Merci à Martin Winckler de m'avoir permis de lire son ouvrage avant sa parution "officielle", le 01/10/2012 ...
Martin Winckler: «comment j'ai écrit "En... par Mediapart
Mes deux passages préférés (il y en a d'autres mais il faut bien choisir ...) :
"J’étais un médecin respecté, j’avançais sans effort dans la vie, j’avais tout ce que j’avais désiré. Une carrière, de l’argent, la vie devant moi. Une épouse belle, intelligente, amoureuse. Des enfants en bonne santé. Un vrai conte de fées. Lorsqu’on m’a nommé chef de service, les industriels ont vu en moi un excellent porte-parole. Je suis vite devenu un orateur demandé. On me donnait des sommes considérables pour lire une présentation dans un colloque ou pour signer un article, tous deux rédigés par un département marketing. Je n’y voyais pas d’inconvénient : j’étais le plus souvent d’accord avec ce que j’y lisais. Je pensais que tous les médecins gardaient, comme moi, leur libre arbitre,
leur sens critique face aux discours ambigus. Bientôt, j’ai gagné beaucoup plus d’argent en récitant des mots écrits par quelqu’un d’autre, qu’en soignant des malades."
De "mots écrits par quelqu'un d'autre", on passe à des "mensonges à cinq mille dollars la minute" (p.93 et 96)
"À l’époque, quelques États d’Europe et d’Amérique toléraient l’assistance ou l’autorisaient, sous condition. Mais ici, le seul fait de mentionner le mot déclenchait des hurlements.
L’hypocrisie était insupportable.
Lorsque des jeunes gens se retrouvaient dans le coma après un accident de voiture, des équipes entières de médecins et de psychologues entouraient la famille pour la convaincre de les laisser prélever ses organes. Ils n’expliquaient pas toujours que le cerveau est une machine bizarre : s’il n’a pas été complètement écrabouillé, on n’est jamais tout à fait sûr qu’il a définitivement cessé de fonctionner. Ils disaient que les autres organes sont précieux. Des malades en attente de greffon meurent tous les jours. Lorsqu’il est possible de prélever un foie, un cœur, des poumons, des reins, des cornées, de la peau en bon état, on peut faire abstraction d’un cortex abîmé. Cette vie végétative ne mérite pas d’être vécue. Celui ou celle qui n’a pas expressément exprimé son refus peut être prélevé. Et on allait convaincre la famille qu’elle faisait une bonne action. Ou lui reprocher son égoïsme. Tant de vies pouvaient être sauvées grâce à cette unique mort. Un malade dans le coma, au fond, ne pesait pas lourd. Il n’était plus en état de donner son avis. Sa famille ne l’était pas non plus et on n’allait pas attendre qu’elle reprenne ses esprits. On pouvait raisonnablement statuer à leur place que le don de ces précieux organes valait mieux qu’une survie artificielle." (p. 52-53)
Copyright P.OL., Paris
"Mon prochain roman (publié en octobre), En souvenir d'André, est une anticipation sur ce que pourrait être, dans un futur éloigné (trente, quarante ans) l'accompagnement des personnes qui demandent une aide médicale pour mourir..."
"Il s'agit d'un livre court, à l'écriture serrée et nerveuse traitant de la fin de vie dans différents de ses aspects mais principalement celui de l'euthanasie et du suicide médicalement assisté.
Le narrateur spécialiste de la douleur et des soins palliatifs, 'assiste' différentes personnes en fin de vie et les aide à mourir, parfois (et principalement) de manière illégale. Ce faisant il recueille dans des cahiers (aussi au sens symbolique) leurs confidences ultimes qui éclairent leur vie et les choix qu'ils ont fait. Le prélèvement d'organe, la greffe, l'acharnement thérapeutique sont abordés en passant. Bien sûr le narrateur (l'auteur) n'échappe pas à se poser en 'médecin toujours juste et vrai' par rapport à un environnement et des pratiques qui ne le sont pas, son positionnement philosophique est très différent du mien, mais les qualités de construction (non linéaire) de l'ensemble, la sensibilité très profonde et quelques subtilités narratives (ex 'André le premier qui m'a appelé', je vous laisse chercher pourquoi cette tournure m'a particulièrement amusé) emportent l'adhésion du lecteur qui ne peut poser le livre avant de l'avoir fini. C'est beau et fort." Dr. Marc Andronikof, chef du service d'urgences à l'hôpital Antoine-Béclère, Clamart.
Mon commentaire au débotté : A mon avis, les logiciels pour PC et iPad permettant de réaliser le livre numérique de nos souvenirs, c'est-à-dire d'écrire, de filmer ses souvenirs, témoignages, meilleures recettes, scanner des documents divers (papiers administratifs, bulletins scolaires, diplômes), léguer des secrets avec code d'accès (seule la personne choisie y aura accès), faire son arbre généalogique, etc. ... le tout sans que cela soit visible sur l'Internet par tout un chacun, bref, tout cela va "disrupter" (remplacer quelque chose par autre chose de plus innovant) le paternalisme médical qui, à mon sens, est symbolisé dans ce roman par un soignant recueillant l'ultime témoignage des gens qu'il aide à mourir ("accompagne") dans des ... cahiers.
Le fait qu'il n'y ait dans ce roman que des fins de vie "volontaires" (gens qui choisissent d'en finir) donne un côté un peu ... morbide ... Une histoire de "serial euthanasie" (dans l'acception de "avoir une mort apaisée", "avoir une bonne mort") ... Sinon, ce roman est très éclairant sur les pratiques des prélèvements d'organes en fin de vie : la "mort encéphalique" qui permet le prélèvement d'organes vitaux dit "post-mortem" y est présentée comme un état d'incompétence du cerveau ; pas de mort totale ...
Au "Salon de la Mort" (bloody hell!!) au Carrousel du Louvre en avril 2011 j'ai rencontré une équipe de petits gars formidables. Et dès que j'ai lu ce nouveau livre de Martin Winckler, où le narrateur consigne les confidences ultimes des personnes ou "patients" qu'il accompagne dans des "cahiers" (aussi au sens symbolique du terme, bien sûr), eh bien cette histoire de cahiers, cela a fait "tilt" dans mon cerveau aux connections étranges ... Ben dans 40 ans, je crois que plus personne n'écrira sur des cahiers ... lesdits cahiers ne parlent absolument pas aux moins de 30 ans aujourd'hui ... L'auteur m'a fait remarquer que ce roman a l'âge de son auteur : 50 ans et non (moins de) 30 ans.
Revenons à mes petits gars du "Salon de la Mort" (reportage ici :
http://ethictransplantation.
Ils ont développé un logiciel très original, qui permet aux gens âgés d'écrire leur journal tout en n'étant pas sur Internet. Ils peuvent entrer du texte, de la vidéo (se filmer pour partager des recettes "best of" ou raconter leur histoire), léguer des secrets (à qui ils veulent, et donner aux personnes choisies un code d'accès) ...il peuvent faire leur arbre généalogique ... et scanner leurs papiers
administratifs et bulletins et diplômes scolaires et universitaires (cela amusera les petits-enfants de découvrir que papy était nul en anglais et bavard en cours d'histoire-géo) .. Ce type de logiciel va devenir pratique courante d'ici 10 ans ... alors dans 40 ans ... Actuellement la version pour PC est commercialisée ; la version pour "tablet" (iPad) est en cours de développement ... Sur ledit salon, j'avais été voir un docteur en unité de soins palliatifs : Dr. Sylvain Pourchet, Praticien Hospitalier en Unité de Soins Palliatifs à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif, et je lui avais présenté les petits gars qui font ce logiciel ... il avait été ébahi ... Moi aussi ... le graphisme est superbe (il existe en plusieurs versions) et j'ai eu un coup de foudre ...
La société développée par ces petits gars s'appelle Phoemya. (j'ai pas d'actions ;-). Ils ont passé beaucoup de temps en maison de retraite avant et après avoir développé leur "e-cahier", ou "le livre numérique de vos souvenirs" ...
"Le livre numérique de vos souvenirs" par Phoemya :
http://ethictransplantation.
http://ethictransplantation.
http://ethictransplantation.blogspot.fr/2012/06/des-codes-qr-sur-des-pierres-tombales.html
2 commentaires:
Je ne suis pas sûr que dans 30 ans les cahiers auront disparu, car dans 30 ans, l'ensemble de la planète (10 milliards d'individus bientôt) ne sera pas équipée de tablettes. Et, écologiquement parlant, c'est tant mieux. Le papier, lui, est biodégradable. Mais peu importe, Catherine et vous avez raison : le cahier, dans ce roman, est métaphorique. Il peut avoir n'importe quelle forme. Merci pour cette longue et riche présentation polyphonique. Martin W
Avec plaisir, Marc Z ! Honorée de votre présence sur ce modeste e-carnet (ou blog) ! Juste un détail qui m'amuse : les gens de 20 ans (tous pays je suppose) voulant apprendre une langue étrangère ne notent plus des listes interminables de vocabulaire dans des carnets (écriture de pattes de mouche ou de médecin ;), à l'instar de mon père ou de mon grand-père, mais demandent :"T'as pas une App' pour apprendre l'anglais, l'espagnol, le chinois ?" ...
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