs en image 3D qui partent à Mumbai après avoir fait leur école d'ingénieur en France) ... Les bonnes idées françaises vont faire fortune à l'étranger ... Comment cela se fait-il ? Alors que Facebook s'introduit en bourse, qu'est-ce qui manque pour qu'il y ait un Facebook en France ? Selon l'Allemand Leo Apotheker - ce dernier mot signifie pharmacien en allemand, les USA ont le talent de créer des plateformes pour des besoins pas encore découverts ... Pour avoir ne serait-ce qu'un dixième de Facebook en France (ce qui serait déjà bien !), il faudrait qu'on ait une innovation plus pragmatique ... et qu'on s'oriente vers le besoin futur d'un consommateur ou d'une entreprise et non pas que vers la recherche ... Le positionnement aussi est important ... vers l'industrie par exemple ... d'ailleurs on ne peut couper la recherche de son application pratique qui est l'industrie. Siemens l'a bien compris ... Cette entreprise d'imagerie médicale allemande est installée depuis plus de 10 ans en Chine, pour partir à la conquête du marché de la santé chinois ... Il était hors de question de faire la R&D (recherches) en Allemagne et l'application du projet (son industrialisation) en Chine ... Les deux volets (R&D et industrialisation) devaient être réunis (voir).
Les sociétés comme Accenture dans le domaine de l'High Tech (IT) et du conseil en développement High Tech (IT) ne sont pas très françaises car elles sont bien positionnées dans le secteur de l'industrie ... Les sociétés de service françaises (SSII ) sont typiquement mal positionnées (hélas) dans ce secteur ... Dans les faits, on est souvent patron d'un grand groupe sans faire de l'innovation en France ... Pourtant, les bons élèves de l'innovation dans un grand groupe existent en France : Dassault Systèmes (une branche de cette société est active dans le domaine de la santé) a atteint le niveau du leadership mondial ... SAP aussi est leader mondial dans son secteur ... Mais de telles entreprises sont encore très rares ... "Pour vraiment créer une industrie qui est porteuse, il faut avoir quelques géants, ainsi qu'un échantillonnage important de sociétés bien portantes, pour pouvoir tirer de génération en génération de nouvelles entreprises", dixit Léo. Pourquoi n'avons-nous pas de Mark Zuckerberg chez nous, demande Hedwige ? "Les capital riskers gaulois sont frileux" ... disons quasi absents du paysage pour être plus proche des réalités - malgré de nombreux effets d'annonce de leur part, relayés par les médias jour après jour ... cela s'appelle désinformer ... mais pour pouvoir désinformer, il faut que le public soit consentant, ce qui est donc le cas ... Avec peu d'argent, la réussite française (nous avons de bons ingénieurs, même d'excellents) file à l'étranger ... vers des capital riskers plus accueillants ... Manque d'argent, manque de capitaux, saupoudrage : voilà qui ne va pas paver le chemin français du succès (industriel et/ou informatique) ... Nous n'avons pas de bourse comme le NASDAQ, rappelle Léo ... Comme il n'y a pas de bourse française, il n'y a pas non plus d'analyste ... Donc tout le secteur n'est pas vraiment bien compris ... Mon cousin est financier à NY ... son job consiste à repérer les entreprises qui font de la croissance ou celles à très fort potentiel ... pour attirer les investisseurs et autres capital riskers ... A entendre Léo, je comprends que mon cousin serait au chômage en France ... Je comprends aussi l'importance du Billautshow, qui permet aux petits entrepreneurs et autres start-up gauloises de gagner en visibilité, puisqu'il ne faut pas compter sur les banques et autres capital riskers malgré les effets d'annonce ... En France nous avons d'excellents ingénieurs qui exploitent des brevets financés par l’État - donc nous avons beaucoup d'innovation - mais on ne parvient pas à développer cela au-delà d'entreprises qui sont vraiment petites ... 5 ou 6 ou 10 millions d'Euros de chiffre d'affaires ... Ces petites entreprises sont revendues à ce moment-là car elles doivent récupérer un peu de capital. En clair : nous sommes devenus un vivier de développement pas cher et très performant pour des grands groupes d'informatique mondiaux ... Un vivier de développement bon marché pour des pays comme les USA, cela est vrai depuis le début des années 2000 au moins ... mais voici aussi venir ... l'Inde et la Chine ... à mon avis, vu ce qu'il s'y passe et ce que j'y entends sur la France ... Il nous faudrait donc des entrepreneurs plus courageux, des capitaux plus entreprenants, dixit Léo ... Sans la présence de capital riskers qui jouent leur rôle - ce qui n'est pas franchement le cas à l'heure actuelle - ces petites entreprises se vendent à des grands groupes dès qu'elles atteignent un certain seuil et n'ont donc aucune chance de se développer ... tout en conservant leur talent en innovation ... car les grands groupes qui les rachètent ne font pas toujours de l'innovation, loin de là ... d'où le problème ...
On peut rappeler que Business Objects a pu se développer jusqu'à son entrée en bourse à Wall Street (en collaboration avec SAP) - sans devoir être "gobée" par un grand groupe -, mais premièrement cela fait déjà un paquet d'années, deuxièmement de tels exemples sont rares, et troisièmement il faut penser "global" car une entreprise française doit s'allier avec d'autres (européennes) - l'union (européenne) faisant la force - pour réussir un tel parcours qui n'est tout de même pas rien : il s'agit bien de réussir à entrer en bourse sur le marché américain, donc mondial ...... Ce principe d'union peine à recueillir les suffrages des patrons français, dixit Léo ... Ils restent donc dans leur coin ... et se font racheter avant d'avoir pu entrer en bourse ... et adieu l'innovation gauloise ...
Des SAP, Oracle, Google, et autres sociétés d'informatique (IT) en France ? Ce n'est pas impossible, car les nouvelles technologies vont tellement vite que rien ne nous dit que dans 7 ou 8 ans, Facebook aura autant le vent en poupe ... L’Allemagne compte 15.000 PME de taille intermédiaire (le fameux Mittelstand, rappelle Léo). L'innovation pratique est le cœur de métier de ces entreprises ... En Allemagne, l’État est là pour assurer une coopération forte entre les laboratoires de recherches, les PME et les grands groupes, mais on n'attend pas tout de l’État, rappelle Léo ... une énigme pour le Gaulois régalien qui, lui, attend précisément tout de l’État ... En Allemagne il y a beaucoup de recherche privée, ainsi qu'un système de transfert de technologies qui marche bien. Mais ce qui fait la différence, d'après Léo, c'est le coopératif. On est capable de s'organiser en groupe ... Je vois tout de suite un exemple concret des propos de Léo ... Les entreprises allemandes visant le marché Chinois y partent et s'y installent groupées, tandis que les petits entrepreneurs français qui s'y risquent font cavalier seul ... Je l'ai vu, et cela a été dit aussi dans Chine Hebdo, l'émission hebdomadaire sur la Chine (BFM, chaque samedi) ... La mutualisation et le partage du vrai savoir, cela ne serait pas trop dans les gènes gaulois ? A voir ... car les nouvelles générations sont plus habituées à communiquer et à travailler en réseau ... Pour ce qui est des médecins, le milieu est encore très très très corporatiste (j'insiste) ... Néanmoins les ruptures technologiques que nous traversons redessinent les cartes du secteur de l'IT (informatique) ... et on voit mal comment la santé y échapperait, à ces ruptures technologiques ... Léo prévoit que les ruptures technologiques vont aller en s'accélérant. Au lieu d'en avoir une tous les dix ans, elles auront lieu tous les deux ou trois ans ... voire moins ... Le cloud computing, la mobilité (téléphonie mobile), la consommation de l'information en temps réel, les objets connectés à l'Internet ... vont devenir vraiment très très nombreux et très très divers ... touchant tous les secteurs, j'insiste, tous les secteurs ... donc celui de la santé aussi ... eh oui ... Un grid ou réseau électrique va se créer, utilisant l'intelligence d'objets connectés ... si bien que dans 4 à 5 ans, on vivra dans un univers radicalement différent ... Les grands groupes tels que nous les connaissons aujourd'hui devront s'adapter, ou être en difficulté ... Le discours de Léo me parle car je vais souvent en Asie et aux USA ... où l'on peut déjà voir ce qu'il faut bien appeler ... cette tendance lourde qui se dessine ... mais franchement, le Gaulois lambda (y compris le chef d'entreprise lambda) ne voit pas venir tout cela, pas du tout de chez pas du tout ... et si on a le malheur d'évoquer ces éléments patiemment expliqués et exposés par Léo, on se fait traiter de "pingouin transhumaniste" ou autre illuminé bon pour l'asile ... Un grand groupe d'IT qui rate deux innovations à la suite est en grande difficulté, rappelle Léo ... Les réseaux sociaux interagissent déjà avec des grands groupes ; il semble difficile que le monde de la santé reste épargné par toutes ces évolutions ... Pourtant, personne, dans le domaine, ne parle de cela plus que de la corde du pendu ... au mieux quelque chef de service hospitalier reconnaît les faits du bout des lèvres ... "Qu'est-ce que cela va changer, selon vous, dans vos habitudes de travail ?" Heuh ... est souvent la réponse que j'obtiens, tandis que je sens un regard appuyé façon "mais de quoi se mêle-t-elle, celle-là ?" En même temps, quand on voit le programme de congrès à venir dans le domaine des systèmes d'information en santé, il y est clamé que "Demain se prépare aujourd'hui" ... Encore un bel effet d'annonce gaulois ...Pourtant, il faudra bien ... à moins de récupérer (au prix fort, économique et humain) les miettes du marché de l'informatique en santé (ou e-santé) ...
Selon Léo, dans ce monde de demain, il n'y aura plus de corrélation directe entre le nombre de personnes qui travaillent ensemble, le chiffre d'affaires et la marge ... La France va-t-elle se transformer en une sorte de super centre de recherches (R&D) pour les entreprises, tandis que l'industrie correspondant à ces recherches sera développée en territoire étranger, où la main d’œuvre est moins chère ? Léo ne voit pas comment. Un pays qui perd sa base industrielle, comme la France, finira par perdre sa base de R&D (recherches). La recherche est liée à l'industrie, les deux doivent communiquer de manière assez proche. Comment faire en sorte que l'industrie française génère de l'innovation ? L'innovation ne se décrète pas, l’État n'a pas le pouvoir de la stimuler ... mais on peut créer un environnement favorable à l'innovation ... A entendre Léo, ce serait le cas en Allemagne ; pas en France ... Sans bons techniciens et apprentis (l'Allemagne permet à ses apprentis d'apprendre en entreprise), on ne fait pas non plus de bonnes recherches (R&D) ... L’État ne peut se substituer à l'entreprise privée ... et l'entreprise privée ne doit pas demander à l’État de se substituer à elle ... Il faudrait donc créer un cadre qui permette de créer ... Pour autant, est-ce possible de créer un cadre qui permette de créer, puisque créer, c'est sortir du cadre ? ...
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